«Les garçons qui ressemblent à des filles doivent se trouver un nouvel établissement pour poursuivre leurs études», soutient un prêtre, responsable d’école à Port-au-Prince
En avril 2023, un parent en colère contacte la direction de l’École Notre-Dame du Rosaire pour dénoncer une prétendue relation lesbienne qu’entretiendrait Décossard, également connue sous le nom de Wendy, avec sa fille.
L’école expulse Wendy avec un bulletin incomplet après la plainte, en présence de son père.
Dans les heures précédant la décision, «on m’a placée seule dans une salle et interdit aux autres élèves de m’approcher», témoigne l’adolescente de dix-huit ans.
Contactée par AyiboPost, une religieuse faisant partie des responsables de l’École Notre-Dame du Rosaire confirme l’expulsion de la jeune fille, sans rentrer dans les détails.
«Il n’y avait pas de preuves oculaires, mais l’école a pris sa décision sur les dires des parents concernés», relate la religieuse.
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Des situations similaires se répertorient dans plusieurs écoles en Haïti.
Bien qu’elle ne dispose pas de chiffres spécifiques, l’organisation Arc-en-ciel d’Haïti (ORAH) dédiée à la défense des minorités sexuelles confie recenser plusieurs cas d’étudiants expulsés d’un établissement scolaire à cause de leur identité sexuelle supposée ou avérée.
«Beaucoup d’étudiants de la communauté LGBT n’arrivent pas à boucler leurs études», déclare à AyiboPost Jhonny Clergé, secrétaire général d’ORAH.
Le jeune homme Gabrielle Serome s’est vu renvoyer d’une école congréganiste non mixte à Bel-Air en juin 2012 parce que ses gestes et son comportement étaient qualifiés «d’efféminés».
Le prêtre qui a tenu un monologue ironique à ses dépens le jour de la remise des bulletins scolaires a relaté, selon Serome, que l’école était de confession chrétienne et que «les garçons qui ressemblent à des filles doivent se trouver un nouvel établissement pour poursuivre leurs études.»
Jusqu’à l’expulsion, Serome estime avoir joui d’une réputation «d’élève intelligent» avec ses notes excellentes.
Il n’y avait pas de preuves oculaires, mais l’école a pris sa décision sur les dires des parents concernés.
«Ma mère était surprise et inondée par la honte en découvrant que j’ai été réorienté ailleurs», se souvient Serome.
Le jeune a été renvoyé lors du dernier contrôle, en troisième secondaire — soit l’équivalent de la NS1 aujourd’hui — et après quatre ans passés dans l’établissement.
«J’étais profondément affecté, et terminer mes études a été un combat héroïque pour moi», souligne Gabrielle Serome, dont les parents n’ont plus voulu financer les études après l’expulsion.
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De nombreux pays possèdent un cadre légal pour endiguer les discriminations basées sur le genre et l’identité sexuelle, mais en Haïti, le vide juridique perdure sur plusieurs aspects de cette question, selon deux avocats contactés par AyiboPost.
Pour Guy-Luly Guillaume, avocat et militant des droits humains, il n’existe aucune base légale pour expulser un adolescent d’une institution scolaire à cause de son orientation sexuelle supposée. Ce serait une «mesure discriminatoire» contraire aux dispositions de la Convention des droits de l’enfant (CIDE).
Dans son article 28, la CIDE adoptée par l’assemblée générale des Nations-Unies le 20 novembre 1989 et ratifiée par Haïti en juin 1995 consacre le droit des enfants à l’éducation.
Cependant, «il n’y a aucune loi spécifique capable de prendre en compte [et sanctionner] pénalement [les discriminations]» dans le pays, regrette l’homme de loi pour qui il s’agit d’un «grand vide à combler».
Beaucoup d’étudiants de la communauté LGBT n’arrivent pas à boucler leurs études.
Normil Denoil, connu également sous le nom de Catalina, dit avoir plus d’une fois en 2021 porté plainte à la direction du Lycée Firmin de Port-au-Prince contre un élève de la troisième secondaire, NS1 aujourd’hui, généralement très hostile dans ses propos contre la communauté M (LGBT).
Selon cet élève, ces gens sont des «déchets humains à carboniser» et des nuisances à éradiquer.
Un jour, cet élève surgit dans la classe avec une marmite de détritus et la renverse sur la tête de Normil avec une violence inouïe, sous les regards médusés des autres élèves.
Normil, connu pour être membre de la communauté M, et l’élève violent en sont venus aux mains. L’affaire atterrira dans la direction, et quoiqu’ils aient été deux à se disputer, Normil fut le seul à être expulsé de l’établissement, selon ses déclarations.
«Le directeur du lycée m’a dit qu’il ne tenait pas à mettre inconfortable toute l’institution à cause de moi», déplore Normil.
AyiboPost s’est rendu au nouveau local du Lycée Firmin à Turgeau le 12 janvier 2024. Un responsable de la section PM de l’établissement rencontré à la direction déclare n’avoir aucun souvenir de l’incident. Cependant, il rajoute que le corps disciplinaire de l’institution n’admet pas les bagarres : les concernés sont «sanctionnés par un renvoi immédiat».
«La politique du lycée n’est pas réfractaire à la communauté LBGT», déclare le responsable. «Les membres de cette communauté ont aussi droit à l’éducation, peu importe leur orientation sexuelle», poursuit l’homme qui dit se souvenir toutefois d’un cas où la direction du lycée a changé un élève de vacation parce qu’il était harcelé par ses camarades.
Il n’existe aucune base légale pour expulser un adolescent d’une institution scolaire à cause de son orientation sexuelle supposée.
Sans intervention des responsables, l’environnement scolaire peut devenir hostile.
Lors des épisodes de manifestation en 2023 qui ont vu certaines écoles autoriser les élèves à se passer de leurs uniformes, Wendy était devenue un sujet d’attention pour ses vêtements et sa démarche jugés «non-féminins» par ses camarades à l’École Notre-Dame du Rosaire.
Un cadre de l’établissement décourageait les autres filles à tisser des relations avec Wendy, selon ses dires. «J’étais très affectée mentalement, je pleurais continuellement et je n’avais qu’une envie : me suicider», raconte la jeune fille à AyiboPost.
Après son expulsion de l’école de la rue Magny de Pétion-Ville, Wendy a essuyé des mots blessants de la part de sa mère qui lui disait n’avoir jamais pensé mettre au monde «une chose» telle qu’elle.
«À force d’entendre les gens me traiter de “pourriture”, j’avais l’intime sentiment que j’en étais une», souligne Wendy, la voix brisée. «J’ai essayé de changer, mais je n’y arrivais pas», confie-t-elle.
Par Junior Legrand
Image de couverture : Expression de la honte d’une adolescente marginalisée. | © TheLocalWitch
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