Environ 80 % de la population de près de 16 000 habitants sur l’île utilise de l’eau provenant de puits présentant des conditions sanitaires insalubres, rapporte la mairie de la zone
Privés d’eau potable, les habitants de l’Île-à-Vache, située dans le département du Sud en Haïti, sont contraints de puiser dans des puits contaminés pour leurs besoins quotidiens. Cette pénurie dévastatrice entraîne une crise sanitaire alarmante.
Le Centre de Santé de la localité de Kay Kòk (Caille-Coq) accueille des centaines de personnes par mois et demeure le centre le plus fréquenté de l’île.
De janvier 2022 à mai 2023, les maladies hydriques représentent 60 % des cas traités dans ce centre, rapporte le médecin Dimy Dieujuste, directeur de l’établissement de santé, lors d’une entrevue avec AyiboPost.
«Sur dix personnes fréquentant le centre, six souffrent de problèmes liés aux maladies hydriques tels que la fièvre typhoïde, les infections vaginales chez les femmes, les maux de ventre, les démangeaisons, les dermatoses, etc.», affirme le directeur du centre de santé Kay Kòk.
Par ailleurs, les cas de grattelle ont fait leur réapparition en début d’année, rapporte également le Dr Atelis Mésilome, médecin et directeur médical du Centre de Santé Madame Bernard.
Entre février et avril 2023, le Centre Madame Bernard a enregistré seize cas de diarrhée. Il n’est pas clair si les cas de fièvre typhoïde augmentent dans cet établissement hospitalier, car l’appareil de réfrigération nécessaire à la conservation des antigènes et des groupes sanguins ne fonctionne pas. De plus, le Dr Atelis Mésilome explique que l’institution ne peut pas effectuer de dépistage de la typhoïde.
Privés d’eau potable, les habitants de l’Île-à-Vache sont contraints de puiser dans des puits contaminés pour leurs besoins quotidiens.
L’île souffre d’une grave pénurie d’eau potable. Shilove Myrtil, habitant de Madame Bernard, explique qu’elle a l’habitude de se baigner dans l’eau d’un puits appelé Ti Sous, qui lui cause généralement des démangeaisons au niveau des fesses.
En raison du manque de ressources économiques et lorsque la pénurie d’eau devient extrême, les gens n’ont pas d’autre choix que d’utiliser l’eau jaunâtre du puits à ciel ouvert, Ti Sous, pour satisfaire leurs besoins en eau, déclare Myrtil à AyiboPost.
Pour se procurer de l’eau, elle explique qu’elle paie 125 gourdes à un chauffeur de moto pour se rendre de Madame Bernard à Dantèl ou Pradel. « Parfois », ajoute Myrtil, « je marche environ une heure » pour aller puiser de l’eau dans un puits qui sert à la consommation, à la cuisine, à la lessive et aux bains.
Lorsque la pénurie d’eau devient extrême, les gens n’ont pas d’autre choix que d’utiliser l’eau jaunâtre du puits à ciel ouvert, Ti Sous.
Dans la localité de Pradel, les habitants se servent d’un puits artésien en mauvais état ainsi que d’un puits à ciel ouvert pour répondre à leurs besoins en eau. Selon les témoignages recueillis par AyiboPost, cette eau contient parfois une forte teneur en sel.
Lire aussi : Le gros sel cultivé en Haïti contient un excès de magnésium. Ceci rend son iodation difficile.
Environ 80 % de la population de près de 16 000 habitants de l’île utilise de l’eau provenant de puits présentant des conditions sanitaires insalubres, selon la mairie de la zone. « Cela fait des années que cela dure », déclare Jean Yves Amazan, maire de l’Île-à-Vache.
Les plus chanceux traitent l’eau au chlore, tandis que d’autres ne le font pas, ajoute Amazan.
Jonason Jeanty, étudiant en agronomie résidant à Pradel, témoigne : « Chez moi, lorsqu’il pleut, nous sommes obligés de consommer l’eau de pluie. Sinon, lorsque cela est possible, nous achetons des sachets d’eau ».
Jeanty déclare qu’il est contraint parfois de consommer l’eau souillée des puits, car elle est plus accessible. Cependant, cela n’est pas sans conséquences, car pendant les périodes pluvieuses, les épidémies liées aux maladies hydriques augmentent sur l’île. Jean Yves Amazan précise qu’il y a généralement des épidémies de fièvre, de gale et de grippe.
Lorsque nous avons de la pluie, nous sommes obligés de consommer l’eau de pluie. Sinon, lorsque cela est possible, nous achetons des sachets d’eau.
L’occupation de l’Île-à-Vache commence sérieusement à partir de 1930, lorsque des habitants des villes voisines telles que Saint Jean du Sud, Torbeck et Saint-Louis du Sud sont attirés par les potentiels de la zone en matière de pêche et d’agriculture. Au cours de cette même année, l’industriel Louis Déjoie loue des terres pour y cultiver du maïs, du Petit-Mil et de la citronnelle.
En 1940, le centre-ville est aménagé pour la première fois et une église catholique est construite avec l’arrivée du religieux catholique Robert Magron, ce qui rend l’île encore plus attrayante.
Pourtant, ce n’est qu’en 1976 que l’île devient une commune de l’arrondissement des Cayes, ce qui contribue à la positionner comme une destination touristique très prisée.
Lire aussi : Pourquoi les USA continuent-ils d’occuper une île Haïtienne ?
L’État n’investit pas assez dans la construction d’infrastructures pour la zone et le problème de l’accès à l’eau potable persiste depuis des années.
En 1940, le centre-ville est aménagé pour la première fois et une église catholique est construite avec l’arrivée du religieux catholique Robert Magron.
Vaval Raymond, habitant de Madame Bernard, révèle qu’une grande partie des habitants de son quartier se procure de l’eau de pluie provenant du toit d’un marché.
Vaval Raymond affirme souffrir de problèmes de grattelle, et lorsque ses voisins sont dans la même situation, ils se contentent d’irriter davantage leur peau faute de soins adéquats. Parfois, ils utilisent l’eau de mer pour apaiser les démangeaisons, ajoute Raymond.
Il n’existe aucun système de gestion de l’eau sur l’île, à l’exception de quelques installations que « nous avons construites pour approvisionner les communautés en eau », explique le maire Jean Yves Amazan.
Lire aussi : Photos | 20 sources d’eau asséchées et une pénurie croissante à Port-au-Prince
Un système d’eau qui alimentait trois kiosques a été construit en 2014 sous le gouvernement de Laurent Lamothe. Cependant, en 2018, ce système a cessé de fonctionner, malgré les efforts déployés pour le réparer.
En réalité, il existe trois sites d’eau alimentés par un système solaire qui approvisionnent une partie de l’île. L’un de ces sites, situé à Madame Bernard, a été construit en 2009 et des travaux de restauration sont en cours depuis 2021. Un autre site se trouve à Baleraz, construit en 2014, mais il est obsolète. Quant au site de Kay Kòk (Caille-Coq), il fonctionne.
Lorsque ces sites étaient opérationnels, l’eau était distribuée dans des fontaines où elle était traitée au chlore. « Sur l’île, là où il y a de l’eau, elle n’est pas potable. Il est donc nécessaire d’avoir des centres de traitement pour éliminer la teneur en sel de l’eau », précise le maire Jean Yves Amazan.
L’un de ces sites, situé à Madame Bernard, a été construit en 2009 et des travaux de restauration sont en cours depuis 2021.
Parfois, les habitants ne trouvent pas d’eau potable en bouteille ou en gallon pour leurs besoins, et ils sont « obligés d’en faire venir des Cayes ». Cela prend environ une heure en utilisant de petites embarcations à moteur d’une capacité d’environ vingt personnes. Si le transport se fait par voilier, cela prend beaucoup plus de temps.
«Tout d’abord, les gens achètent de l’eau dans la ville des Cayes, puis ils la transportent en voiture ou en brouette jusqu’au quai pour ensuite l’embarquer dans un bateau en direction de l’île », explique le maire Jean Yves Amazan.
En général, le trafic des bateaux à voile est quotidien, car ils dépendent uniquement du carburant, tandis que les voiliers fonctionnent lorsqu’ils ont des contrats de transport de marchandises. Ces embarcations naviguent au gré des vents turbulents.
Pierre Jean Serge, capitaine de l’embarcation « Kris Kapab », décrit son itinéraire habituel : « Pour acheter de l’eau depuis les Cayes, je paie 200 gourdes pour arriver au quai en taxi, puis le trajet en bateau vers l’île coûte 500 gourdes par personne ».
Parfois, les habitants ne trouvent pas d’eau potable en bouteille ou en gallon pour leurs besoins, et ils sont obligés d’en faire venir des Cayes.
Le problème de l’eau affecte également la production agricole. Les agriculteurs de l’île se spécialisent dans les produits maraîchers, mais ils sont incapables de les arroser correctement. Par conséquent, ils utilisent l’eau des ravins et des puits pour l’irrigation, la lessive, l’abreuvement des animaux et leur propre consommation.
Lire aussi : Comment l’abandon de l’irrigation par l’État aggrave la crise alimentaire en Haïti ?
Pour l’instant, un site d’eau à Madame Bernard est en train d’être réhabilité par l’État haïtien à travers un financement de la Banque Interaméricaine de Développement, sous supervision de la Direction nationale de l’Eau potable et de l’Assainissement (DINEPA). Le montant du projet n’a pas été précisé. De plus, il existe un projet d’extension de trois kiosques d’eau supplémentaires, qui a déjà été réalisé mais qui n’est pas encore opérationnel.
La mairie n’a pas les ressources financières nécessaires pour répondre aux besoins. Ses employés n’ont pas perçu de salaire depuis deux ans.
Depuis la mort du président Jovenel Moïse, des organisations œuvrant dans le secteur de l’eau ont déserté la zone, selon le maire Amazan. « Nous avons perdu plusieurs projets qui disposaient déjà de fonds pour leur réalisation en raison des problèmes d’insécurité », déclare Jean Yves Amazan.
© Image de couverture : freepik
Visionnez ce reportage réalisé par AyiboPost en 2018 sur les retombées du projet « Destination Île-à-Vache » lancé six ans auparavant par l’administration Martelly-Lamothe :
Gardez contact avec AyiboPost via :
▶ Notre canal Telegram : cliquez ici
▶ Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici
Comments