SOCIÉTÉ

Des morceaux de glace pour conserver les morts à Jérémie

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L’électricité fuit la Cité des poètes depuis trois ans. Les blocs de glace permettent aux morgues d’éviter la putréfaction des cadavres, pendant quelques jours

À la morgue de l’hôpital Saint-Antoine de Jérémie — le plus important centre hospitalier de la Grand’Anse — les cadavres échappent momentanément à la putréfaction grâce à une piqûre de formol et de fragiles morceaux de glace dans un contexte où la ville fait face à un sérieux problème d’électricité depuis trois ans.

Cette recette est appliquée dans la majorité des pompes funèbres afin d’offrir quelques jours aux parents avant que les cadavres de leurs proches commencent à devenir irrespirables.

Le 2 février 2023, Phanes Clermont a perdu son père, Jean-Yves, hospitalisé depuis l’année dernière à Jérémie.

Phanes Clermont entreprend alors des démarches pour déposer le cadavre de l’octogénaire à la morgue de l’hôpital Saint-Antoine. Cet hôpital d’État existe depuis 1923. Il dépend directement du ministère de la Santé publique et de la population (MSPP). Cependant, ses services ne sont pas gratuits.

Une vue de la façade de l’hôpital Saint-Antoine de Jérémie. © David Lorens Mentor/AyiboPost

En plus des frais demandés pour la prise en charge, Phanes Clermont fait savoir que la morgue du centre lui a fait payer pour l’achat d’une piqûre de formol pour éviter la putréfaction du cadavre de son père.

Il devait en plus payer environ 1 000 gourdes par jour pour l’achat des blocs de glace qui devaient être étalés sur le cadavre de son père.

« Mon père a passé huit jours à la morgue de l’hôpital de Saint-Antoine de Jérémie et j’ai payé 24 000 gourdes en tout, incluant les frais de la prise en charge, la piqûre de formol et l’achat des blocs de glace », explique Phanes Clermont.

Il devait en plus payer environ 1 000 gourdes par jour pour l’achat des blocs de glace qui devaient être étalés sur le cadavre de son père.

Le coordonnateur de l’Initiative départementale contre la traite et le trafic des enfants (IDETTE) a vécu une situation similaire durant le mois de mars lorsqu’un détenu mineur est décédé à la prison civile de Jérémie.

Interviewé par AyiboPost, le coordonnateur de l’IDETTE, Gérald Guillaume, dit avoir versé 750 gourdes par jour pour l’achat de morceaux de glace à la morgue de l’hôpital Saint-Antoine afin de conserver le cadavre du mineur puisque les parents de ce dernier n’avaient pas d’argent.

L’absence d’électricité en cours à Jérémie a continué après l’assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. L’élu du Parti Haïtien Tèt Kale avait fait la promesse en 2017 d’électrifier tout le pays dans deux ans.

Aujourd’hui, la ville est plongée dans le noir. Sa seule centrale électrique est dysfonctionnelle. Les habitants les plus fortunés optent pour l’énergie solaire ou l’achat de génératrices.

Aujourd’hui, la ville est plongée dans le noir. Sa seule centrale électrique est dysfonctionnelle.

Entre temps, le prix de l’essence ne cesse de grimper. Un gallon de gazoline se vend à plus de mille gourdes à Jérémie. Les produits pétroliers sont généralement indisponibles dans les stations à essence.

Vente de carburant dans les rues de Jérémie. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

La plupart des pompes funèbres utilisent des génératrices pour fonctionner. Et pour les deux premiers jours, les cadavres demandent au maximum 24 heures de temps de courant d’affilée, selon des responsables de ces entreprises.

«Un client peut payer jusqu’à 150 000 gourdes pour obtenir sept jours de morgue», dit Patrick Dorismond, directeur de l’entreprise funéraire Saint-Joseph. Cette entreprise existe depuis 2004.

Dans le contexte actuel d’inflation galopante et de crise économique, les clients qui peuvent s’offrir ce luxe ne sont pas nombreux.

«Un client peut payer jusqu’à 150 000 gourdes pour obtenir sept jours de morgue»

– Patrick Dorismond

À la morgue de l’hôpital Saint-Antoine de Jérémie, les cadavres ne peuvent rester pour plus que cinq jours. Au-delà, le risque de putréfaction devient presque certain à cause du problème d’électricité.

Une vue de l’ntérieur de la morgue de l’hôpital Saint-Antoine de Jérémie | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Phanes Clermont témoigne que le corps de son père avait commencé à se déformer lorsque ce dernier est sorti de la morgue de l’hôpital. Il dit également avoir remarqué des taches noires sur son visage.

Contacté par AyiboPost, le Directeur général de l’hôpital Saint-Antoine, le Dr Standley Verrier, met l’état des lieux sur le compte du problème d’électricité.

«Certains cadavres commencent par tomber en putréfaction après l’administration de la piqûre de formol», explique le Dr Standley Verrier.

Les cadavres tenus en état grâce à la piqûre du formol ne peuvent aller au-delà de cinq jours. Certains parents ne viennent pas récupérer leurs cadavres après cette période. « Pour cela, nous avons pris la décision cette semaine de fermer la morgue de l’hôpital », poursuit Verrier.

Les portes de la morgue sont fermées. © David Lorens Mentor/AyiboPost

La génératrice de l’hôpital peut produire 350 kilowatts et consomme douze gallons de gazoline par heure. Pour faire fonctionner la morgue, l’institution nécessite en moyenne 6h de temps de courant par jour.

Sans investissement direct de l’État, avec «ce que nous gagnons à présent à l’hôpital, nous ne pouvons pas répondre à ces dépenses», explique le Dr Standley Verrier.

Lire aussi : Les fascinants secrets du métier de croque-mort en Haiti

Le problème de conservation des morts en cours à Jérémie change les enterrements. Aujourd’hui, remarque Patrick Dorismond, les cadavres ne sont plus exposés lors des obsèques. Les responsables d’entreprises funéraires préfèrent mettre en évidence une des photos du défunt.

Par Fenel Pélissier

Photo de couverture : Vue de la façade de l’hôpital Saint-Antoine de Jérémie. | © David Lorens Mentor/AyiboPost


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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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