Victimes de viol, ces survivantes expliquent n’avoir reçu aucune assistance de l’État haïtien
Une campagne de meurtres, de viols et d’incendies est menée, en juillet 2022, contre la population de Cité Soleil par les membres du gang G9 dans leur quête de vengeances contre le gang rival G-Pèp dirigé par Gabriel Jean Pierre, Alias Ti Gabriel.
Pratiquement tous les hommes retrouvés ont été massacrés, et les femmes, à leurs tours, violées.
Une enquête menée par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) révèle un bilan catastrophique d’environ 200 maisons détruites, plus de 300 personnes assassinées, au moins 52 femmes violées durant cette attaque.
« C’était un vendredi. J’étais dans la rue quand les rumeurs du massacre dans la Cité me sont parvenues. Je me suis mise à courir en direction de ma maison où j’avais laissé mon mari et mon bébé », se remémore une survivante qui habitait à Soleil 17.
Pratiquement tous les hommes retrouvés ont été massacrés, et les femmes, à leurs tours, violées.
La jeune dame va vivre l’un des pires moments de sa vie. «En passant par « Dèyè Mi », une route de Cité Soleil menant vers ma bâtisse, trois hommes m’ont attrapé, témoigne-t-elle. Ils m’ont violemment battue et abusée sexuellement derrière un buisson ».
Après les sévices, Nadège est rentrée chez elle pour rejoindre sa famille. « À mon arrivée, il n’y avait que ruines et cendres. Ma demeure avec tous les effets qu’elle contenait, mon mari et mon bébé ont été tous calcinés », lâche la victime, le visage déformé par la douleur.
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Les survivantes de viols de Cité Soleil semblent n’avoir reçu aucune assistance de l’État haïtien.
Sans-abris, certaines d’entre elles s’étaient réfugiées sur la place Hugo Chavez de Maïs Gâté, un espace à ciel ouvert. Elles allaient y être chassées par les autorités municipales en octobre. La plupart des survivantes se sont installées depuis à proximité de la Brasserie nationale d’Haïti.
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Dans ces lieux publics, elles sont encore livrées aux abus sexuels. C’est le cas de Marie. Elle a été abusée sexuellement à nouveau le 14 novembre dernier devant le local de la BRANA. .
D’autres n’ayant pas d’autres choix continuent vivre à Cité Soleil.
Dans ces lieux publics, elles sont encore livrées au viol.
«À chaque fois que je passe à Dèyè Mi, [l’unique tronçon de route de la commune qui mène de la route nationale à l’intérieur de la Cité], c’est comme si je me refaisais violer. Je ne peux m’empêcher d’avoir toutes les images qui me reviennent en tête », déclare Nadège.
La plupart des victimes prennent refuge chez un proche. « Depuis le 8 juillet, je vis sur la galerie d’une amie. Je dois attendre que tout le monde soit couché avant que je ne fasse mon lit. Je dois en même temps me réveiller avant tout le monde dans la maison. Ce, à la fois pour ne pas entraver le passage et pour ne pas me faire piétiner », raconte Sofia, un sanglot étouffé dans la voix.
À chaque fois que je passe à Dèyè Mi […], c’est comme si je me refaisais violer.
Par ailleurs, les survivantes doivent faire face à toutes sortes de problèmes : la faim, les besoins vestimentaires, les enfants leur demandant d’aller à l’école, ou qui demandent à revoir leurs pères disparus.
Selon la psychologue Beatrice Dalencour-Turnier, ces femmes « ont besoin d’un environnement pouvant leur permettre de se reprendre, de se reconstruire. (…) Elles sont d’une extrême vulnérabilité psychologique, selon la psychologue. »
La spécialiste travaille pour l’organisation “Kay Fanm”. La plupart des survivantes, dit-elle, « présentent des symptômes dépressifs; elles se demandent pourquoi elles vivent encore».
Malgré leur prise en charge psychologique collective par certaines organisations, la psychologue Dalencour-Turnier croit que ce n’est pas suffisant. «Tenant compte de tout ce qu’elles ont vécu et continuent de vivre, analyse-t-elle, elles devraient être vues de manières individuelles, à côté des prises en charge collective.»
La tâche d’assistance sociale auprès de ces victimes revient au Ministère des affaires sociales et du travail (MAST).
– Yolette Jeanty
La psychologue croit aussi que pour être pleinement efficace, la prise en charge psychologique de ces femmes et jeunes filles devrait s’accompagner d’un soutien économique.
Selon l’activiste des droits de la femme, Yolette Jeanty, la tâche d’assistance sociale auprès de ces victimes revient aux Ministères des affaires sociales et du travail (MAST).
AyiboPost n’a pas été en mesure de confirmer l’implication de cette instance pour le bien-être des femmes dans ce dossier. « S’il y avait une prise en charge effective du MAST, je n’aurais pas reçu ce flot de monde tous les jours à Kay Fanm durant le mois d’août de l’an dernier », souligne Dalencour-Turnier.
L’activiste également directrice de Kay Fanm se souvient encore d’un après-midi du mois d’août de l’an dernier quand l’association qu’elle dirige n’avait plus la capacité de recevoir des gens, elles ont presque toutes accepté de passer la nuit devant le local de l’institution, sans couverture, ni nourriture. Certaines se sont installées au bord de la route nationale.
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«J’avais bien peur qu’elles ne se fassent percuter mais elles préféraient prendre ce risque au lieu de ne pas être reçus encore une fois le lendemain», renchérit la directrice qui croit qu’un effort de l’État haïtien pour accompagner ces femmes est urgent.
P.S. : Les noms des victimes dans cet article sont des noms d’emprunts. AyiboPost a ainsi décidé en vue de protéger leur identité.
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