SOCIÉTÉ

De plus en plus d’Haïtiens deviennent conducteurs de camion aux États-Unis

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La conduite de camions est une profession en vogue chez les immigrants haïtiens aux États-Unis. Si certains y voient une voie vers la liberté financière, d’autres s’inquiètent des conditions de travail des chauffeurs routiers

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Lorsque Tharlie a déménagé aux États-Unis en 2017, elle rêvait de devenir créatrice de mode. Mais aujourd’hui, la jeune femme de 32 ans est une conductrice de camion à temps plein, partageant des conseils sur les réseaux sociaux pour ceux qui cherchent à embrasser la profession. « Je voulais gagner de l’argent après mon divorce », a-t-elle déclaré.

Elle a dû suivre un cours de six semaines à 3 000 dollars pour obtenir le permis de conduire commercial obligatoire pour la conduite des poids lourds. Selon l’école, en Floride, le coût de la formation varie entre 1 600 et 8 000 dollars. Après avoir obtenu son permis, elle a été embauchée par une entreprise où elle a passé quatre semaines supplémentaires de formation.

Mère célibataire, Tharlie est constamment critiquée par sa famille pour avoir choisi ce métier. Elle passe parfois un mois sur la route à transporter des marchandises, des fournitures et de la nourriture à travers les frontières des États. Et ce mode de vie a fini par contribuer à son divorce, dit-elle.

La plupart des conducteurs de camions passent en moyenne trois semaines loin de leur famille en raison des exigences élevées du métier. Selon les données du Bureau of Labor Statistics (BLS), les camionneurs tués au travail représentent plus d’un décès sur sept sur le lieu de travail aux États-Unis, avec un taux de mortalité de 26,8 pour 100 000 travailleurs, alors que le taux pour l’ensemble des travailleurs américains est de 3,5 décès pour 100 000 travailleurs. Le manque d’exercices physiques, la mauvaise alimentation et les conditions de sommeil ont de graves répercussions sur la santé des chauffeurs routiers.

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« C’est un travail stressant où je peux voir le danger depuis le volant, explique Tharlie. Au début, je travaillais cinq ou six heures par jour. Maintenant, je travaille onze heures. J’ai transporté des marchandises dans presque tous les États américains ».

Son salaire initial était de 450 dollars par semaine, mais elle gagne maintenant 1 000 dollars par semaine. Certains chauffeurs travaillent plutôt pour 80 cents par kilomètre. Mais Tharlie préfère faire équipe avec un autre chauffeur.

« Avec de l’expérience, les chauffeurs gagnent entre 1 800 et 2 000 dollars par semaine, et avec cet argent, ils peuvent louer ou acheter des camions pour travailler comme propriétaires exploitants », explique-t-elle.

C’est l’option que Colby, 34 ans, a choisie. Il s’est lancé dans le métier il y a huit ans après qu’un ami lui ait dit à quel point que c’était rentable. La conduite de camions était, pour lui, le moyen le plus rapide de rembourser ses prêts étudiants et de lancer sa propre entreprise plus tard. Au début, sa famille n’était pas d’accord avec son choix. Mais maintenant, il a le soutien total de sa femme.

Après cinq ans, Colby, qui a un diplôme en commerce, est devenu propriétaire-exploitant. Il lui reste encore des paiements mensuels pour le prêt qu’il a obtenu pour acheter le camion. Un camion d’occasion coûte entre 40 000 et 50 000 dollars, et un camion neuf coûte environ 200 000 dollars.

« Si vous avez un mentor, il ne vous faudra pas beaucoup de temps pour devenir propriétaire-exploitant. Je ne savais pas que je pouvais devenir propriétaire-exploitant en si peu de temps », a-t-il déclaré.

Ses bénéfices varient entre 15 000 et 20 000 dollars de recettes brutes. Ce montant dépend du volume de marchandises transportées par semaine et de leur valeur. Le revenu généré est basé sur un pourcentage prélevé sur la marchandise. D’après les estimations de Colby, un propriétaire-exploitant gagnera entre 2 000 et 10 000 dollars par semaine après tous les paiements dus tels que les prêts pour le camion, l’assurance, les taxes, le carburant et les autres dépenses. Il se voit désormais faire carrière dans le secteur du camion.

Selon le Bureau of Labor Statistics (BLS), le salaire annuel moyen des conducteurs de poids lourds et de camion-tracteur était de 48 310 dollars par an, soit 23,23 dollars de l’heure, en mai 2021. Mais le secteur est devenu difficile. De nombreuses activités manufacturières qui fournissaient des marchandises et des fournitures aux entreprises de camionnage sont fermées en raison de la hausse des prix du carburant et de l’inflation. Tharlie souligne combien il est difficile pour ceux qui louent un camion et travaillent de manière indépendante de suivre le rythme.

« Dans le passé, lorsque les chauffeurs louaient un camion, ils le remplissaient pour 500 dollars par semaine. Maintenant, cela coûte 2 000 dollars par semaine », ajoute-t-elle.

Un travail à haut risque

La conduite de camions est considérée comme l’un des emplois les plus dangereux en Amérique. Le National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine estime que les accidents liés aux camions et aux bus sont responsables d’environ 4 000 victimes chaque année aux États-Unis. On estime que 10 à 20 % de ces accidents pourraient impliquer des conducteurs fatigués.

Le secteur du transport routier est également connu pour ses mauvaises conditions de travail. En conséquence, il est confronté à une pénurie de chauffeurs de camions – attribué aux faibles salaires et aux taux de rotation élevés, où environ 300 000 chauffeurs abandonnent le métier chaque année. En outre, la pandémie de COVID-19 a amplifié cette pénurie, entraînant la fermeture ou le fonctionnement limité des programmes de formation et d’apprentissage. Selon l’American Trucking Association, l’industrie a atteint une pénurie historique d’environ 80 000 chauffeurs de camions, soulignant que, si tous les secteurs de l’industrie ont du mal à trouver suffisamment de chauffeurs, la pénurie de chauffeurs est la plus grave sur le marché du transport de marchandises par camion pour le compte de tiers sur de longues distances (c’est-à-dire non locales).

Un secteur en mutation

Dans le même temps, le secteur est sur le point de connaître des changements importants. Pour commencer, il y a la question des camions électriques. Colby souligne que des camions électriques sont en cours d’expérimentation, mais il est convaincu qu’ils ne pourront pas remplacés tous les autres camions. Si c’est le cas, il prévoit d’acheter un camion électrique pour continuer à travailler dans cette industrie. Tharlie pense qu’il faudra beaucoup de temps avant que l’automatisation ne se produise. Et elle pourrait avoir raison.

Bien que la plupart des entreprises testent actuellement le camion automatisé, il faudra peut-être attendre un certain temps avant que les camions électriques ne prennent entièrement le contrôle des autoroutes, selon Martin Daum, président du conseil d’administration de Daimler Truck.

Les données du Bureau du recensement des États-Unis montrent que la plupart des jeunes camionneurs de moins de 35 ans sont des femmes, des hispaniques et sont plus instruits que leurs pairs âgés de 55 ans et plus. L’industrie du camionnage comprend des centaines de milliers de transporteurs et 3,36 millions de chauffeurs de camions employés en 2020, qui transportent des marchandises au niveau local ou sur de longues distances entre les villes. Le secteur est diversifié et les différents segments présentent d’autres caractéristiques opérationnelles.

Malgré les inquiétudes concernant l’automatisation du secteur et la pénurie de chauffeurs routiers, l’emploi des conducteurs de poids lourds et de camions-tracteurs devrait augmenter de 6 % entre 2020 et 2030, soit à peu près aussi vite que la moyenne de toutes les professions. La Floride, où de nombreux Haïtiens vivent et adoptent cette profession, occupe la troisième place pour les accidents mortels. La Floride figure parmi les États où le niveau d’emploi des conducteurs de poids lourds et de tracteurs de semi-remorque est le plus élevé, occupant aussi la troisième place, avec environ 88 980 conducteurs routiers, où neuf emplois sur mille dans l’État.

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