Dans beaucoup de régions reculées du pays, les Organisations non gouvernementales (ONG) prennent la place de l’État, jouant un rôle qui devrait revenir aux autorités
Après le séisme du 14 août 2021, une quantité d’ONG a débarqué dans le sud, pour apporter leur aide dans des localités où l’État peine à se rendre.
Par exemple, dans la section communale de Marceline à Camp-Perrin, les besoins étaient grands. La ville a été détruite en grande partie. Fenicile Massius, mairesse de Marceline, avoue que l’aide des organisations non gouvernementales a été précieuse, surtout pour l’accès à l’eau et à la nourriture.
Cette cohabitation entre autorités communales démunies et ONG s’est déroulée sans heurts, selon la mairesse. Mais, en même temps, elle avoue que certaines organisations ont contourné l’autorité de la mairie, dans leurs interventions. Elles opéraient sans que la municipalité soit au courant de leurs projets.
C’est une situation difficile à corriger, se plaint Fenicile Massius. Dans ces cas-là, l’action de l’organisation peut servir les intérêts particuliers de certains, et être ainsi instrumentalisée.
Dans beaucoup de régions reculées du pays, les Organisations non gouvernementales (ONG) prennent la place de l’État, jouant un rôle qui devrait revenir aux autorités.
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Cette situation a culminé après le tremblement de terre de 2010, où des milliers d’ONG étaient réparties sur une partie du territoire. Cela a valu à Haïti le surnom de République des ONG.
12 ans après, le nombre exact d’ONG qui opèrent en Haïti n’est pas connu. Selon la Fondation Clinton, en 2011, le pays comptait environ 10 000 ONG. Depuis le tremblement de terre de 2021, une institution comme l’USAID a travaillé directement ou indirectement par le biais de sous-subventions de partenaires avec plus de 400 ONG et entreprises haïtiennes.
La population a quand même besoin des programmes de ces ONG. Les arrêter en cours de route parce que leurs interventions ne suivent pas les procédures, priverait des personnes qui en ont besoin de l’aide qu’elles offrent. Ce dilemme, explique la mairesse, peut même mener au mécontentement des citoyens, accusant les responsables de tous les maux.
Dans les zones où les ONG interviennent, les habitants peuvent dépendre uniquement des actions de celles-ci pour avoir accès à des services ou des programmes que l’État ne leur offre pas. Comme, au contraire des actions de l’Etat, les interventions des ONG sont en général de nature ponctuelle, et dépendent de la disponibilité de financements divers, cette aide peut s’arrêter du jour au lendemain.
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Dans la commune d’Anse-Rouge, considérée comme l’une des régions les plus pauvres du pays, les programmes d’une ONG ont cessé à cause du Covid-19, en 2020. Selon Dalien Dieuphène, pasteur, dirigeant de l’Association d’aide aux démunis à Anse Rouge, cela a laissé les habitants dans une plus grande précarité qu’avant, vu que l’État a toujours été absent de la commune. A cause de la misère qui sévit à Anse-Rouge, beaucoup d’habitants ont déserté la région.
À l’instar des zones les plus reculées qui ne bénéficient pas de la présence de l’État, selon l’urbaniste Jean Lhérisson, certains quartiers de Port-au-Prince sont tout aussi abandonnés.
« Il se peut qu’il y ait un responsable local avec qui il faut discuter afin de mener un projet, mais le plus souvent, comme ce fut le cas après le tremblement de terre du 12 janvier, ce sont les ONG qui apportent les infrastructures dans ces quartiers », explique-t-il.
Même l’insécurité, qui se manifeste par le contrôle qu’exercent des gangs sur certains quartiers, n’arrête pas pour autant les actions des ONG, alors que l’État, lui, ne s’y aventure pas.
Selon Djems Olivier, dans une entrevue accordée à AyiboPost l’année dernière, pour implanter leurs programmes, des organisations non gouvernementales entretiennent parfois des liens ambigus avec les groupes armés qui contrôlent les localités de leurs interventions.
Soit leur présence accentue le pouvoir des gangs, par exemple les programmes de Cash for work où ce sont eux qui désignent les bénéficiaires, soit elle participe à la diminution de la violence armée. C’est ainsi qu’en 2005, au Bel Air, l’ONG Viva Rio avait réussi à instaurer un programme de paix entre des gangs rivaux.
Quoiqu’il en soit, l’influence des ONG dépasse celle de l’État dans ces quartiers, habituant les citoyens à l’absence des services publics auxquels ils ont droit.
Fenicile Massius a une autre explication, sur cette grande influence. Selon la mairesse, la population a si souvent été bernée qu’elle est réticente face aux initiatives publiques, doutant de la bonne foi des autorités.
« Quand il s’agit d’une initiative portée par un représentant de l’État, les habitants ont tendance à penser que c’est dans le but de les amadouer dans le cadre d’élections à venir. Ils font plus confiance aux organisations étrangères. »
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Pour James Beltis, qui travaille à l’ONG GRET qui intervient dans des quartiers de Carrefour feuilles notamment pour améliorer l’accès à l’eau, l’État décide aussi parfois délibérément de ne pas intervenir dans certaines zones.
C’est le cas dans des espaces consacrés aires protégées. « La DINEPA interdisait aux ONG d’apporter leur aide aux habitants du morne l’hôpital puisqu’ils résident sur des terres publiques qu’ils n’étaient pas autorisés à occuper », révèle-t-il.
Ces dissensions entre ONG et représentants de l’État sont l’une des causes de l’inefficacité des actions des ONG, souvent critiquées.
D’après Beltis, pour qu’elles soient plus efficaces, les interventions des ONG doivent être menées de concert avec les autorités, malgré la faiblesse des institutions publiques. Fenicile Massius estime aussi que pour une meilleure distribution de biens ou de services, et aussi pour un meilleur contrôle de leurs actions, les ONG ne doivent pas se passer de l’État, comme certaines ont tendance à le faire.
Mais plus important encore, les projets des organisations doivent s’établir durablement, pour des résultats réels. Pour la commune d’Anse Rouge, Dieuphene croit que c’est l’accès à l’eau qui doit d’abord être rétabli pour les agriculteurs.
Des programmes de distribution de bons d’achat de nourriture, comme les ONG le faisaient dans la commune, ne sont pas la solution, vu qu’ils confortent l’État dans plus de laxisme face à ses responsabilités vis-à — vis de la population.
D’un autre côté, à l’instar de l’État, les scandales de corruption n’épargnent pas les organisations non gouvernementales. Une enquête publiée en 2015 par Pro publica et NPR, exposait la Croix rouge américaine qui n’avait construit que six maisons, pour un montant de 488 millions de dollars collectés, après le tremblement de terre de 2010.
Mais les spécialistes estiment que l’inefficacité de l’aide publique au développement, principal moteur des actions des ONG, ne peut pas être tenue comme la seule responsable de la situation de pauvreté du pays. L’État, corrompu et faible, y est pour beaucoup.
Photo de couverture : USAID / Haïti
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