Joseph Félix Badio est présenté comme l’un des principaux auteurs intellectuels de l’assassinat de Jovenel Moïse
Le 7 juillet 2021, plusieurs individus, dont des Colombiens, ont fait irruption dans la résidence privée du Jovenel Moïse puis l’ont assassiné de plusieurs balles. Lors de cette attaque, la femme du président, Martine Moïse, est sortie blessée.
Plusieurs personnalités sont indexées dans l’assassinat. Parmi lesquelles on retrouve l’ancien sénateur haïtien John Joël Joseph qui a été arrêté à la Jamaïque, Rodolph Jaar appréhendé en République Dominicaine, le pasteur Christian Emmanuel Sanon arrêté en Haïti, et Joseph Félix Badio qui est recherché par la police.
Badio est accusé d’être l’un des principaux auteurs intellectuels du crime. Il aurait lui-même donné l’ordre d’assassiner le chef de l’État selon des rapports.
Deux voitures de la compagnie de location « RJ Rent a Car » ont participé à l’opération de l’assassinat du président. L’une a été incendiée et l’autre, endommagée, est confisquée par les autorités judiciaires. Ces véhicules ont été loués par Badio le 21 juin 2021.
Ce jour-là, Joseph Félix Badio et ses chauffeurs se rendent à l’entreprise de location pour louer deux pickups Nissan Frontier et deux Nissan Patrol. Il dit aux responsables que les voitures serviront des « missionnaires dans leurs tours aux environs de la zone métropolitaine ». Selon Oly Damus, co-propriétaire de l’entreprise, deux des quatre voitures sont retournées à l’entreprise dans la nuit précédant l’assassinat. « Les deux autres voitures devaient être retournées à l’institution le 9 juillet 2021 », fait savoir Damus, dans un interview avec AyiboPost.
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Badio est un client de RJ Rent a Car, confie Damus. « Il a l’habitude de louer des voitures pour ses activités personnelles et pour des structures comme l’Unité de Lutte contre la Corruption, explique Damus. Il est un fonctionnaire qui a travaillé pour plusieurs institutions. C’est sur cette base que nous [à RJ Rent a Car] lui avons confié les voitures. »
L’entreprise fournit des services de location depuis plus de dix ans, aux dires de l’entrepreneur. « Badio était un client régulier parce qu’il savait qu’on pourrait réduire pour lui les frais de location », estime Damus qui ajoute qu’il n’était pas présent quand Badio était venu louer les voitures, mais ce dernier l’avait appelé pour négocier le contrat.
Oly Damus raconte qu’il a rencontré Badio dans l’administration publique en 2010. À l’époque Damus était conseiller au cabinet du ministre de la Justice Paul Denis et Badio travaillait dans le renseignement avec Léon Charles. Ce dernier a été directeur général de la PNH lors de l’assassinat du président. Léon Charles était régulièrement en contact avec Badio des mois avant l’assassinat de Jovenel Moïse, selon des rapports.
« Je ne sais rien sur la vie privée de [Badio]. Je le connais comme un professionnel de l’administration publique et un client, affirme-t-il. Avant, il n’avait pas de mandat décerné contre lui. Sinon on ne lui aurait pas confié les voitures. »
Les démarches juridiques pour récupérer les véhicules endommagés n’ont pas porté fruit. Les responsables de RJ Rent a Car vont poursuivre Badio pour les deux voitures perdues, annonce le copropriétaire. « L’avocat de l’entreprise travaille sur le dossier. Nous attendons que la justice arrête Badio. Nous le poursuivrons pour qu’il nous paye les deux voitures », affirme l’entrepreneur.
D’après Pierre Esperance, responsable du Réseau national de Défense des Droits Humains (RNDDH), « Badio sait probablement tout ce qui s’est passé lors de l’assassinat de Jovenel Moïse ».
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Badio est un ami de la famille Moïse, selon Pierre Espérance. Il avait l’habitude de fréquenter leur maison.
« Il connaît bien la maison », révèle Espérance qui confie que tout de suite après l’assassinat Badio s’était rendu à la résidence privée de Jovenel Moïse.
« Lorsque Badio est arrivé, Martine Moïse n’était pas encore transportée à l’hôpital, poursuit Espérance. Il a par la suite emporté beaucoup de choses. »
Présenté comme un des personnages politiques les plus connectés d’Haïti, Badio n’a presque aucune trace dans l’univers numérique. Sur le réseau social Linkedin on retrouve un compte portant son nom sans photo de profil avec une courte biographie mentionnant : « Chef de cabinet chez IGPNH/ULCC ». C’est probablement son unique empreinte digitale.
Présenté comme un des personnages politiques les plus connectés d’Haïti, Badio n’a presque aucune trace dans l’univers numérique.
Badio est ingénieur de formation. Il a travaillé en tant à ce titre au bureau du Secrétaire d’État à la Sécurité publique. Il a collaboré avec plusieurs institutions étatiques, dont les ministères de la Justice et de la Sécurité publique, de l’Intérieur et des Collectivités territoriales et l’ULCC.
Selon le journaliste américain, Jake Johnston, lorsque Ariel Henry était ministre de l’Intérieur sous l’ancien président Michel Martelly en 2015, il avait tenté d’embaucher Badio comme chef du renseignement.
Pierre Espérance confie que Joseph Félix Badio est ami et collaborateur du premier ministre Ariel Henry qui dirige le pays depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse. Le suspect aurait pu intégrer son cabinet ministériel. « Badio était pressenti comme ministre de l’Intérieur et des collectivités territoriales du gouvernement d’Ariel Henry avant l’assassinat de Jovenel Moïse », déclare-t-il.
Badio a collaboré avec Rockfeller Vincent lorsqu’il a pris les rênes de l’ULCC en 2017. Selon une lettre signée par le directeur général de l’ULCC, Hans Jacques Ludwig Joseph, Badio a été limogé parce qu’il a sollicité un pot-de-vin de 30 000 dollars américains auprès d’un détenu en échange de sa libération.
Après sa révocation de l’ULCC, Badio a travaillé au côté de Rockefeller Vincent au Ministère de la Justice et la Sécurité publique (MJSP).
Une année après l’assassinat, Badio est toujours en cavale. D’après Pierre Espérance, il serait un protégé de Ariel Henry. C’est pour cela qu’on ne peut l’arrêter. Les deux hommes se sont rencontrés à plusieurs reprises après le meurtre, selon le New York Times.
« Jusqu’en novembre 2021, Ariel [Henry] rencontrait régulièrement Joseph Félix Badio. La police était au courant et on n’a rien fait parce que c’est Ariel Henry qui est le chef du Conseil Supérieur de Police nationale (CSPN). C’est lui qui passe les ordres », affirme Espérance qui révèle que la famille de Badio vit aux États-Unis d’Amérique.
Selon un rapport du RNDDH, publié le 6 janvier 2022, Badio a été en contact depuis de mois avec plusieurs personnalités qui sont aussi impliquées dans le meurtre. « De janvier à juillet 2021, Joseph Félix Badio s’est entretenu avec : Le DG de la PNH Léon Charles, Cinéus Francis Alexis, Reynaldo Covington, Marie Jude Gilbert Dragon, le Premier ministre Ariel Henry, Harshcard Pierre Joseph, John Joël Joseph, Christian Emmanuel Sanon, James Solages et le juge Wendell Coq Thelot », a révélé l’organisme de droit humain.
D’après le RNDDH, Joseph Félix Badio était chargé de coordonner l’assassinat et de recevoir, en temps réel, les informations relatives à tous mouvements du président Jovenel Moïse. « La nuit fatidique de cet assassinat, à partir d’une heure du matin, Joseph Félix Badio s’est entretenu avec Marie Jude Gilbert Dragon, [l’ancien sénateur] John Joël Joseph, Marie Jude Jacques Nau alias Jacky Nau, [le responsable de la sécurité au palais national] Dimitri Hérard, Jude Laurent et le Premier ministre Ariel Henry », rapporte l’institution.
Widlore Mérancourt a contribué à ce reportage
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