Le rappel d’un diplomate à l’étranger peut répondre à plusieurs raisons, et entraîner des conséquences administratives pour le concerné
Dans une correspondance datée du 28 février 2022, le gouvernement haïtien a rappelé six diplomates, dont trois ambassadeurs « aux Services généraux de la Chancellerie ».
Les raisons qui ont motivé ces rappels n’ont pas été rendues publiques. Et jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas encore communiqué les noms des nouveaux diplomates qui seront accrédités à leur place.
Une source dans la diplomatie parle d’expulsion d’individus proches de l’ancien Premier ministre Claude Joseph. Une deuxième source généralement bien au courant de ces développements évoque lui aussi des mesures prises contre des gens nommés par, ou proches de Joseph.
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L’ancien chancelier sous Jovenel Moïse prend publiquement position contre l’administration de fait d’Ariel Henry à la tête du pays. Joseph accuse Henry, dont le nom est cité dans l’assassinat de l’ancien chef d’État, de n’avoir aucune volonté de faire avancer l’enquête.
Contacté par AyiboPost pour une explication qui pourrait être à la base de ces rappels, l’ancien ambassadeur d’Haïti en République dominicaine, Smith Augustin, concerné par la décision, n’a pas souhaité réagir.
« Je préfère, dans les circonstances présentes, ne pas commenter cette décision du gouvernement », a-t-il répondu. D’autres représentants consulaires contactés dans le cadre de ce même travail, tel le Consulat d’Haïti à Orlando en Floride, n’ont pas voulu intervenir non plus.
Une décision importante
Le rappel d’un ambassadeur consiste à lui demander de rentrer dans son pays. C’est l’État qui l’a mandaté qui a cette prérogative. C’est une décision qui a une signification différente, tout dépend de la raison qui la motive. En cas de tensions entre deux pays, rappeler son ambassadeur peut être un signe de désaccord, selon Samson Beucia, avocat au barreau de Port-au-Prince, et spécialiste en droit public.
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« Dans ce cas, il est tout d’abord une sanction diplomatique de l’État accréditant à l’État accréditaire », détaille-t-il.
L’État accréditant peut, selon son pouvoir discrétionnaire, rappeler n’importe quel Chef de mission sans pour autant en donner les raisons. Cependant, le rappel n’est pas forcément une révocation, car l’ambassadeur peut être rappelé soit pour une nouvelle accréditation, soit pour offrir son expertise aux services centraux du Ministère.
Un membre d’une représentation qui a été rappelé peut-être accrédité à la même mission diplomatique ou consulaire, s’il a été rappelé pour consultation. Ce rappel consiste à faire rentrer le concerné quand il y a un problème entre les deux pays, pour comprendre la nature de ce problème. Après quelques jours, l’ambassadeur peut reprendre son poste. « Toutefois, précise Me Beucia, il peut être rappelé définitivement et accrédité à une autre mission ».
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Il n’y a pas forcément d’autres conséquences administratives, ou économiques, selon l’avocat. L’ambassade continue à fonctionner sous le contrôle d’un Chargé d’affaires qui sera désigné par le ministère des Affaires étrangères suivant les prescrits de l’article 19 de la convention de Vienne. Ce traité qui remonte à 1969 codifie les relations internationales juridiques entre les États.
Une pratique courante
Ce n’est pas la première fois qu’Haïti rappelle des ambassadeurs. Si cette fois les raisons ne sont pas claires, d’autres fois elles étaient bien plus évidentes. En juillet 2015, l’ambassadeur Daniel Supplice, en place en République dominicaine a été rappelé définitivement.
Il avait qualifié d’« échec » le Programme d’identification et de documentation des migrants haïtiens en terre dominicaine. Dans plusieurs entrevues, Daniel Supplice avait estimé que l’État haïtien était l’unique responsable de ce qui arrivait aux migrants haïtiens. Quelques jours plus tard, cette prise de position lui a coûté son poste. Ses déclarations étaient ouvertement en contradiction avec le discours tenu par l’administration politique à Port-au-Prince.
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Quant à la vague de rappels actuels, une autre source dans une des ambassades concernées par la décision n’a pas voulu commenter. Mais, explique-t-elle, le mandat de l’ambassadeur est lié au mandat du président de la République. Quand le président n’est plus au pouvoir, l’ambassadeur a l’obligation de faire part par écrit de la disponibilité du poste.
Sauf que, plusieurs ambassadeurs en position sous Jovenel Moïse officient encore dans la diplomatie du pays à l’étranger.
Persona non grata
D’autres incidents diplomatiques peuvent provoquer des ruptures de relations entre deux pays. C’est le symptôme d’un incident grave. Cette rupture n’est utilisée qu’en dernier recours, lorsqu’aucune solution n’a été trouvée sur un désaccord et après que le chef de mission ou des agents diplomatiques aient rejoint leur pays.
Haïti a déjà demandé le rappel d’ambassadeurs étrangers. Plus récemment, sous l’administration de Jovenel Moïse, l’ambassadeur Taïwanais Bang Zyh Liu a perdu les bonnes faveurs du président. Il a été remplacé. Il en est de même pour l’ambassadrice Susan Page, après qu’elle a salué la nomination d’un juge pour investiguer sur les fonds Petrocaribe.
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Le 26 mai 1961, l’ambassadeur américain en Haïti, Robert Newbegin lors d’une réunion avec des représentants du département d’État et de la CIA, a exprimé ses craintes d’être déclaré non grata par François Duvalier. Il était le seul diplomate à ne pas avoir assisté à l’investiture de Duvalier, pour montrer la désapprobation des États-Unis pour le nouveau mandat du dictateur. Et selon les propos de l’ambassadeur Newbegin, Duvalier n’avait pas aimé cet affront.
Mais une autre décision peut provoquer le rappel des diplomates d’un pays. Si l’État qui accueille la représentation déclare l’ambassadeur « persona non grata », c’est-à-dire, personne indésirable, celle-ci est obligée de quitter le pays dans les délais qu’on lui fixe.
« Il peut même être déclaré persona non grata bien avant sa prise de fonction suivant l’Article 9 alinéa 2 », fait remarquer Samson Beucia.
Plus d’un an après sa nomination comme ambassadeur d’Haïti en Belgique en 2015, Josué Pierre-Louis a été déclaré persona non grata par ce pays européen pour son implication dans une affaire de viol. Les Belges ont exigé la nomination d’un autre ambassadeur.
Josué Pierre-Louis a été fait Secrétaire général du Conseil des ministres par Ariel Henry le 16 septembre 2021.
Widlore Mérancourt a contribué à ce travail explicatif.
Image de couverture : Ambassade d’Haïti en République Dominicaine. Facebook
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