La mort de la jeune fille semble démontrer les limites de la législation haïtienne sur la non-assistance à personne en danger
Love Dalanchika Malebranche allait sur ses neuf ans, quand une violente fièvre la foudroie, jusqu’à son décès le 21 janvier dernier.
La mort de Nègès Da, star de très tôt, fera le tour des médias sociaux. Elle lance aussi un débat légal sur les choix de la personne avec qui elle vivait, et de sa mère biologique.
Aucune de ces deux femmes n’a, selon leurs déclarations publiques, sérieusement considéré les hôpitaux comme option privilégiée pour déterminer et traiter la maladie de la fillette.
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En lieu et place des blouses blanches et des rigoureuses méthodes scientifiques, elles ont évoqué une consultation rapide chez une infirmière, alors que l’option hougans a été préférée.
Ce dossier qui parait illustrer les conséquences de la superstition et la méfiance des institutions sanitaires formelles se trouve aujourd’hui entre les mains de la justice. Les faits et accusations rendus publics restent parcellaires, ce qui rend difficile toute évaluation précise des décisions prises.
Mais un fait reste certain : terrassée par un mal non déterminé, Love Dalanchika Malebranche était en danger. Et ses tuteurs n’ont pas préféré l’option qui aurait objectivement pu permettre une amélioration de sa situation.
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La version amendée de la Constitution de 1987 place l’assistance à personne en danger parmi les « devoirs du citoyen ».
Mais, même lorsque la loi mère énonce des dispositions générales, il faut à chaque fois des lois d’application qui permettent de dire quand et dans quelles conditions les principes constitutionnels peuvent être appliqués.
Et dans ce cas précis, c’est le Code pénal qui devrait s’en charger. Or, le Code pénal haïtien adopté au XIXe siècle ne dit rien à propos de la notion de la non-assistance à personne en danger. Il n’existe non plus aucune loi qui exige que l’on emmène une personne malade à l’hôpital.
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Puisque le principe « Nul crime sans loi » est clair, il devient impossible d’incriminer une personne pour non-assistance à personne en danger en Haïti dans l’état actuel de la législation.
Love Dalanchika Malebranche vivait avec Martine Phébé lorsque la fièvre, qui plus tard réclamera sa vie, la foudroie début janvier. Cette dame a pris l’enfant sous ses ailes au sein de l’association Thoy’art, une structure dédiée à la promotion de la culture et à la protection de l’environnement, selon des vidéos consultées sur sa page Facebook. AyiboPost n’a pas pu vérifier avant publication la légalité de Thoy’art, ni son habilité à héberger des enfants.
La mère de la fillette, Germanie Cadet, sera informée de son malaise. Le timing et l’enchainement des évènements restent à déterminer par la justice. Mais les deux femmes s’accusent mutuellement d’être responsables de la mort de Nègès Da.
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« Je devais pousser un cri ou frapper Da pour attirer son attention », a affirmé Martine Phébé dans une vidéo diffusée sur Facebook, où elle donne des détails, parcellaires, sur l’évènement.
Dans un premier temps, la fillette est traitée à domicile, avec des remèdes naturels. Elle ne sera pas amenée à l’hôpital « pour ne pas qu’on associe sa situation à un cas de Covid-19 », affirme Martine Phébé dans une vidéo publiée sur la page Facebook de son association. Elle dit aussi que la mère de Nègès Da et elle ont conclu de ne pas l’y emmener.
D’autres déclarations publiques des deux dames font état d’une brève visite chez une infirmière qui sera écourtée par une intervention de la mère biologique de l’enfant, malgré les protestations du professionnel de la santé. AyiboPost n’a pas indépendamment pu vérifier cette affirmation.
Nègès Da sera transportée chez un hougan et fin janvier, elle trouve la mort.
« Ni Martine Phébé ni les parents de Da ne sont médecins », souligne l’avocat au barreau de Port-au-Prince, Jusnel Jean. Selon l’homme de loi, la première réaction que ces personnes auraient dû avoir était d’emmener la fillette à l’hôpital.
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Trois éléments doivent être réunis pour parler de non-assistance à personne en danger et ils sont présents dans ce dossier, affirme Jusnel Jean. D’abord, il y a l’imminence. Puis, le fait que la personne supposée porter assistance à une autre en danger ne doit pas risquer sa propre vie. Et enfin, il faut que l’intervention de la personne puisse repousser la menace.
En droit pénal, il y a les éléments légal, moral, matériel et intentionnel. Mais les pratiques superstitieuses ne sont pas prises en compte. Ce, « pour ne pas mélanger science et mysticisme au risque de créer des particularités qui n’existent pas », avance de son côté l’avocat Nathan Laguerre.
De plus, le droit reconnait la liberté de conscience. C’est-à-dire qu’un individu est libre de confesser la religion qu’elle veut. Si cette personne, à l’instar de Martine Phébé et Germanie Cadet, agit en fonction de ses croyances, on ne peut donc l’incriminer.
« La fièvre est une alerte. Soit un symptôme qui est toujours accompagné d’autres symptômes comme maux de ventre, maux de tête, yeux jaunes… Ces symptômes mettent en garde contre quelque chose qui ne va pas bien dans le corps ».
Aussi, Germanie Cadet et Martine Phébé avaient toutes deux le droit de se tourner vers le surnaturel au lieu d’emmener Nègès Da à l’hôpital.
Le vieux Code pénal haïtien a été dépoussiéré par l’ancien président, Jovenel Moïse, en 2021. Le nouveau texte devrait prendre effet en février 2022. Mais l’initiative est critiquée. « Un code pénal ne peut être adopté par décret », dénonce l’avocat, Nathan Laguerre. Cet acte commis par Jovenel Moïse est donc considéré comme illégal parce qu’il n’avait pas les qualités pour le faire.
Contrairement à l’actuel Code pénal, le nouveau texte accorde toute une section à la notion de non-assistance à personne en danger.
La médecine traditionnelle demeure très riche en Haïti. Elle sauve des vies et des experts s’y appuient pour faire des interventions locales plus efficaces.
Cependant, la superstition et la méfiance envers les institutions formelles de santé inquiètent. « Les Haïtiens n’ont pas le réflexe de se diriger d’abord vers les centres hospitaliers lorsqu’ils sont malades. Il s’agit même de leur dernière option », observe le docteur Boutroce Gally Pierre. Il parcourt les communes reculées du département de la Grand’Anse avec une initiative dénommée Brigade d’intervention médicale.
Malaria, tuberculose, VIH, grippe, coronavirus… Il existe une batterie de maladies pouvant provoquer de la fièvre. Et selon ce qu’il en est, des parties spécifiques du corps seront touchées.
Pourtant, « nous autres Haïtiens, ne voyons pas en la fièvre un danger », regrette Boutroce Gally Pierre. Cette attitude dangereuse, le docteur l’explique par le fait que nous avons tendance à croire que la fièvre est une maladie. Ce qu’elle n’est pas.
« La fièvre est une alerte. Soit un symptôme qui est toujours accompagné d’autres symptômes comme les maux de ventre, maux de tête, yeux jaunes… Ces symptômes mettent en garde contre quelque chose qui ne va pas bien dans le corps ».
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Cela dit, la fièvre devrait à elle seule suffire pour nous faire emprunter le chemin de l’hôpital. Mais le premier réflexe reste la consommation de tisanes, notamment dans les zones rurales. Cette habitude peut avoir de fâcheuses conséquences, d’après le docteur formé en médecine sociale. Surtout quand les dosages ne sont pas respectés. Car « lorsqu’une personne est fiévreuse et qu’on lui fait ingurgiter des concoctions de feuilles, il peut arriver qu’une fois à l’hôpital les médicaments administrés ne fassent pas effet, ou prennent plus de temps qu’ils le devraient ».
À côté des remèdes feuilles sans intervention de professionnels, il y a pire. Et Boutroce Gally Pierre pense que Nègès Da peut en voir été victime. Au micro d’un journaliste, la mère de la fillette a confirmé que sa fille était brulante le 5 janvier, mais que le lendemain 6, elle n’avait plus de fièvre. On a « koupe » la fièvre de la petite, selon le docteur. Cette pratique est aussi courante que problématique.
« De même que les douleurs, on n’éradique pas les fièvres sans savoir ce qui en est la cause, met en garde le président de la BIM. Dans le cas contraire, on ne fait que forcer la température du corps à baisser tandis que le mal demeure et risque de s’aggraver ».
D’ailleurs, « quiconque voit qu’il avait de la fièvre et que celle-ci a disparu d’elle-même, devrait s’inquiéter, selon Pierre. Cela peut être un signe que notre système immunitaire ne réagit plus ». Le virus peut être devenu plus fort que lui au point de le mettre hors fonctionnement. Et puisque les mécanismes de défense des enfants et des personnes âgées sont fragiles, il devient par conséquent urgent de prendre ces groupes de personnes en charge lorsqu’elles sont malades.
Image de couverture: Photo de Nègès Da tirée d’une vidéo de Thoy art sur Youtube. Carvens Adelson / AyiboPost
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