L’écrivain Lyonel Trouillot était de passage a Chita Pale avec AyiboPost le 17 mars dernier. Extraits choisis
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La situation actuelle du pays est « le résultat à long terme de l’histoire et à court terme du régime PHTK qui utilise le pouvoir politique uniquement à des fins d’enrichissement, par les moyens de la corruption et aux fins de se maintenir au pouvoir par les moyens de la répression. Ils en viennent à utiliser le banditisme comme arme politique, ce qui est une chose terrible dans l’histoire du pays. »
« Je ne veux pas croire que le Premier ministre peut avoir un discours comme quoi : “ou pran gòl, ou bay gòl” pour parler de gens ayant perdu la vie. Encore, des policiers dans l’exercice de leurs fonctions. La vie n’a aucune valeur pour le régime PHTK. Leur unique but c’est de rester au pouvoir. »
« Nous sommes parvenus à un point ou ce sont des malandrins qui sont au pouvoir. Nous avons au pouvoir des gens sans vergogne, sans dignité, sans respect de la vie humaine. Un jour, ils font l’alliance avec les bandits ; un autre jour, ils sont contre les bandits. Leur seul objectif, c’est de rester au pouvoir. »
« La violence s’accompagne presque toujours de réactions extrémistes. Il ne serait pas normal de tenir pour responsables les citoyens du village de Dieu dans ce que nous vivons aujourd’hui. Les premiers coupables historiques sont ceux qui ont permis à la reproduction sociale et à la désocialisation de monter en puissance. Des gens sans avenir économique et sans repères sociaux deviennent des bandits. Ils ne sont pas nés bandits. »
« Je ne suis pas en train de défendre ni de légitimer les bandits. Mais la société les a conditionnés à devenir des bandits. Il y a des responsables de politique directe qui utilisent les bandits comme arme politique. Il y a des gens qui habitent le village de Dieu, qui ne sont pas en relation avec les politiciens et qui sont quand même victimes. L’on ne doit pas se laisser aller à ce réflexe de faciliter en liquidant le village de Dieu. Ces gens sont des citoyens comme tous les autres. D’ailleurs, ils sont les premières victimes de ce qui se passe. »
« Une fois, j’ai entendu un élève dire quelque chose et cela m’a vraiment beaucoup marqué : quant aux bidonvilles, souhaitons que la pluie nous en débarrasse. Cela relève de préjugés sociaux contre lesquels il nous faut lutter. Ils ne doivent pas déterminer la façon dont nous réagissons dans les situations difficiles. Au contraire, le moment que nous vivons est idéal pour constituer un bloc historique de peuple, pour réorienter ce pays. »
« Chaque fois que nous pensons qu’il y a une raison de raser un lieu, c’est qu’il y a un problème. C’est une logique à laquelle nous devons éviter de prendre part. »
« Je crois qu’un véritable travail intellectuel doit être fait pour attirer l’attention du pays sur la nécessité de produire, reproduire, adopter des codes éthiques. Il nous faut trouver les termes d’un vivre ensemble. Nous devons nous débarrasser des cliques de l’état pour pouvoir penser au recommencement, ce qui est fondamental. »
« Le régime en place est un régime autoritaire à vocation dictatoriale puisqu’il n’est pas constitutionnel. Il dirige par décret, affaibli les institutions. Dès qu’un régime ne trouve pas d’autres moyens de résoudre les contradictions sociales sinon que par les armes, la répression, il est dans une logique dictatoriale. Il y a une grande différence entre la volonté et la capacité réelle de réaliser. Aucune action entreprise par ce pouvoir ne relève de la démocratie. »
« Jovenel Moïse fait partie du problème, il ne fait pas partie de la solution. Jovenel Moïse est un phénomène résiduel. Il peut passer encore un peu de temps au pouvoir, mais il ne peut produire rien qui vaille. Il ne peut convaincre personne de quoi que ce soit. Il ne m’intéresse pas. Nous sommes à un moment historique qui ne me permet d’être gentil avec personne. »
« Je regarde des jeunes qui n’ont rien, qui viennent de quartiers pourris, qui s’engagent dans les manifestations. Et j’entends des gens qui sont nettement plus confortables qu’eux dire qu’ils ont été payés pour le faire, ce qui n’est en aucun cas vrai. Ils se sont engagés de par leur conscience citoyenne. Je n’ai pas à être gentil avec les bourgeois ou petits bourgeois qui n’assument pas leur responsabilité devant quelqu’un qui tue des gens, un assassin. Je pense qu’il y a une limite à ne pas franchir. »
« Il faut dénoncer ces gens qui pour une raison économique ou par lâcheté ont franchi certaines limites. Quelle idée pour un jeune instruit, d’accepter un travail dans la diplomatie qui implique d’être soudoyé et de faire de la propagande ? Pour moi cela est clair, à partir du moment où le sang coule, on ne joue pas. Il y a une limite à ne pas franchir. »
« Le manque de repère ajouté à la précarité conditionne des professionnels à offrir leur service au régime en place. Beaucoup d’entre eux ont été éduqués aux frais de l’État. Ensuite, ils ont été détachés de toutes structures. Sans compter qu’ils veulent tout avoir tout de suite. »
« Il y a dans la société une forme de tolérance que nous acceptons qui permet au pouvoir ce recyclage continu. Si nous prenons l’exemple de celui en place, il recycle continuellement. Les pires éléments de tous les pouvoirs passés sont les siens. Et quand il ne peut les trouver, il se sert de leurs fils. »
« C’est une honte de se poser la question de savoir si les étrangers sont d’accord avec la fin du mandat de Jovenel Moïse. La fin de son mandat est dûment constatée de notre côté et c’est tout. S’ils ne sont pas d’accord tant pis. Le fait qu’ils osent se prononcer sur la question de la fin du mandat présidentiel démontre qu’ils sont dans une logique impériale. C’est cette même logique de parodie de démocratie instituée après Duvalier. »
« Je ne vois pas comment on pourrait dire aujourd’hui que oui on va avoir un référendum, on va avoir des élections et tout va bien se passer. Maintenant que la presse internationale s’intéresse au cas d’Haïti et que la société civile commence à se mobiliser, le mensonge de ce faux semblant de démocratie leur éclate à la figure. »
« J’ai fait la remarque une fois en France, cela n’a pas plu au journaliste. Il était en train de me dire que mon pays allait mal. Et je lui ai expliqué que lorsqu’il avait un mauvais président, il l’avait lui-même élu. Quand moi, j’avais un mauvais président, c’était encore lui qui l’avait élu. PHTK n’a pas été élu par les Haïtiens. Il est donc normal que l’étranger essaie de sauvegarder ses intérêts. »
« Il est peut-être difficile de l’admettre, mais en dépit du fait que ce soit Haïti qui vit cette situation, ce qui se passe aujourd’hui en Haïti ne concerne pas Haïti seulement. C’est l’échec de la logique impériale. Il y a une véritable bataille pour le maintien de cette logique impériale. »
« Je pense qu’aujourd’hui un discours de la dignité doit être rétabli dans ce pays. Nous ne pouvons pas laisser le pays à des bandits avides de pouvoir, ce n’est pas possible. Je sais qu’il est risqué de dire ces genres de choses. On ne sait pas ce qui peut se passer. Nous avons un pouvoir qui utilise le banditisme comme arme politique. »
« La seule véritable solution à envisager est la solution politique. Il faut que les politiques s’entendent sur une solution et que nous nous obligions à suivre cette solution. Il nous faut penser la profondeur de nos contradictions et évaluer des propositions pouvant mener à une sphère commune de citoyenneté. »
« J’insiste sur les crimes de sang, car nous les petits bourgeois, la moyenne bourgeoisie, nous avons tendance à ne pas considérer les gens qui habitent les quartiers défavorisés comme des humains au même titre que nous. Ceux qui sont arrivés à la Saline, au Belair ne sont pas acceptables. Ce sont des choses aussi graves que les massacres orchestrés par le régime Duvalier. Nous ne pouvons pas accepter qu’un mort ait plus de valeur qu’un autre à cause de ses origines sociales. »
« Nous ne pouvons pas laisser ces crimes passer sous silence. Ces gens déjà anonymes au cours de leur vie ne peuvent pas le demeurer à leur mort. »
« Je ne me vois pas faire une décantation entre l’art et l’exercice de la politique d’une personne qui est à la fois un artiste et un politique. Il y a des actions qui sont tout simplement inconcevables. Et de façon individuelle moi, je ne peux pas. »
« Il y a deux choses à considérer : la liberté d’expression. Je suis pour la liberté d’expression. Tu as une opinion, on va la mettre à débat. Tout le monde doit pouvoir s’exprimer librement. Mais quand il s’agit de crime, c’est une autre affaire. La sanction doit être universelle. Nous devons cesser cette culture de tolérance. Un criminel doit être pénalement sanctionné, peu importe qu’il soit artiste, président, peu importe qu’il ait la peau claire. »
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