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Un responsable de Muska Films raconte le kidnapping de 3 membres de son équipe

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Gilbert Mirambeau Jr se confie à Ayibopost 

Le samedi 20 février 2021, trois membres de l’équipe du film Malatchong ont été enlevés à proximité de la 5e Avenue Bolosse alors qu’ils revenaient d’un tournage à Jacmel.

Il s’agit de l’Haïtien Junior Albert Augusma dit Tinèg et de deux citoyens dominicains, Maico Enrique Campusano Féliz et Antonio Gener Campusano Féliz.

Malatchong est produit par Muska Films. Avant Malatchong, ce groupe avait présenté au public haïtien, le film Kafou.

Alors que des médias rapportent la constitution d’un « squad » anti-kidnapping par le gouvernement dominicain pour venir extraire les victimes, le cinéaste Gilbert Mirambeau Jr. raconte à AyiboPost le déroulé des événements.

Ayibopost : Gilbert Mirambeau Jr., expliquez-nous ce qui s’est passé le samedi 20 février dernier. 

Gilbert Mirambeau Jr. : J’ai vu l’enlèvement de mes propres yeux. Nous étions une quinzaine de voitures dans un convoi. Nous sommes restés à Léogâne pour un contrôle de la police. Ils voulaient vérifier si tout allait bien. Pendant la fouille je crois avoir vu une ou deux voitures qui nous dépassaient de manière bizarre. Mais j’étais très fatigué, je n’ai pas prêté attention à cela.

Quand nous sommes arrivés à Carrefour, ils ont commencé à rentrer puis à essayer de casser le convoi de 17 voitures. Mais c’est aux environs de la 5e avenue qu’ils ont croisé devant le camion qui transportait la génératrice. Et là, ils ont procédé au kidnapping de notre compatriote haïtien et les ressortissants dominicains.

Avez-vous eu des nouvelles des otages?

Nous leur avons parlé. Ils vont bien jusqu’à présent.

Pourquoi avez-vous fait un convoi de 15 voitures à une heure pareille?

Pourquoi y a-t-il le kidnapping dans le pays ? On ne devrait pas pouvoir circuler librement ? Nous voulions trouver une heure exacte pour rentrer chez nous. Il y a beaucoup de cas d’enlèvement durant les trajets qui se font dans la journée. Plusieurs personnes nous ont conseillé de sortir tôt le matin ou tard le soir. Quand on nous a attaqués, il était entre 9 h et 9 h 30.

Le souci c’est qu’il y a un réel problème d’insécurité dans le pays. Bien que j’aie pris toutes les mesures pour sécuriser mon équipe, nous étions quand même attaqués.

Comment avez-vous assuré votre sécurité?

Nous avions huit agents de police avec nous. Devant et derrière le convoi, il y avait deux policiers. Les autres étaient éparpillés au milieu du convoi. Les policiers étaient en civil.

Ce n’est pas le nombre des policiers qui compte. S’il y avait 40 policiers, je ne pense pas que cela changerait quelque chose. La situation pourrait être plus dramatique, ils pourraient nous tirer dessus. Nous pourrions tous mourir. On n’en sait rien et on ne le saura jamais. Mais à la fin, il y a un problème réel dans le pays qu’il faut résoudre. Et ce n’est pas en tuant les gens dans leur quartier qu’on va le résoudre. Les jeunes ont besoin d’espoir, de travail et d’opportunités. Il faut aussi freiner la corruption et l’impunité dans le pays.

Vous pensez que l’enlèvement pourrait venir de vos agents de sécurité?

Non, jamais. Ce sont des gens de confiance. Notre collaboration a commencé depuis le tournage du film Kafou, en 2015.

Le souci c’est qu’il y a un réel problème d’insécurité dans le pays. Bien que j’aie pris toutes les mesures inimaginables pour sécuriser mon équipe, nous étions quand même attaqués.

Pour le tournage du film Malatchong, nous avons fait deux sessions. La première session avait eu lieu en 2019. Nous sommes en train de tourner l’autre session. Durant tout le tournage, ces mêmes policiers ont été avec nous. Il y a toujours, au minimum, environ huit policiers sur le plateau.

Pensez-vous que si les policiers avaient riposté, il pourrait avoir un drame plus tragique que l’enlèvement des trois membres de l’équipe?

Je n’avais jamais vu de tels fusils dans tout le pays. Même les agents de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN) ne portent de telles armes. Ce n’était pas une mince affaire. Quand ces hommes nous ont attaqués, nous sommes restés figés. Tout s’est passé en quelques secondes. Ils étaient quatre hommes armés à bord d’un Pick up Hilux immatriculé Service de l’État, vitre teintée en noire.

Depuis combien de temps collaborez-vous avec Junior Albert Augusma et les ressortissants dominicains?

Depuis 2019. Les dominicains sont des techniciens en électro (électrique) machino (machine). Ce sont eux qui font l’éclairage. Ils collaborent conjointement avec le directeur de photographie. Cependant, il était difficile pour nous de communiquer avec eux parce qu’ils ne parlaient ni l’anglais ni le français. Nous avions eu besoin d’un traducteur et interprète. Et un ami m’a référé Ti Nèg.

Comment le reste de l’équipe fait face à ce drame?

Nous sommes tous sous le choc. Nous avons des ressortissants de plusieurs pays qui travaillent avec nous. C’est peut-être la première fois qu’une telle expérience se fait dans le cinéma haïtien où l’on trouve dans une même collaboration, des Français, Dominicains, Colombiens et Belges.

Les Haïtiens sont très secoués. Mais ils font face au drame avec courage parce qu’ils sont devenus résilients aux vagues d’enlèvement. Nous ne sommes pas autant affectés que les autres communautés qui ne connaissent pas nécessairement le phénomène de kidnapping. Ils ont pris deux dominicains, mais en réalité, ils sont quatre frères.

Comment voyez-vous l’avenir du tournage? 

Nous sommes affaiblis moralement. Il ne serait pas normal de monter un plateau demain matin alors que trois membres de l’équipe sont encore dans un trou. Je mesure toutes les possibilités pour envisager la poursuite du projet.

En parallèle, nous faisons des négociations pour libérer les gens. S’ils sont libérés demain matin, nous pourrons prendre un moment de répit pour rebalancer. Nous concertons avec tous les membres de l’équipe pour savoir s’ils peuvent continuer. Je ne peux dire que nous allons suspendre le tournage tout comme je ne peux dire que nous allons reprendre le lendemain matin. En temps et lieu, nous déciderons si le tournage doit continuer.

Est-ce que ce drame va vous booster davantage dans votre militance?

Je n’avais jamais lâché, je suis dans un tournage maintenant, je ne peux pas gagner les rues, intervenir dans les radios. Mais une fois que le tournage aura fini, je redoublerai d’efforts pour continuer la bataille. Nous devons construire une nouvelle classe politique. Cela prendra du temps.

Je veux m’impliquer davantage dans la politique et servir mon pays. Nous avons besoin de nouveaux visages. Les gens qui sont au-devant de la scène maintenant essayent de se renouveler dans le système. Ils ont une vingtaine d’années depuis qu’ils jouent à la chaise musicale. Nous ne pouvons pas tolérer ces situations.

Durant les cinq à dix dernières années qui viennent de s’écouler, il n’y avait pas autant d’armes dans le pays. C’est grave. Si rien n’est fait, nous allons devenir comme le Honduras, le Salvador, la Somalie, le Yémen et j’en passe. Nous devons faire quelque chose. Dimanche prochain je serai dans les rues pour manifester.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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