Une victime d’agression sexuelle à l’Université chrétienne du Nord d’Haïti témoigne
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Marianne Gué, une employée de l’Université chrétienne du Nord d’Haïti a été violée dans l’enceinte même de l’établissement dans la nuit du 7 au 8 septembre 2020. Alors qu’elle était dans son lit, un bruit a troublé son sommeil.
« Il était 1 h 52, se rappelle la dame. Généralement, je dors avec la lumière allumée pour avoir le contrôle de tout ce qui se passe dans mon environnement. J’ai vu quelque chose passer. Un homme cagoulé a pénétré la pièce et m’a demandé de ne pas crier. Il m’a dit qu’il avait reçu une rançon pour me tuer, mais qu’il n’allait pas le faire. »
L’homme emporte les affaires de la dame incluant son téléphone, son ordinateur et un disque dur. Ensuite, il lui demande de sortir de sa chambre. Elle refuse. Mais l’homme n’était pas seul, il était accompagné d’un complice qui, lui, était armé. Dehors, il n’y avait personne.
« Mon appartement se situe tout près de la barrière où se trouvent les agents de sécurité, mais ce soir-là, je ne les ai pas vus. Mon agresseur m’a poussé au sol. J’ai chuté sur le dos. Il m’a tiré un coup de poing dans la côte. J’ai crié à l’aide, mais personne n’est venu me secourir. Il a essayé de m’étouffer, je me suis évanoui sur le champ. »
Cauchemar sans fenêtre
Lorsque Gué a repris conscience, elle pensait être dans un rêve. Mais quand elle a vu la lune et les étoiles, alors qu’elle n’avait pas dormi en plein air, elle s’est rendu compte que tout cela était bien réel. « Quand je me suis réveillée, j’ai vu ma culotte déchirée. L’homme était encore sur place. Après avoir fait son acte ignoble, il m’a dit de m’en aller », se lamente-t-elle. Depuis, Gué a arrêté de fréquenter l’établissement.
Mais ce n’était qu’un début. Le 23 octobre 2020, elle s’est rendue à l’université pour récupérer ses affaires. Avant même de pénétrer son appartement, un homme cagoulé s’est mis en travers de son chemin.
« Il m’a dit de ne pas crier. C’était le même homme qui m’avait violée. Il avait la même voix et la même odeur. Il m’a tiré des coups de machette. J’ai crié, des étudiants sur le campus sont venus me secourir, mais l’homme s’était enfui. » L’épaule et une partie du sein gauche de la dame sont perforés. Elle dit que si elle n’avait pas crié, son agresseur l’aurait tué à coup de machette.
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Au moins cinq étudiantes auraient été violées à l’Université chrétienne du Nord d’Haïti. Les responsables de l’université nient ces allégations. « Après notre employée, il n’y a qu’une seule étudiante qui ait été violée. Mais c’était en dehors du campus. On essaie de faire des amalgames avec le dossier », déclare Jean Dona Darius, le recteur de l’institution.
L’UCNH a sorti une note le 7 novembre 2020 pour déplorer l’incident. Une douzaine de suspects a été arrêtée, dont trois agents de sécurité. Selon le recteur de la structure, l’un d’entre eux est décédé en prison. Il était malade bien avant son incarcération.
Contacté par Ayibopost, Me Richemont Florival, le commissaire du gouvernement du Cap-Haïtien qui se chargeait de l’affaire, dit avoir fait son travail. « J’ai soumis le dossier au cabinet d’instruction. Mais le tribunal est dysfonctionnel depuis neuf mois. Donc je ne peux vous dire comment le dossier évolue. »
Menaces constantes
Avant ces drames, Marianne Gué se sentait déjà menacée pour son poste. Cette femme âgée d’une trentaine d’années est avant tout, une ancienne étudiante de UCNH. Entre 2011 et 2018, elle y obtient une licence en Gestion et un master en leadership et développement.
Alors qu’elle faisait sa licence, Marianne Gué a appliqué pour un poste au sein de l’établissement. En 2018, après son master, elle commence à gérer les finances de l’établissement. Comme beaucoup d’autres employés, l’ancienne étudiante a été hébergée sur le campus de l’UCNH.
En 2016, un nouveau conseil investit le rectorat de l’université. Mais, il semble, selon l’employée, que certaines personnes n’ont pas aimé l’administration du conseil élu. Dans la deuxième semaine du mois d’août 2020, des graffitis apparaissaient sur des murs, les accusant d’avoir dilapidé les fonds de l’établissement. « On me visait personnellement parce que je gère les finances de l’université. » Selon Marianne Gué, ce sont d’ anciens dirigeants de l’université qui fomentent ces actions.
Retour de la paix ?
Jean Dona Darius n’abonde pas dans le même sens. D’après le recteur, les anciens dirigeants de l’établissement sont des collaborateurs avec qui il garde de très bons rapports. L’UCNH existe depuis 1947. Et selon lui, jamais de telles situations n’avaient eu lieu auparavant. « Le dossier est déjà devant la justice. Nous attendons les résultats de la procédure pénale. Il y a une certaine lenteur. Nous devons savoir l’origine de ces faits. En attendant, nous avons pris des mesures pour renforcer la sécurité. Nous sommes en train d’installer des caméras de surveillance pour vérifier l’identité de tous ceux qui fréquentent l’université. »
Le recteur estime que le calme est revenu. L’université a repris ses activités académiques. En janvier dernier, il y a eu une cérémonie de graduation.
Cependant Marianne Gué reste encore cloîtrée dans sa maison. « Les cicatrices ne sont pas encore guéries. Le médecin m’a dit qu’il faut attendre six mois. Mon moral n’est pas au beau fixe parce que j’ai toujours peur. Si je n’ai personne pour m’accompagner, je ne sors pas de chez moi ».
Laura Louis
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