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Plus de 400 œuvres archéologiques haïtiennes volées sont retournées par le FBI

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L’Administration fédérale américaine remettra officiellement ces objets au Bureau national de l’Ethnologie demain vendredi 14 février 2020. Plongée au cœur d’un problème majeur

On est en avril 2014 à Indianapolis aux États-Unis. Un américain, globetrotteur au crépuscule de sa vie, reçoit une visite incommodante. Donald Miller s’y fait, car il s’agit du « Bureau fédéral d’enquête ». Les agents du FBI resteront six jours à parcourir la deuxième maison et les multiples dépendances que possède l’homme excentrique.

Et dans ces sortes de cavernes d’Alibaba, entrepôts des trésors du monde, les membres de l’Unité de lutte contre les Crimes liés aux arts et aux biens culturels effectueront la plus importante saisie d’artefacts de toute l’histoire du FBI.

En gros, les enquêteurs comptent 42 000 objets culturels d’Amérique du Nord et du Sud, d’Asie, des Caraïbes et de Papouasie–Nouvelle-Guinée. Dans la liste, l’on retrouve 2000 ossements humains, provenant principalement de sépultures amérindiennes vandalisées, 7 000 biens culturels mal acquis, dont des centaines volés à Haïti.

L’Administration fédérale américaine remettra officiellement les œuvres subtilisées au Bureau national de l’Ethnologie ce vendredi 14 février. Ici, ils sont débarqués pour être entreposés au BNE, mardi 11 février. Photo: Frantz Cinéus / Ayibopost

Près de six ans après l’opération, les artefacts haïtiens en grande majorité des objets archéologiques qui datent de la période précolombienne (4500 av. J.-C. à 1500 apr. J.-C.) seront remis officiellement au Bureau national de l’Ethnologie (BNE), lors d’une cérémonie ce vendredi 14 février. Comment ces objets ont-ils quitté Haïti ? Assurément pendant les « dizaines » de voyages effectués dans le pays par Donald Miller, révèle Tim Carpenter, l’officier FBI en charge de l’opération.

Donald Miller (en rouge) en Haïti

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Donald Miller a passé 30 ans à travailler comme ingénieur électricien, tout en effectuant des allers et retours pour construire des églises en Haïti notamment. Durant ses excursions dans des dizaines de pays, le missionnaire chrétien américain aurait pris part à des fouilles illégales et récupéré des objets historiques importants, dont une bonne partie de façon illicite. Les enquêtes sur l’affaire étaient en cours quand il est mort en 2015.

Pilons, pierres à trois pointes, chaises sacrées, objets précieux… ces témoins du passé doivent fournir des indices sur un pan peu étudié de l’histoire d’Haïti. Collage de photos fournies par le FBI

Un pan de l’histoire d’Haïti

« Nous avons identifié plus de 460 objets haïtiens », détaille le chercheur Joseph Sony Jean. Le consultant du BNE a passé des années à analyser les œuvres culturels en collaboration avec le FBI. « La plupart de ces artefacts sont en pierre, en terre cuite, en bois ou en os. On a également des objets en coquillage ».

Pilons, pierres à trois pointes, chaises sacrées, objets précieux… ces témoins du passé doivent fournir des indices sur un pan peu étudié de l’histoire d’Haïti. « Les gens qui ont fait ces objets vivaient sur cette terre avant la période coloniale, avant Christophe Colomb analyse l’archéologue Joseph Sony Jean. Donc, l’histoire d’Haïti n’a pas commencé avec Christophe Colomb ni avec la colonisation française. C’est une histoire très profonde. Nous devons remonter à la période amérindienne avant Christophe Colomb. »

La restitution de ces œuvres archéologiques soulève en outre plusieurs questions. En tête de liste se trouve la capacité d’Haïti à les conserver dans des conditions optimales. « On n’a pas d’infrastructure pour l’anthropologie, mais le musée est doté d’air conditionné », révèle Erol Josué, directeur général du BNE. « On est en train de construire les entrepôts du musée qui sera un plus grand building, financé par l’État haïtien. »

Le BNE n’a pas non plus la capacité d’exposer une quantité aussi importante de pièces archéologiques. Erol Josué se veut optimiste. « Cela doit impulser le désir de monter le musée de la civilisation des Taïnos ou des civilisations en général. »

Tim Carpenter du FBI à droite et Erol Josué à droite du BNE. Photo : Frantz Cinéus / Ayibopost

Un problème structurel profond

Les États-Unis et Haïti continueront de coopérer sur les questions de restitution de biens culturels mal acquis. Des discussions sont en cours pour rapatrier d’autres objets haïtiens entreposés aux États-Unis selon Erol Josué. Plus de 500 tambours vaudou, emportés pendant l’occupation américaine se trouveraient dans un musée du pays. « Pour retisser les liens, nous devrions récupérer ces œuvres qui font partie de l’histoire d’Haïti », déclare le directeur général du BNE.

Dans une note transférée à Ayibopost, un officiel de l’ambassade des États-Unis confirme l’existence de discussions sur le rapatriement de plusieurs tambours. L’officiel précise qu’il n’a pas connaissance de l’existence de « centaines » de tambours.

Le déplacement de ces types d’objets constitue cependant un problème fondamental. Des pièces artistiques et archéologiques d’Haïti se trouvent exposées dans des musées et collections privées un peu partout à travers le monde.

Ces œuvres « ont participé à la mise en place d’une civilisation », explique le sociologue Kesler Bien Aimé. Pour le professionnel du patrimoine « [elles] peuvent se déplacer, mais l’on doit se demander dans quel contexte. Quand le droit de regard, de possession, d’utilisation et d’exposition de ces pièces nous échappe, cela contribue à l’appauvrissement du pays et des connaissances sur le territoire. »

Le manque à gagner pour Haïti demeure important, analyse Allenby Augustin, spécialiste en Management des Organisations culturelles. Ces œuvres qui, naturellement appartiennent à Haïti, participent à l’enrichissement de musées occidentales alors qu’Haïti n’arrive pas à se doter d’infrastructures capables de les exploiter.

Ces œuvres « ont participé à la mise en place d’une civilisation », explique le sociologue Kesler Bien Aimé. Photo: Photo : Frantz Cinéus / Ayibopost

Le fléau de la spoliation

L’autre pendant du problème concerne la capacité d’Haïti à protéger adéquatement son patrimoine matériel. La plupart des objets trouvés dans la collection de Donald Miller appartenaient au BNE. À un moment de la durée, ils ont disparu et personne n’a retrouvé leurs traces. Parce qu’en réalité, les biens de l’État et des objets situés sur des sites historiques se volatilisent régulièrement dans le pays, notamment lors des troubles politiques ou des catastrophes naturelles. « Ces œuvres n’étaient pas bien protégées », admet Erol Josué, installé comme directeur général du BNE en 2012. « On a eu beaucoup de problèmes politiques en 1986. À l’époque, on a cassé le bureau d’ethnologie deux ou trois fois, il y a des pièces qui ont disparu. »

Le pire, c’est que personne ne peut dire avec précision de quoi se compose le patrimoine matériel, artistique et archéologique de l’État haïtien. « Après le séisme, on a eu des gens disparus et des œuvres aussi », raconte Pradel Henriquez, directeur de cabinet du ministre de la Culture et de la Communication. « Pour savoir ce qu’on a perdu, il faut un inventaire. Il y a des choses sommaires qui sont faites pour le patrimoine matériel. Mais il n’y a pas d’inventaire complet. Cet inventaire, il faudra le faire. »

Et si des efforts sont effectués pour intégrer dans la législation haïtienne des textes internationaux sur la protection du patrimoine, les institutions restent faibles. « Ces temps-ci, nous sommes un pays assez vulnérable, et libre, ou beaucoup de choses désagréables peuvent passer parce que nos douanes ne sont pas protégées, nos collectivités non plus ne sont pas bien protégées », analyse Erol Josué.

La plupart des objets trouvés dans la collection de Donald Miller appartenaient au BNE. À un moment de la durée, ils ont disparu et personne n’a retrouvé leurs traces. Collage de photos fournies par le FBI

Pour résoudre ce problème, des mesures transversales doivent être prises. Notamment, la lutte contre la pauvreté, l’attribution de budgets raisonnables aux institutions œuvrant dans le domaine du patrimoine, le vote de lois cadres spécifiques… Car, après la drogue et les armes, le vol d’œuvre d’art et d’objets culturels demeure la plus importante activité criminelle au monde selon l’UNESCO.

« On peut combattre ces forfaits », estime Tim Carpenter, chef de l’Unité de lutte contre les Crimes liés aux arts et aux biens culturels au FBI. « On doit entrainer les forces de l’ordre et enquêteurs à reconnaître les tendances en ce qui a trait aux crimes contre les biens », explique l’enquêteur qui met une emphase particulière sur la sensibilisation et l’implication active des communautés dans la protection des sites historiques et archéologiques.

Widlore Mérancourt 

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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