SOCIÉTÉ

Le sort lamentable des dinosaures des préfacs de Médecine

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Le 15 septembre prochain aura lieu le concours d’admission à la Faculté de Médecine. Dès cette date, de nouveaux dinosaures vont voir le jour.

Jonas vient de Mirebalais, il est un postulant chez Univers 9. En 2017, il est entré à la Faculté de Médecine au Campus  Henry  Christophe de Limonade au Cap-Haitien. C’était une bonne nouvelle pour toute sa famille, mais au fil du temps, le jeune étudiant s’est rendu compte qu’il n’avait pas les moyens de rester sur le campus. « Je devais payer le loyer, la nourriture  et me procurer des matériels pour les cours, en plus de cela, je devais rentrer à Port-au-Prince à chaque fois que je devais faire une dissection… Mes parents ne pouvaient plus tenir », relate le  jeune qui est maintenant considéré comme un dinosaure chez U9 cette année.       

Sabine, une jeune fille de 28 ans a elle aussi été chez U9. En 2010, elle a été acceptée  à l’Université Notre Dame d’Haïti. Son oncle qui était son tuteur a réalisé qu’il ne pouvait pas gérer les coûts de l’Université Notre Dame et l’a poussée de laisser tomber. Sabine a commencé en 2010 à fréquenter les préfacs de Médecine. En 2013, après trois échecs à la FMP, elle a décidé de se diriger vers la seule option qui lui restait, l’École de droit et des sciences économiques des Gonaïves. La jeune étudiante raconte que son expérience de postulante n’a pas toujours été facile. Sabine visitait de temps à autres des amis qui, contrairement à elle, avait intégré la faculté de Médecine. Une fois, elle avoue avoir vécu la honte de sa vie, après avoir été expulsée de l’enceinte de la Faculté de Médecine par un étudiant. « Il m’a dit que je devais vider les lieux si je n’étais pas étudiante à la Faculté », raconte-t-elle d’un ton triste. La culture estudiantine de FMP promeut un irrespect envers les dinosaures. Pour certains étudiants, la faculté de Médecine est un temple sacré où le postulant ne devrait avoir accès à moins qu’il soit invité par un étudiant. Deux des gardiens responsables de la cour de la Faculté ont confirmé que les étudiants leurs demandaient de ne laisser  aucun inconnu trainer sur la cour de la Faculté, spécialement les postulants.

Que sont les dinosaures et les préfacs de Médecine ?

Les dinosaures sont d’anciens postulants d’une préfac de Médecine qui n’ont pas réussi à intégrer l’Université.  Ils reviennent l’année suivante  à la même préfac ou  tente leur chance à une autre. Le médecin Delvalès Doccy, coordonnateur de Mémento Préfac souligne que les dinosaures se trouvent généralement dans les préfacs gratuites. « Nous n’avons que deux dinosaures à Mémento, » lance-t-il. Le coordonnateur explique que le terme « dinosaure » peut aussi désigner des étudiants qui ont  échoué à la première année de Médecine.

Le docteur Doccy a, une fois, dû mettre en garde un postulant qui avait pris part au programme de Memento trois années de suite. La règle n’est pas écrite, cependant le jeune médecin semble accepter l’idée qu’un jeune ne devrait pas s’obstiner à intégrer la faculté de médecine après plusieurs échecs. Une préfac selon Doccy Delvalès n’est pas un club où des amis se rencontrent chaque été pour se régaler, mais c’est d’abord et surtout  un espace de formation pour un but bien déterminé. Pour le co-fondateur de la Préfac Mémento, leur travail va au-delà de l’examen d’entrée « l’équipe de Mémento accompagne ses postulants même après avoir intégré la faculté de médecine ».

D’une manière générale, les préfacs de Médecine  sont des structures qui forment des étudiants en Sciences biomédicales en vue d’aider les bacheliers à réussir les concours d’entrée à l’Université. Elles ont lieu en été et ne durent que deux mois.  Beaucoup d’entre elles sont de petites entreprises profitables pour certains étudiants ; uniquement pour cette année , il y avait plus de 12 préfacs qui ont utilisé l’espace de la faculté de médecine pour faire de la promotion. Le prix moyen pour les différentes préfacs se situe autour de 2500 gourdes pour les deux mois par bachelier. Il existe toutefois des préfacs gratuites, les deux les plus connues sont « Yvonne Sylvain » et « Univers 9 »,  pour y prendre part les postulants doivent réussir un concours.

Bien qu’on les appelle communément « préfac médecine », ces regroupements préparent des postulants pour les sciences dites naturelles de manière générale. Le premier marché visé par les organisateurs de ces formations demeure les postulants de la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP), cependant plusieurs participants concourent pour la faculté d’agronomie, d’odontologie, l’Ecole Normale Supérieure, et même pour des écoles spécialisées en sciences infirmière.

Le traitement accordé aux postulants dans les préfacs

Les cours ont lieu du lundi au vendredi de 7h Am à 7h Pm avec seulement 10 minutes de pause pour la plupart des préfacs. La pression pèse plus lourd sur les dinosaures qui font parfois l’objet de toutes sortes d’injures. Après presque chaque cours s’ensuit  un test. Tous les postulants doivent appeler les formateurs « docteur » même si ces derniers n’étudient pas la médecine ou sont de simples étudiants.

Nadège Monvil est coordonnatrice de la préfac Yvonne Sylvain qui existe depuis 2009. Elle affirme que même si le postulant aurait  raison, il n’a pas le droit de se défendre face au « docteur » quand celui-ci le critique. La règle est que le postulant n’a pas le droit de réplique. Selon la jeune étudiante en cinquième année de Médecine, chaque année, la pression augmente. Les étudiants qui ont eu à passer par les préfacs et qui sont maintenant formateurs veulent toujours faire subir aux postulants le stress qu’ils ont connu quand ils étaient à leur place.

À Univers 9, les postulants font face aux mêmes traitements si l’on croit Sabine qui a fréquenté la préfac en 2013. Selon la jeune femme, la préfac fonctionnait à la manière d’une école congréganiste, « On pouvait vous humilier devant tout le monde juste pour un piercing de trop». Elle a été contraint de se décoiffer parce qu’elle portait des tresses. Le coordonnateur de la préfac Univers 9, Jean Wilguens Lartigue, étudiant en cinquième année à la faculté de médecine affirme que la préfac n’a de problèmes avec les tresses que parce qu’elles prennent trop de temps à une postulante de se coiffer ainsi. D’après lui ce précieux temps pouvait être mis à étudier. « Il est conseillé aux jeunes filles, si elles veulent porter des mèches de le faire avant même l’ouverture de la préfac », a ajouté l’étudiant.

Les coordonnateurs des deux préfacs, Univers 9 et Yvonne Sylvain, pensent que cet environnement sous haute pression stimule l’apprentissage des postulants qui finissent toujours par s’y adapter.

Un système de santé problématique convoité par de milliers de jeunes

Le simple constat de la fougue des jeunes gens chaque année à vouloir intégrer la Faculté de Médecine donne de l’espoir. L’on se dit enfin, les gens ne mourront plus dans les régions rurales les plus reculées faute de médecin. L’on pourrait même croire que les coûts des soins de santé vont être réduits dans les hôpitaux privés. Malheureusement, le pays n’est pas encore à ce stade. Alors que les jeunes se battent pour devenir médecins, les médecins eux-mêmes se plaignent de leurs conditions pitoyables de travail. Un médecin résident ne gagne qu’environ  15 000 gourdes par mois.  Ils ne peuvent remplir convenablement  leur fonction dans les hôpitaux publics faute d’électricité et manquent de matériels adéquats. D’autres problèmes fragilisent encore le métier de médecin en Haïti. Les professionnels de santé des hôpitaux publics se retrouvent souvent en grève pour exiger de meilleures conditions de travail.

Sur environ 6000 postulants inscrits tous les ans au concours d’admission de la FMP, seulement 200 sont admis, 125 en Médecine, 45 en Pharmacie et 25 en Biologie médicale. Toutes les 11 entités de l’Université d’État d’Haïti réunies à Port-au-Prince  ne peuvent pas accueillir ces 6000 jeunes qui rêvent d’une vie professionnelle accomplie. Très peu de ces milliers de jeunes ont les moyens de se payer  une université privée. Toutes les conditions sont donc réunies pour qu’il y ait toujours des dinosaures qui pensent que cette présente année sera la bonne.

Quoi qu’il arrive, Sabine fait son chemin à l’école de droit et des sciences économiques des Gonaïves où elle espère achever ses études l’année prochaine. Quant à lui, Jonas s’est inscrit à la Faculté des sciences humaines au cas où il échouerait au concours de Médecine. Il ne veut absolument pas être un dinosaure l’année prochaine, il abat donc ses dernières cartes.

*Sabine et Jonas sont des noms d’emprunts.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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