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Révélations et réflexions éducatives sur le civisme

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Notre récente enquête sur l’enseignement du civisme dans un nombre subjectivement sélectionné de nos écoles à Port-au-Prince et ses environs durant l’année académique 2015-2016 fut publiée précédemment dans les colonnes de Ayibopost.  Dans cette enquête nous avons décelé qu’une carence éducative existe dans l’enseignement de cette discipline. Cette carence s’est manifestée par certaines écoles dédaignant enseigner le civisme et d’autres l’enseignant selon le bon vouloir de leurs éducateurs sans un contrôle strict du Ministère de l’Education Nationale sur le programme. Parmi un grand nombre d’enseignants soucieux de transmettre ce savoir aux nouvelles générations de nos élites, nous avons retenu un ensemble de propos édifiants, d’idées brillantes et de pistes d’amélioration de cet enseignement qui méritent d’être partagé verbatim.

« Pour le drapeau, pour la patrie…mourir est beau, mourir est beau. » Justin Lhérisson

Au Collège Marie Dominique Mazarello, le censeur du secondaire : M. Nicolas Jean François nous livra dans un élan nostalgique le sentiment que la nation devrait revenir avec le cours d’instruction civique. Il rapporta que « …de nos jours les enfants ne savent pas ce que représente un drapeau. On doit repenser l’enseignement du civisme en Haïti. C’est ce qui explique cette dérive politique. Aujourd’hui, le citoyen n’est pas formé. L’haïtien est toujours en transit, le pays ne lui dit rien, il n’est pas engagé ». Il ajouta avec perspicacité : « Il faut une remise en question des ouvrages et penser à la formation des enseignants ».

Une religieuse responsable de l’école Notre Dame du Rosaire (Fille de Marie) qui a voulu garder l’anonymat abonda dans le même sens soulignant : « Autrefois on évoluait dans un climat de respect. A titre d’exemple, quand c’était la montée du drapeau, on pouvait être dans sa voiture, on devait s’arrêter, éteindre le moteur, descendre et saluer le drapeau. Aujourd’hui…la patrie est relayée comme une terre de seconde zone. Nous avons beau être un pays mais nous sommes loin d’être une nation. Nous manquons de vision commune ». Elle prodigua ce conseil salutaire : « Notre enseignement [du civisme] a pour but de réveiller cette conscience patriotique, l’enfant doit arriver à se dire qu’il est haïtien, qu’il est né ici et qu’il doit travailler pour participer aux changements, aux avancées ».

« Ayiti cheri pi bon peyi pase ou nanpwen

Fòk mwen te kite w pou mwen te kapab konprann valè w » Othello Bayard

Au Centre Classique de Pétion-Ville (communément appelé Ecole Mme Pérodin), un des responsables : M. Daniel Pérodin eut à déclarer : « Très souvent, nous le staff directoire, allons dans les salles de classes pour enseigner aux élèves quelques notions de savoir-faire, d’amour pour la patrie, le respect de soi et des autres ; des fois nous tirons un article paru dans les journaux pour pouvoir mieux étoffer le message que nous voulons transmettre ». Cependant, il souligna judicieusement : « Mais entre ce que l’élève apprend à l’école et ce qui se passe dans la rue, il y a un très grand écart. Alors c’est un message qui passe difficilement. Ça ne colle pas avec la réalité ».  Le responsable de la section primaire de cet établissement : M. Gary Pérodin, rajouta une déduction logique : « De notre point de vue le civisme et la citoyenneté doivent être enseignés à tout le monde et ce n’est pas seulement le travail des écoles, c’est le travail de toutes les institutions constituant la société ».

« J’avais rêvé une Haïti libre et autonome, dont les Haïtiens fussent toujours les maitres. » – Rosalvo Bobo

A l’Ecole Acacia, Mme Marie Carline Emmanuel, éducatrice, professeur de catéchèse et auteur d’ouvrages scolaires de civisme partagea ses impressions avec nous : « Le cours d’éducation civique aide l’élève à devenir un citoyen de demain, mature dans ses décisions et dans son engagement envers la société. L’enfant doit apprendre à travailler pour le bien-être de sa communauté. Aujourd’hui, nous assistons à la dérive de la société, aucun respect pour l’autre, pour son environnement, pour nos symboles, nos valeurs ». Elle émit également l’idée que : « Pour enseigner le civisme, il faut faire beaucoup de recherche, il faut avoir les yeux ouverts sur le monde…Ce cours peut vraiment avoir un impact positif sur la société, il faut commencer à la base, dans la famille premièrement, à l’église, à l’école ».

Au Lycée Marie-Jeanne, une responsable qui réclama l’anonymat nous déclara tout de go : « Aujourd’hui nous sommes devant le fait accompli, il est encore difficile de parler de citoyen Haïtien, tant il y a un laisser-aller. Une conscience en dormance. » Mais elle préconisa ces conseils importants sur l’enseignement du civisme : « C’est une matière difficile et sensible, il revient à l’état de former les enseignants en conséquence. Il doit y avoir des séances de formation, des séminaires pour enseigner l’importance de ce cours et l’impact qu’il peut avoir sur les jeunes et leur devenir ».

 «  Les meneurs de peuples doivent être des optimistes, c’est-à-dire confiants dans le bon sens populaire, être d’accord avec le milieu où ils évoluent… »Anténor Firmin

 

  1. Maxime Auguste, responsable à l’Institution Saint-Louis de Gonzague, opinant sur l’enseignement du civisme s’interrogea en disant: « Il y aurait beaucoup moins de problèmes [pour les élèves] par rapport à leur appréciation du pays, leur vision du pays. Par exemple au secondaire, il y a beaucoup d’étudiants qui ont le profil, l’ambition et la possibilité d’aller étudier à l’étranger. La grande question, est-ce qu’ils vont revenir ? Se sentent-ils attachés au pays ? Est-ce qu’ils ont été en ce sens, pour savoir qu’ils doivent aimer, aider leur pays ? Pour moi c’est une grande question ».

 Une responsable de la section primaire de cette institution qui se voulait anonyme nous offrit de superbes idées pour l’implémentation du civisme dans la réalité de la vie quotidienne en nous proposant ces quelques réflexions : « Nous essayons aussi de lier la parole aux actes [dans l’enseignement du civisme], nous organisons beaucoup de visite avec les élèves. Tous les vendredis nous allons visiter un lieu. Nous avons visité récemment le Jardin Botanique des Cayes, nous avons visité des musées où l’histoire se raconte. C’est important de leur enseigner l’amour du pays dans les livres mais il faut aussi qu’ils puissent être témoin de certaines choses, ils doivent voir des choses plus concrètes et se sentir plus impliqués ».  Et elle conclut admirablement en disant : « Si ce qui se fait à l’école n’est pas en harmonie avec la réalité à la maison, Il y a un problème ».

 Au Collège Excelsior, le Directeur Pédagogique : M. Jean-Marie Clerveaux nous soumit ses impressions en affirmant : « Pour moi le cours de civisme est vraiment important au niveau de l’éducation parce que je pense que c’est à ce niveau qu’il faut commencer. S’il faut renouveler le visage de la société haïtienne, il faut mettre l’accent sur ce cours pour développer le sens du civisme, le sens de la patrie, le sens du bien commun, le sens du vivre-ensemble ».

« Il faut tout un village pour éduquer un enfant. » – Proverbe africain

Nous avons également retenu lors de notre enquête les avis des responsables d’institutions qui n’enseignaient pas le civisme durant cette période mais qui projetaient pour la plupart de le faire pour la nouvelle année académique 2016-2017.  Tel fut le cas du Collège Canado-Haïtien où le Frère Augustin Nelson, directeur de l’établissement, exprima des réflexions à méditer : « C’est très important d’avoir un cours sur le civisme pour pouvoir faciliter le vivre ensemble. Mais au-delà…il faudrait que la société supporte ce travail d’un vivre ensemble, social, harmonieux. Il y a un lien étroit entre l’école et la société ; l’école est la fille de la société. Il ne suffit pas d’enseigner des notions, il faudrait un réveil national pour reformater le rapport au savoir de chaque personne, pour que ce que l’on apprend à l’école ne soit pas des contenus déconcertés de la réalité de la personne, mais pour que ça soit un apprentissage intégré qui façonnent le comportement de l’individu ».

Pour la Sœur Marie-Marthe Février, directrice du Collège Marie Anne (Section Primaire), « Le civisme fait partie de la vie. La vie en société est régie par des règles, des codes, des notions de civisme. Le civisme rend une cohabitation plus harmonieuse. » Elle nous offrit également une remarque des plus précieuse sur la société haïtienne et les notions de civisme en disant : « C’est très difficile d’enseigner le civisme aujourd’hui car l’entourage ne nous aide pas. Il y a un grand écart entre ce qui se fait à l’école et ce qui se passe à la maison. L’enfant peut être un peu confus et perdu. Il y a certaines familles qui respectent et enseignent les valeurs mais ce n’est pas la majorité. De nos jours dans les émissions de radio et de télévision, il y a beaucoup de ‘’non-valeur’’ qui sont diffusés… Les spots publicitaires (exemple : un spot ou une femme gifle son mari, ou un enfant dit à sa mère que son père est niais) – quel est le message qu’on essaie d’envoyer aux enfants à travers ces spots, ces émissions, ces vidéos de musique ? La violence, le sexe, etc. ».

« L’éducation haïtienne vise…la promotion des valeurs morales, culturelles et spirituelles. » – Programme d’Education à la Citoyenneté

Au Collège Cœur Immaculée de Marie – CIM (Primaire et Secondaire), M. Emmanuel Bernard, Coordonnateur Général, nous avait annoncé que le cours de civisme était inexistant dans son institution au moment de l’enquête mais qu’il serait implémenté avec le programme du Nouveau Secondaire du Ministère de l’Education Nationale l’année suivante. Cependant, il attesta que : « L’instruction civique est un cours qui vise à montrer aux élèves le fonctionnement de la société et de ses institutions. Permettre aux enfants de comprendre les valeurs sur lesquelles s’assoient la société, les valeurs qui permettent de créer les institutions et aussi de comprendre leur rôle. Ce cours prépare l’enfant à devenir un citoyen de demain, il les aide à développer des valeurs comme la solidarité, le vivre-ensemble, le respect de l’autre, etc. L’enfant deviendra un citoyen équilibré qui a la capacité de servir pleinement son pays. »

Notre dernier entretien prit place au Collège Le Normalien (Primaire et Secondaire) avec Mme May-Bright Magloire, Directrice Pédagogique, qui nous rapporta que l’enseignement du civisme « …se fait sous forme d’un intérêt que l’on fait porter à l’élève sur ce qui l’entoure, son environnement, les relations avec l’autre, avec l’établissement, avec les parents. Nous avons une heure que nous appelons « L’heure de la formation humaine » qui n’est autre que la continuité du cours d’éducation à la citoyenneté ».

Elle sut conclure sans le savoir sur ce que nous avions a priori comme thèse argumentative pour entreprendre notre enquête : « C’est un cours extrêmement important et je me dis que ma génération est telle qu’elle est parce que nous n’avons pas eu de cours d’éducation à la citoyenneté. Aujourd’hui nous avons une génération qui ne se soucie pas de la chose publique, des besoins de l’autre. C’est de là que vient ce manque. On n’a pas eu à la sensibiliser sur ce qu’il fallait. »

Civisme : un travail éducationnel ardu mais prometteur…

Nous tenons encore une fois à remercier gracieusement tous ces éducateurs qui ont participé à notre enquête. Quotidiennement, ces pédagogues se dévouent corps et âme pour offrir une éducation de qualité aux nouvelles générations qui prendront le relais et qui nous l’espérons de tout cœur seront imbues des notions de civisme pour façonner une autre Haïti.

Patrick André & Soucaneau Gabriel

La rédaction de Ayibopost

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