On m’excusera de devoir encore parler d’Haïti. Un sujet rabat-joie ! Un peuple dont le comportement défie la logique et dont on ne parle qu’en termes de pitié et de dégoût. Un peuple de mauvais héritiers et de mutants qui ne conjuguent la gloire qu’au passé et qui se révèlent, de jour en jour, indignes du territoire qu’ils occupent et polluent. Un territoire où le meilleur germe de liberté a été semé et arrosé par le sang de ceux qui ont redressé l’échine pour imposer le respect de la dignité de l’Homme noir. On ne reviendra pas au passé. On connait le refrain. On en est gavé jusqu’à la répugnance. C’est le sort de toute grande épopée racontée pendant trop longtemps par des bouches trop légères !
Je sollicite votre indulgence et votre patience pour parler d’Haïti parce qu’il couve encore une certaine flamme patriotique sous la cendre de notre déchéance. Personne ne sait combien nous reste-t-il de temps avant qu’on nous chasse, qu’on nous déporte et qu’on nous dépossède de ce territoire riche en trésor matériel et immatériel. Personne ne sait jusqu’à quand nous aurons le loisir d’avoir cette nationalité que nous fuyons de plus en plus et dont nous sommes de moins en moins fiers. Parlons encore d’Haïti pour fixer les responsabilités et traiter les maux. Regardons-nous en face et demandons-nous ce que serait la corruption sans les corrompus. Nous devons parvenir au stade où les maux, après avoir été décelés, exhibent les visages qui les incarnent. À quoi sert-il de dénoncer la corruption, de l’identifier comme notre gangrène et finalement élever les corrupteurs au rang de modèle ? Où irons-nous si la Nation ne demande des comptes que pour absoudre ? Que pour légitimer la raison du plus fort ?
La communauté internationale prend plaisir à nous présenter comme un peuple résilient et nous, comme des enfants, nous en tirons vanité ! Nous avons même eu la maladresse de nous l’approprier sans peser ses dessous, sans saisir que ce concept, tel qu’elle l’entend, traduit davantage notre incapacité à exiger le meilleur que notre aptitude à défier le pire. Cette résilience nous tuera ! Elle nous déshumanise. Elle nous prive de notre capacité de nous indigner. Elle nous garde en hypnose et fait de nous des vivants-morts. Voilà où le sombre génie de ceux qui nous dirigent et la plupart de ceux qui prétendent nous aider, voudrait nous conduire : vers la résignation… vers l’abandon… Vers le dépit!
Nous n’avons pas deux planches secours. Il ne nous reste qu’une voie, qu’une alternative : la Révolution. Après 1804, nous n’avons réussi que des révoltes. Toutes les révolutions ont été tuées dans l’œuf. Elles ont toutes été vouées à l’échec parce qu’elles se dirigeaient contre les ennemis externes, contre les tares des autres. Aujourd’hui, il nous faut un mouvement contre nous-mêmes, contre nos vices, nos complicités que nous confondons avec la tolérance, nos lâchetés et nos indifférences. Car, la seule force de nos ennemis réside dans notre paralysie morale, notre volonté oisive et notre idiotisme profond.
Lè sòt sispann bay, enbesil a sispann pran. Lè anndan sispann vann, deyò a sispann achte. Sèl moun ki domi ak jan, ki konn koman jan wonfle !
Image: Concern/Kim Haughton
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