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8 mars: Coup d’épée dans l’eau ?

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 Deux semaines de cela, le 8 mars, journée internationale des droits de la Femme, a été ostensiblement commémorée. Primature, ministère à la Condition féminine et aux Droits de la Femme et organisations féministes ont réalisé des activités en vue de « valoriser la femme haïtienne à cette occasion ». Mascarade mystificatrice, l’hypocrisie est patente. Mais l’on ne s’en formalise pas trop. C’est l’intention qui compte, dit-on…

 

D’après le rapport de l’enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services (EMMUS-IV, 2005-2006), « un pourcentage élevé de femmes accepte qu’un homme batte sa femme si elle laisse brûler la nourriture, lui tient tête ou refuse d’avoir des relations sexuelles avec lui » (p 283). Une mentalité bien ancrée plus de trois décennies après qu’Haïti ait ratifié la Convention d’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1981).

Diverses lois et décrets ont été promulgués dans le même sens. Citons le décret du 8 octobre 1982, qui, malgré la subsistance de velléités discriminatoires et dominatrices à l’égard des femmes, lui a permis de jouir de ses droits civils et politiques (voir l’article de Philippe Volmar Libérer la femme d’un décret libérateur publié dans l’édition du 24 mars 2009 du journal Le Nouvelliste.

Ainsi donc, plusieurs efforts ont été consentis pour que la femme soit peu à peu soustraite de l’assujettissement mâle. C’est d’ailleurs dans ce même sens qu’une institution comme le ministère à la Condition féminine a vu le jour pour accompagner ou défendre les femmes et les filles victimes de violence. Des efforts louables, à n’en pas douter. Mais, et après ?

La socialisation différenciée des filles et des garçons

Dans notre société dite généralement patriarcale, l’attribution sociale des rôles se fait de manière discriminatoire au détriment des femmes. Les instances de socialisation comme la famille, l’école et l’Église conduisent les fillettes à se percevoir comme étant inférieures, soumises et dépendantes de l’autre sexe. Elles sont astreintes aux tâches ménagères souvent considérées comme dégradantes pour leur frère ou leur cousin, par exemple. Si elles ne savent pas faire la lessive, le repassage et la cuisine, cela remet en cause leur féminité. « Yo pa gen dis dwèt yo, kidonk yo pa fanm. » Et la mère, affolée, bastonne sa fille pour lui inculquer le savoir-faire ménager, inquiète que le futur marié ne répudie sa fille. Pou mesye a, non satisfait des talents domestiques de son épouse, pa voye l tounen. Citons à ce propos Jean Anil Louis-Juste : « Les filles ont été catéchisées comme futures propriétés de leur mari »i. Ce chef à qui le pasteur recommande obéissance aveugle et soumission.

Dans le même sens, l’on achète des poupées et des ustensiles de cuisines comme jouets aux filles tandis que les garçons s’amusent avec des armes et des petites voitures. De plus, les garçonnets doivent combattre la douceur et brider leurs émotions. Un homme ne pleure pas. « Gason w ye ». On les prépare ainsi à leurs rôles respectifs : le mal dominateur et la femelle procréatrice lui devant déférence. L’inégalité au niveau de l’instruction entre hommes et femmes est aussi symptomatique de cet état de fait.

« Parmi les femmes, 38% des femmes en milieu rural contre 15% en milieu urbain n’ont aucune instruction ; chez les hommes, ces proportions sont respectivement de 28% et de 8%. En outre, en milieu urbain, les proportions de personnes ayant atteint un niveau secondaire ou plus sont de 36% pour les femmes et 44% pour les hommes » précise le rapport EMMUS-IV (p 14).

L’impunité des pratiques discriminatoires à l’égard des femmes

Plusieurs musiques du style « rabòday » dénigrent les femmes et jouissent pourtant d’une popularité alarmante. Ce, même auprès des jeunes femmes. L’on a tous en tête une longue liste d’exemples. Les paroles véhiculent des messages incitant à la violence basée sur le genre et à la chosification des femmes. On se rappelle le fameux Fè Wana mache ; le disc jokey de Mahotière, Tony Mix en avait même fait un ʺremixʺ. Quelle action significative a été menée pour corriger cette dérive ? Aucune. Au lieu de cela, le maire de Carrefour Jude Edouard Pierre a élu le DJ « ambassadeur culturel » de la commune de Carrefour en 2016.

Un exemple plus significatif encore, celui de l’ancien président de la République, Michel Joseph Martelly, qui, lors d’un meeting à Miragôane le 28 juillet 2015, a déclaré à une femme qui lui reprochait ses promesses non tenues de se trouver un homme et d’aller se faire prendre derrière un buisson. Certains ministres de gouvernement avaient démissionné à l’époque. Plusieurs personnalités, dont la professeure Mirlande Manigat avaient signé une pétition condamnant ces propos. Mais est-ce que le président a été davantage inquiété ? C’était loin d’être le cas.

Prévenir vaut mieux que guérir

L’on conclut que dans la lutte contre les violences basées sur le genre, il importe d’agir (même médiocrement) non uniquement sur les conséquences du problème. Il faut aussi s’attaquer à la racine même du mal. Ne pas attendre que les filles soient violées ou battues pour mobiliser les ressources juridico-légales et l’assistance psychologique et sociale nécessaires pour leur venir en aide. Leur socialisation doit être entreprise autrement, ainsi que l’assurance de leur accès à l’instruction. Leur fournir des modèles culturels qui ne perpétuent plus la discrimination dont elles sont victimes. Ainsi, l’on ne se réduirait pas à attendre le 8 mars pour mettre sur pied un budget destiné à honorer certaines femmes lors de quelques activités quelconques. Mais plutôt de s’inscrire dans une lutte émancipatrice aux résultats concrets.

Marie Judelène Pruss

i Jean Anil Louis-Juste, « famille patriarcale « indépendante » et société capitaliste dépendante en Haïti : quelles médiations sociales ? », soumis à Alterpresse le 22 juillet 2008.

 

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