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10 faits insolites à découvrir dans le rapport de la CSC/CA sur la Gestion du fonds PetroCaribe

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Le 5 février 2019, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) a publié le rapport de son audit sur la gestion du Fonds Petro Caribe. C’est un document partiel certes, mais l’ampleur des irrégularités relevées dans l’utilisation de ces fonds qui devaient servir au développement du pays laisse déjà croire que Petro Caribe est le plus vaste scandale de corruption qu’ait connu le pays. Détournement de fonds, passation illégale de marchés publics, favoritisme, presque toutes les formes que peut prendre la corruption sont retrouvées dans ce rapport de 200 pages. Un document étayé de chiffres, mais regorgeant de faits surprenants. Pour illustrer voici une sélection de 10 faits pour le moins insolites qui mettent la puce à l’oreille du citoyen avisé.

  1. À projet d’urgence, contrat d’urgence, n’est-ce pas ? Pour la mise en œuvre du projet de Réhabilitation d’urgence des rues au Cap-Haitien et ses environs, le Ministère des Travaux publics, Transport et Communication (MTPTC) a passé un contrat avec la firme Vorbe & Fils pour un montant s’élevant à plus de 9 millions de dollars. Rien d’anormal jusque-là, si ce n’est un écart de plus de 7 millions de dollars entre le montant approuvé dans la résolution (près de 2 millions de dollars) et celui inscrit dans le contrat. Là, tenez-vous bien ! La Cour des Comptes, dans son analyse, a constaté qu’aucune signature ni date de signature n’apparaissent dans le contrat alors que l’exécution du projet a débuté. Comment l’absence de signature dans un contrat de plus de 9 millions de dollars peut-elle échapper à la vigilance de l’ensemble des acteurs ? Il est donc vrai que l’argent rend aveugle !
  1. Le contrat du projet de Réhabilitation de la route Miragoâne – Petite-Rivière de Nippes est signé avant même que le projet soit approuvé ! C’est bien le cas du contrat relatif au projet de réhabilitation du tronçon reliant Miragoâne et Petite-Rivière de Nippes, conclu pour un montant de plus de 27 millions de dollars, et signé avant même l’adoption de la résolution autorisant la mise en œuvre dudit projet. En effet, pour qu’un projet puisse bénéficier des fonds Petro Caribe, il doit être approuvé par le conseil d’administration du BMPAD à travers une résolution, qui elle doit être publiée dans le journal officiel « le Moniteur ». Dans le cas d’espèce, le contrat a été signé avec la firme V&F Construction S.A. le 2 Février 2010, soit 9 jours avant la date de la résolution. Et ce n’est pas tout ! La Cour des comptes a aussi constaté, sans aucune justification, un écart de près de 6 millions de dollars entre le montant stipulé dans le contrat et celui prévu dans la résolution. Un vrai travail d’anticipation de la part des dirigeants du Ministère des Travaux Publics !
  1. Le MTPTC fait preuve d’un zèle et d’une efficacité exemplaire dans le cadre du projet d’Acquisition d’Équipements pour le Service d’Entretien des Équipements Urbains et Ruraux (SEEUR). L’administration publique haïtienne est réputée pour sa lenteur dans l’attribution de marchés publics, mais le MPTC semble échapper à cette règle dans le cadre de ce projet. En effet, les entreprises invitées à soumissionner pour ce marché d’un montant de 2,7 millions de dollars ont reçu leur lettre d’invitation le 11 février 2010. Le marché a été attribué à la compagnie HAYTRAC et le contrat signé le même jour vu que le contrat entre le MTPTC et l’Entreprise HAYTRAC, l’attributaire du marché, porte la date du 11 février 2010. Quelle singulière diligence !
  1. Le français et le créole ne semblent plus être nos deux seules langues officielles en Haïti. C’est donc ce que laisse croire le contrat du projet d’Acquisition d’équipements pour le Laboratoire National du Bâtiment et des Travaux Publics. Ce contrat de près de 750,000 dollars américains entre le MTPTC et la firme ASKER Drill Ing. a été rédigé et signé en anglais. Il n’est traduit ni en français ni en créole, les deux langues officielles du Pays selon l’article 5 de la Constitution du 29 mars de 1987. Malgré cet accroc linguistique, la Cour des Comptes a pu l’analyser et a relevé que ce dernier a été signé bien avant la préparation de la cotation. En effet, le contrat est paraphé le 11 février 2010, par les deux parties, tandis que la cotation porte la date du 14 février 2010.  L’examen du contrat a aussi relevé qu’il n’a pas été approuvé par le Ministère de l’Économie et des Finances. Quelle surprise !
  1. On met la charrue avant les bœufs pour la Construction du marché public Fontamara. Le contrat de 15,6 millions de dollars américains pour la construction du marché public de Fontamara a été signé en novembre 2012, mais il fait référence à l’arrêté du 5 décembre 2012 sur la prolongation de l’état d’urgence pour une période d’un mois. Comment un contrat signé en novembre 2012 peut-il faire référence à un arrêté pris ultérieurement soit à la date du 5 décembre 2012 ? Ont-ils eu recours aux arts divinatoires ? Seuls les dirigeants du MPCE et de la firme IBT LLC, peuvent vous répondre. Notons que le contrat a été signé de gré à gré un mois avant la résolution approuvant le projet, que plus de 40% des fonds ont été décaissés et que sept ans plus tard le marché demeure inachevé. Néanmoins, il est certain que nos voyants contemplent eux, un marché flambant neuf !
  1. Avez-vous déjà vu un contrat de travaux sans cahier de charges ? Allez donc voir le contrat de Rénovation urbaine de la ville de Ennery signé entre le Ministère de la Planification, l’organe de planification et de programmation des investissements publics, et la firme espagnole INGENIERA ESTRELLA pour des travaux de rénovation urbaine à Ennery.  Essayez de concevoir ce contrat de construction de plus de 3 millions de dollars américains sans aucune description des travaux, aucune durée ni aucun échéancier. Vous y arrivez ? Allez ce n’est quand même pas sorcier !
  1. Qui était donc en charge du projet de reconstruction du Lycée Toussaint Louverture ? Ce n’est pas ce contrat d’une valeur de 8 millions de dollars qui nous le dira. Dans le cadre de ce rapport, la Cour des comptes a constaté que la firme qui a signé le contrat n’est pas la firme qui a reçu les fonds. La firme Internationale Business and Trade LLC a été utilisée lors de la signature du contrat, tandis que IBT Haïti S.A. a encaissé les fonds. Sociétés sœurs, mieux sociétés siamoises !
  1. Un peu d’amalgame et de confusion des rôles ! Qui fait quoi, comment et pourquoi ? Il y a lieu de se le demander dans le cadre du projet de Construction de l’École Fondamentale de Débouchette. Le 6 juillet 2015, un contrat d’une valeur de 25 millions de gourdes est signé de gré à gré, sans aucune justification, pour la construction de l’École Fondamentale de Débouchette entre la firme CYRUS et le Ministère du Tourisme et des Industries Créatives (MTIC). Vous vous demandez probablement comment le Ministère du Tourisme peut se retrouver à construire des écoles ? En tout cas, ce n’est surement pas pour accueillir les enfants des touristes visitant la zone !
  1. On en arrive donc à ces impardonnables omissions. Pour la Réhabilitation du Tronçon Carrefour Freycineau (Saint Marc) – Bigot (Gonaïves) de la Route Nationale # 1, le MTPTC a signé un contrat de plus de 51 millions de dollars américains avec la firme dominicaine Estrella pour la réalisation des travaux de la réhabilitation du tronçon Carrefour Freycineau (Saint Marc) – Bigot (Gonaïves). Le contrat a été lu, approuvé et signé par les deux parties sauf que la date de signature n’est mentionnée nulle part. Pécher par omission est -ce pécher ?
  1. Impossible de ne pas tomber des nues face à ces Projets du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) financés par les fonds Petro Caribe. D’après la Cour des Comptes, le MEF aurait bénéficié d’un montant de plus de 43 millions de dollars américains des fonds de Petro Caribe pour mettre en œuvre sept (7) projets conformément aux résolutions du 20-08-2008, du 21-12-2012, du 23-07-2014 et de celle du 15-04-2015. Au moment de l’audit, le MEF a déclaré qu’il n’a jamais mis en œuvre les 7 projets pour lesquels les résolutions ministérielles l’avaient désigné comme institution responsable. Qui a mis en œuvre ces projets et qui a bénéficié des décaissements ? En tout cas le MEF plaide non coupable !

 

Jeffsky POINCY

Economiste/Petrochallenger

Source : Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif // Rapport 1 sur l’audit spécifique de Gestion du Fonds Petro Caribe.

Économiste, spécialiste en développement et politique publiques, Jeffsky Poincy se passionne pour la politique, l'économie, les finances et l’entrepreneuriat social. Observateur du monde, il est serviteur de sa communauté et entrepreneur.

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