AYIBOFANMRECOMMENDEDSOCIÉTÉ

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La nature m’a faite jolie et appétissante et moi j’ai construit tout le reste. Toute ma vie, j’ai choisi mes occupations de manière stratégique, dans le but de devenir irrésistible afin de mieux plaire aux hommes : études brillantes, lectures originales, voyages aux quatre coins du monde,  danse orientale, danse burlesque, danse du ventre j’en passe…

En fait, d’aussi loin que remontent mes souvenirs, chacun de mes choix n’a été motivé que par un seul objectif: trouver mon âme sœur! Très tôt, j’ai appris à m’adapter à la plupart des comportements. Pas que je change le mien en fonction de celui avec qui j’interagis, mais je cerne très vite les hommes à qui je ne montre que les facettes de ma personnalité qui sauront me mettre en valeur. C’est en répondant à leurs attentes que je les séduis durablement. Il s’agit surtout de leur donner envie de faire un bout de chemin avec moi, pour augmenter mes chances de trouver monsieur-LE-bon. Donc de me montrer sous mon meilleur jour, de me rendre désirable. La plupart du temps, je sais comment faire tourner les têtes : je peux me faire féline, féminine ou fragile… autrement dit m’ajuster en fonction des besoins du moment. Mais mon âme sœur, je ne l’ai toujours pas trouvée. Je n’abandonne pas la bataille pour autant parce que je sais que ne me sentirai complète que lorsque j’aurai trouvé Monsieur-LE-bon.

La vérité, c’est qu’au fond de moi, j’en ai marre de ne pas pouvoir me passer d’une douce moitié. Parce que je ne sais pas comment être sans hommes. Je suis moi par, pour et à travers leurs yeux. Pourtant je fais partie de celles que l’on qualifie d’indépendantes. J’aurais aimé pouvoir me débarrasser de ces sentiments car ils m’emprisonnent. Je suis à leur merci et souvent ils me jouent des tours. Entre mon désir d’émancipation et mon besoin de conformité, je me sens coincée et prise au piège car ce à quoi j’aspire m’enchaîne. Je sais que ce besoin malsain de plaire et de trouver celui qui me complètera m’enchaîne et, surtout, m’empêche de vivre ma vie comme je l’entends mais, en tant que femme, on m’a appris à être et à me définir à travers mes hommes. On m’a appris que seul monsieur-LE-bon me ferait renaitre de mes cendres et que pour le trouver, il fallait que je sois toujours désirable, croquante et appétissante. Pas d’écart possible : aucune place à l’erreur et certainement pas à l’imperfection. Je dis « en tant que femme » parce que la pression qui nous est mise me semble beaucoup plus flagrante que celle qui est mise à nos homologues masculins, même si le problème est très surement généralisé.

En tout cas, je ne compte plus le nombre de fois que je me suis fait dire que l’on ne se résignerait pas (oui, vous avez bien lu) avec des vieilles filles dans la famille. Je ne sais plus combien de fois j’ai rougi de honte en écoutant mes ainés aborder la question de mariage avec des donzelles fraîchement arrivées sur le marché qui, accrochées aux bras de leurs copains apeurés, étaient encore sous l’effet de la magie de Disney. Aujourd’hui, j’anticipe systématiquement les « Alors? » curieux qui accompagnent les « Bonjour » chaque lendemain de sortie comme si ces dernières n’étaient que prétextes pour se mettre en vitrine dans l’espoir de trouver son double. J’ai appris à ne plus être choquée quand on me rappelle gentiment — et assez peu subtilement — qu’il est temps pour moi de penser à mon avenir (ici, il faut plutôt lire à me mettre en couple, probablement en prévision d’une union qui devrait, si l’on se fie aux conventions, avoir lieu dans les prochains mois… Et ce, même si personne ne sait encore qui je retrouverai à l’autel).

Aujourd’hui, j’ai 20 ans et j’ai la vie devant moi… Mais on me parle déjà de « finir vieille fille » comme si une vie de célibataire était un pénible et regrettable châtiment. Vous me direz que ces commentaires sont lancés à la blague et que je suis trop extrémiste? Libre à vous de les sous-estimer mais avant que vous ne me mettiez au rebut, je vous inviterais à bien relever la connotation péjorative associée à la première expression et à noter le caractère fortement saboteur de la seconde alternative! Vous êtes tout à fait autorisés à vous voiler la face et à vous conforter dans le déni mais la vérité c’est que ces remarques déforment nos perceptions de la réalité, les miennes y compris. Par conséquent, elles transforment nous transforment en séductrices complexées, mal dans leur peau, en mal d’hommes et d’amour qui ne vivent que pour ce jour où elles (RE) trouveront leur douce moitié.

Dès le berceau, on nous façonne pour que nous nous croyions incomplètes sans nos hommes. Parce qu’au 21e siècle, le mythe d’Aristophane est (malheureusement) encore bel et bien vivant. Notre vision de l’amour et, par conséquent celle du bonheur, tourne autour de l’idée de retrouver notre moitié afin que finalement nous puissions retrouver notre unité et notre intégrité. Nous sommes conditionnées pour aspirer à une vie de conte de fées dans laquelle la belle et son prince charmant « vivent heureux et ont [trois beaux] enfants », modernité oblige. Il est vrai qu’on nous parle parfois d’indépendance, d’émancipation et d’affranchissement mais ces discours sont trop souvent teintés de la croyance selon laquelle on n’atteint le bonheur qu’en trouvant son âme sœur. L’idée, c’est de la trouver pour se retrouver soi-même afin de donner un sens à son existence. Et si passé un certain cap (que les autres vous imposent avec ou sans votre consentement), vous n’avez pas encore trouvé pas votre moitié, rabattez-vous sur une âme-cousine qui, faute de mieux, saura bien faire l’affaire en comblant le vide que vous ressentez sans votre véritable moitié.

C’est bien beau de voir la vie en rose et de planer sur de jolis nuages mais c’est encore mieux de se rappeler qu’à minuit le sort sera rompu et que la magie disparaîtra. Et, avant que ces 12 coups ne sonnent, on aurait intérêt à avoir compris que dans la vraie vie, l’amour n’est pas un conte de fées et que, comme n’importe quelle autre relation, ça se construit et se travaille. Il faudra aussi avoir appris à recevoir l’amour de l’autre sans en devenir dépendante, à être ensemble sans s’étouffer, à être autosuffisantes sans devenir nombriliste ou égoïste, à se donner entièrement sans jamais s’oublier.

Trop souvent, cette quête obsessionnelle de fusion parfaite devient un poids qui nous garrotte et nous empêche de nous accomplir nous-mêmes et, par transitivité, d’actualiser notre potentiel pour devenir la meilleure version de nous-mêmes. Tristement logique, puisque le fait d’être en couple ou non est devenu, au même titre que la politesse et la bienséance, un indicateur d’une intégration sociale réussie. On a peur du désert amoureux que l’on fuit comme la peste. Pour cause, le célibat est une tare, un boulet que l’on traine avec aigreur et dont on essaie de se débarrasser à tout prix, en essayant vainement de se rapprocher d’un idéal de désirabilité qui, bien souvent n’a rien avoir avec qui nous sommes vraiment. Mais fort heureusement, en matière de rehaussement de son niveau d’attractivité aux yeux des autres, tous les moyens qui permettent de se rendre attirante sont bons, et ce même si c’est au détriment de notre personne. Pour cause ils doivent tous être privilégiés: chaussures hauts perchées qui transforment nos corps de gnomes en silhouettes graciles, combinaisons vestimentaires qui s’apparentent plus à de la lingerie qu’à des tenues de ville, corps zéro-défauts remodelés et retravaillés « à la perfection », surperformance professionnelle qui élève au rang de semi-déesse, centres d’intérêts qui suivent mouvance du moment, culture générale que l’on étale toutes les fois que c’est possible et que l’on rehausse si l’étalage sobre n’est pas au goût du public etc…

En 2014, on ne sait pas être sans l’autre : tout le monde court après sa douce moitié, pour une nuit, pour la vie et à force de lui courir après, on en vient à s’oublier soi-même, à revêtir de grotesques costumes qui ne nous vont pas et à avancer accoutrés de masques de bouffons par méconnaissance ou abnégation de notre propre personne. Résultat : des jeunettes en mal d’amour avec des standards flexibles et malléables, des demoiselles qui cherchent comme des malades la fusion parfaite et des pseudo‑« vieilles filles » à la veille d’une mise au ban irréversible qui se rabattent sur leur « âmes-cousines ». Amour condensé, philosophie RRI (Révoqué, Remplacé Immédiatement), couples-vitrine, femmes prédatrices, filles plastiques, bienvenue dans ma société de fous. Bienvenue dans un monde où l’oubli de soi est devenu le gage d’une vie remplie et heureuse et où la primauté de sa personne sur les autres est symptomatique d’une pathologie à traiter au plus tôt, avant qu’elle ne se transforme en gangrène et qu’elle ne se propage.

À priori, je n’ai rien contre le principe de s’accomplir dans et par une relation et en théorie je ne condamne pas l’amour, les relations qui en découlent ou la vie de famille. Mais tout ça devient problématique quand on dédie toute son existence à la poursuite d’une âme sœur potentiellement mythique, quand on se perd dans cette quête de relation parfaite, quand l’amour devient co‑dépendance, quand on sous-estime les complexités des relations de couple et quand on oublie qu’une « vieille fille » peut elle aussi atteindre la plénitude! Oui, vous avez bien lu, on peut être heureuse célibataire et sans enfants. Parce que non, le couple n’est pas l’indispensable condition pour être comblé dans la vie. La finalité de notre existence n’est pas être de trouver notre âme sœur mais plutôt de nous trouver nous-mêmes, de dépasser nos peurs pour devenir la meilleure version de nous mêmes en dépit des expériences fâcheuses que nous avons faites. Avant de pouvoir se donner à l’autre il faut s’être trouvée avant parce que l’amour est une équation simple où 1+1=3, lui/elle, moi et seulement ensuite nous.

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