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Lyonel Trouillot | «Venez vite, nos profits sont menacés !», crient les affairistes apatrides

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Aujourd’hui, ces gens ou des signataires qui se présentent comme leurs représentants écrivent au président du Kenya pour lui demander d’accélérer la venue de ses troupes. Ces gens ne connaissent ni la décence ni la honte

On connaît et l’on dénonce souvent les vilenies dont sont capables des politiques malhonnêtes n’ayant fait que s’enrichir en utilisant les ressources de l’État comme des biens propres. On a vu ce qu’ils ont fait de la fonction publique, des institutions, de l’éthique républicaine.

Mais on oublie souvent que tout cela s’est instauré, installé, perpétué dans une complicité avec des gens dits du «secteur des affaires». On oublie que, aux grands moments de crise, ces gens dits du «secteur des affaires» ont refusé de participer à la mise en place de solutions nationales. On a vu, entendu des gens de ce «secteur des affaires» faire barrage aux solutions nationales. On les a vus, entendus quand ils s’opposaient à toute vraie construction républicaine et se rangeaient au côté de pouvoirs corrompus, illégaux, illégitimes.

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Aujourd’hui, ces gens ou des signataires qui se présentent comme leurs représentants écrivent au président du Kenya pour lui demander d’accélérer la venue de ses troupes. Ces gens ne connaissent ni la décence ni la honte. L’un des problèmes majeurs d’Haïti, c’est que jamais le secteur dit des affaires n’a, dans sa grande majorité, participé à une construction nationale. Jamais ils n’ont voulu de cette sphère commune de citoyenneté qui fait, au moins, l’équilibre républicain.

Ils ont toujours été du côté de la répression des tentatives d’établir cette sphère. L’argent n’a pas d’odeur et, s’ils restent bourrés de préjugés et se reproduisent entre cousins, ils s’adaptent et peuvent être de toutes les couleurs : mulâtres avec Lescot, noirs avec Duvalier, « grimo » avec Martelly, re-noirs avec Moïse et Henry.

Jamais ils n’ont voulu de cette sphère commune de citoyenneté qui fait, au moins, l’équilibre républicain.

La seule trace visible de leurs profits, c’est leur habitat caché dans les hauteurs. La réalité, et il est temps qu’on le dise à voix haute, c’est que les conditions de réalisation de leurs richesses sont les conditions de réalisation de la pauvreté des masses. Leurs pratiques sociales et économiques, leur relation à la sphère politique qui n’est fondée que sur la corruption et la prédation, sont des pratiques antinationales.

Institutions politiques dignes de ce nom, éthique républicaine transversale, pas leur souci. Ils se contenteraient d’une colonie ou d’un gouvernorat, du moment que cela leur permettrait de rentrer de l’argent. Leur vision de l’économie, c’est la rapine. Leur vision du politique, le pacte avec le plus offrant. Leur vision de la société, des pigeons et des subalternes. Leur vision du pays : un lieudit avec lequel leur seul lien est le profit qu’ils en tirent de n’importe quelle façon.

Au mieux, leur discours politique c’est de jouer au « neutre ». Ceux d’entre eux qui sont passés par de vraies écoles ont peut-être lu le poème de Hugo, « un bon bourgeois assis dans sa maison » dans lequel il faisait rimer neutre avec pleutre. Mais la poésie, la philosophie ne sont pas faites pour les atteindre. Examen de philosophie :

— Ça rapporte combien ?

— Tant, mais de quelle manière ?

— On s’en fout de la manière.

Cet État contre la nation a fait la preuve qu’il ne pouvait conduire qu’au pire. Penser la (re) construction nationale implique de poser résolument l’un des problèmes majeurs de la société haïtienne. La relation d’un bon nombre de membres du secteur dit des affaires avec ce pays est une relation d’affairistes apatrides.

Aucune construction nationale pour un pays habitable par tous avec un minimum d’équité ne peut se faire dans de telles conditions. On peut concevoir l’appel à une aide policière, voire militaire, mais du lieu d’une construction nationale. L’appel des «représentants» du «secteur des affaires» n’a rien à voir avec une telle démarche. Traduction du blabla : nos profits sont menacés, venez vite. Dans une telle logique, un jour ils finiront par demander qu’on nous envoie des chiens.

Par Lyonel Trouillot

Image de couverture : Un homme assis passe un appel tout en fixant l’écran d’un ordinateur. | © freepik


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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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