Un réseau de vols de terrain opère dans la ville
A la deuxième section de Petite Rivière de Léogâne, entre les localités de Terre-force, Place l’or et Guérin, une trentaine d’hectares couverts de manguiers bien alignés, ont été la cible de spoliateurs.
Sous les manguiers qui offrent leurs fruits aux rares passants qui osent traverser l’espace devenu un baril de poudre, des bornes sont plantées, des fondations sont fouillées et des piles de matériaux de construction s’entassent.
Depuis bientôt six ans, divers groupes armés se sont mis ensemble pour chasser le propriétaire de l’espace, l’agronome Georges Louis. Désormais, d’autres groupes revendiquent leur droit sur ce terrain, et cela cause une situation de grande insécurité à Kay Agwonòm, comme on appelle l’espace.
Le maire de Léogâne, Mauclair Désir, et l’ancien député Jean Wilson Hyppolite, sont indexés du doigt dans cette spoliation.
Implication de responsables d’Etat
L’espace appartenait à l’agronome Georges Louis. Il y a exploité, tour à tour, du tabac, des légumes, et finalement des manguiers.
Mais depuis 2012, de puissants groupes de la ville tentaient de s’accaparer de l’espace. Il a lutté pour garder ses terres jusqu’à sa mort en 2014. Après le décès de Georges Louis, son fils unique a continué à exploiter le terrain, qu’il plaçait sous la garde d’un gérant.
Cependant, en 2016, un nommé « Grimo », accompagné d’autres hommes armés ont envahi les 12 000 hectares. Ils ont chassé le gérant et ont partagé la terre entre eux. Quelque temps après, Grimo décède et laisse le terrain à ses complices.
Mais aujourd’hui, d’autres groupes réclament le contrôle de cette terre. Kay agwonom est ainsi devenu un quasi no man’s land, où des hommes armés sont constamment en embuscade.
Dans tout Léogâne, les gens racontent que des autorités très influentes de la ville sont impliquées dans ce coup de force.
C’est ce que pense aussi Edgar Baumier, responsable du Mouvement des Cultivateurs et Distillateurs de Léogâne. Il assure que c’est parce qu’ils sont au pouvoir, que ces individus peuvent envahir les terres.
Francisque Alphonse qui dirige la Communauté des Municipalités de la Région des Palmes, partage aussi l’idée de l’existence d’un « réseau de spoliateurs opérant dans la commune de Léogâne ».
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Des noms peuvent être mis sur ce réseau. Selon Garry Alliance, coordonnateur du Mouvement des Paysans pour l’Avancement de Léogâne (MOPAL), les hommes armés qui ont envahi l’espace «sous-traitent avec l’ancien représentant de Léogâne à la 50e législature, Jean Wilson Hyppolite».
Nous avons vainement tenté de parler au député pour éclaircir ces accusations.
Mais le maire de la commune, Mauclair Désir, quoique confirmant l’existence de ces groupes armés, jure que l’ancien député de la circonscription n’a pas son empreinte dans l’affaire.
“La vérité, dit Mauclair Désir, c’est que pas moins de trois familles, dont les Tranquilor et les Léandre, réclamaient la propriété du verger”.
Selon le maire, il est vrai que les belligérants ont fini par trouver une entente pour partager le terrain, mais « la mairie ne délivrera aucun permis pour construire dans l’espace du verger ».
Cependant, une source proche de la mairie de Léogâne, requérant l’anonymat, assure que le maire a menti. Il serait lui aussi impliqué dans l’envahissement des terres de l’agronome, au côté du député.
Aucune solution
L’ancien député de Saint-Marc à la 50e législature, Samuel D’Haïti, a dirigé la commission agriculture de la Chambre basse au cours de l’année 2018.
Il confie qu’il était au courant de la situation à « Kay Agwonom ». Après qu’il ait visité les lieux, il avait dressé un rapport dans lequel il conjurait le ministère de l’Agriculture, de concert avec les autorités judiciaires, d’intervenir rapidement, et de déclarer l’espace d’utilité publique.
Selon le parlementaire, cela aurait pu casser tout élan visant à construire des maisons à la place des manguiers, dans un pays ou la mangue représente la principale denrée d’exportation.
Après plusieurs coupes, il reste encore près de 7 000 manguiers à Kay Agwonom. Ces arbres avaient une valeur économique pour leur propriétaire, qui revendait les récoltes sur le marché national, mais c’était aussi un lieu de loisirs pour la jeunesse de Léogâne et de formation pour des étudiants en agronomie, rappelle Garry Alliance.
Mais depuis le rapport de Samuel D’Haïti, rien n’est fait pour protéger l’espace. L’ancien parlementaire indexe « des bras politiques ».
Au ministère de l’Agriculture, le responsable de la production végétale, Clerveus Jean Fritzner, ne peut ni confirmer ni infirmer l’existence du rapport de la commission Agriculture, dressé depuis 2018.
Cependant, il rappelle qu’un tel dossier qu’il qualifie plutôt de « conflit terrien », dépend du ministère de la Justice.
Quant à l’idée de déclarer l’espace d’utilité publique, le responsable de la production végétale du MARNDR rappelle qu’elle est du ressort du président de la République. Une façon de dire que le ministère de l’Agriculture ne s’intéresse pas à ce dossier.
A la mairie de Léogâne, Mauclair Désir dit vouloir trouver une solution, « afin que l’espace devienne un patrimoine de l’Etat ».
A cet effet, il a dévoilé que trois arrêtés communaux, visant à déclarer le terrain d’utilité publique, étaient en stade de finition et seraient, sous peu, confiés à la délégation départementale de l’Ouest, qui doit les soumettre au président de la République, pour publication dans le journal officiel du pays. Plusieurs mois après, cela n’a pas été fait.
Le mandat du maire est arrivé à terme en juillet 2020. Il a été reconduit comme agent exécutif intérimaire; il assure qu’il travaille encore sur ces arrêtés.
« Ils font des promesses pour la galerie, comme d’habitude, et laissent leurs sbires continuer à violer l’espace », dénonce Edgar Baumier, qui dit constater une augmentation des cas de spoliation dans la plaine de Léogâne depuis que ces responsables sont à la tête de la commune.
Des précédents
Kay agwonom n’est ni le premier ni le seul épisode de spoliation dans la ville de Léogâne. L’un des plus grands scandales a été enregistré vers les années 2015, selon Edgar Baumier, lorsqu’un groupe d’individus ayant à leur tête Grimo, le même homme qui a envahi les terres de l’agronome, ont réclamé un terrain dénommé Kay Konsil.
Selon des habitants de Léogâne, ce terrain appartenait à un ancien consul d’Haïti. Aujourd’hui, un terrain de football et un espace réservé à la bande de rara Sainte-Rose, sont les seuls rappels de l’existence de Kay Konsil », acquis par la force des armes.
Une deuxième tentative d’invasion de terrain s’est produite lorsque le même groupe qui a pris le contrôle du terrain de « Kay Konsil » aurait envahi un autre espace de près de 129 carreaux de terres d’un domaine familial connu sous le nom de « Kay Thony ».
Selon des anciens de la zone de Biree et de Neply, ce terrain était longtemps utilisé pour la production du lait « Kani». Après des années consacrées à la culture de légumes, l’espace est maintenant cultivé en canne-à-sucre et connaît de temps en temps des incendies.
Aux dires d’un journaliste de Léogâne, requérant l’anonymat, ces incendies sont imputables à des groupes armés de Neply et de Biree qui estiment que l’espace appartient à leurs parents.
Effectivement, Edgar Baumier confie que le propriétaire de cet espace, Anthony Bouchereau, se sent si menacé aujourd’hui qu’il est obligé d’enfiler un gilet pare-balles même pour se rendre au tribunal, en vue d’une bataille judiciaire pour son terrain.
Samuel Celiné
Photos : Kay Agwonòm / Min Lakay FB
Une première version de ce texte évaluait Kay Agwonòm à 12,000 hectares. C’était une erreur. Le terrain est estimé à 23 carreaux, ce qui équivaut à 29.67 hectares. 20.16 15.01.2020
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