SOCIÉTÉTremblement de terre

Une brève histoire des dix dernières années

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Le séisme de janvier 2010 offrait des opportunités de repenser et reprendre ce qui a déjà été fait, de faire autrement et selon normes à différents niveaux. 10 ans après le cataclysme meurtrier, le constat d’échec est patent. Haïti est devenue plus vulnérable qu’avant face aux aléas naturels. Les constructions anarchiques reprennent des plus belles. Quid des manquements, des tergiversations, des malversations qui ont ponctué la période post-séisme une décennie après le drame

12 janvier 2010, 16 h 53, un séisme de magnitude entre 7,0 à 7.3 a frappé la capitale haïtienne. Les dégâts sont énormes. Les séquelles vivantes 10 ans après. Ce cataclysme meurtrier, l’un des plus sanglants de toute l’histoire d’Haïti a fauché des centaines de milliers de vies. Aujourd’hui encore, nous comptons nos morts. Les bilans officiels des disparus vacillent. On parle de 200 000 morts et 300 000 blessés. D’autres chiffres avancent entre 220 000 et 300 000 morts. 10 ans après, à certains endroits c’est comme si le temps s’est arrêté. Haïti cherche encore des filles et fils ensevelis sous le gravât et scrute dans les mémoires de l’oubli à la recherche de visages perdus et de rêves enfouis.

Ce mardi de printemps un épais nuage de poussière a suivi un bruit assourdissant en cet après-midi ordinaire. On ignore l’origine du bruit, mais ses effets perçaient les yeux. Les immeubles de la région métropolitaine de Port-au-Prince s’agenouillent. Les zones environnantes ne sont pas épargnées. Jacmel et Léogâne capitulent. Les survivants affolés courent dans toutes les directions, ignorant l’attitude normale à adopter en pareille circonstance. Les stations de radio grésillent. Les téléphones se tuent. Haïti est coupé du reste du monde. Le tremblement de terre immobilise le pays. Des cœurs ne battent plus et le seront à jamais. Haïti revient en force sur la carte du monde des pays fragiles notamment après le passage des cyclones Jeanne, Fay, Ana et Ike.

En l’espace d’un cillement

35 secondes. C’est tout ce qu’il a fallu au séisme pour mettre au grand jour ce que nous avons essayé quotidiennement de masquer : notre vulnérabilité, doublée d’une maladresse éprouvée. Après plus de 200 ans de liberté conditionnelle et d’une indépendance négociée, Haïti avait affaire face à ses vieux démons. En un clignotement le centre de commande du pays était inexistant. Le Palais national, haut lieu symbolique du pouvoir n’a pas résisté aux assauts du séisme. « My palace is collapse », statuait le feu président Préval.

La plupart des immeubles de la capitale cèdent. Le tremblement de terre qui a été assez proche de la croûte terrestre révèle ce qu’on feignait d’ignorer depuis fort longtemps, à savoir notre gestion aléatoire de l’espace urbain. L’anarchie qui caractérisait et caractérise encore notre manière de construire réclamait des comptes. En mois d’une minute, tout n’était que ruines et désolation.

Au pied du mur

La catastrophe a pris tout le monde de court. Le pays n’était pas préparé à faire face à un déchaînement aussi féroce de la nature. Jusque-là, on se contentait de préparer sans grande conviction la saison dite cyclonique entre juin et novembre. La menace tellurique était largement sous-estimée d’autant que le dernier tremblement de terre remontait à plus d’un demi-siècle. On a pris un tel plaisir dans la gestion ad hoc du quotidien que la préparation et la planification faisaient cruellement défaut et la gestion pompier devenu sport national.

Le séisme a mis au grand jour l’amateurisme et l’insouciance — à la limite cynisme — qui ont toujours caractérisé la politique haïtienne. L’intérêt pour la gestion de la chose publique et du bien-être collectif n’a pas toujours été à l’ordre du jour. Ainsi, l’Administration Préval-Bellerive a fait une gestion calamiteuse de l’urgence. Celles qui ont succédé n’ont pas fait mieux. C’est non sans peine que l’onconstate que 10 ans après, le pays n’est pas mieux loti en termes de gestion de catastrophe naturelle.

C’est au pied du mur qu’on reconnait les vraiment maçons, a-t-on appris. Mais ceux qui prétendent nous diriger ne cessent de défier sans complexe, la logique élémentaire qu’un pays doit être mené par ses fils et filles les mieux préparés et les plus dignes.

L’aide internationale

L’aide internationale est arrivée au bon moment. La solidarité internationale était forte. Intense. Le monde entier voulait sauter à la rescousse de ce petit pays maudit par les dieux. C’était une bonne bouffée d’oxygène pour un malade qui peinait grandement à trouver les ressources internes pour assurer sa survie. Mais à force de ne pas maîtriser le dosage, le patient a failli laisser sa peau d’une hyperoxie. Il ne s’agit pas de blâmer l’intervention internationale à la suite du séisme. Ce serait sous-estimer l’ampleur des dégâts et l’utilité de ce soutien. Dieu seul sait ce qui aurait pu advenir en absence de cette solidarité. Mais force est de constater que cette assistance n’était pas adaptée aux priorités nationales et accordée dans des conditions optimales.

Le 31 mars 2010, à la conférence de New York, des milliards de dollars ont été promis pour la reconstruction d’Haïti. À date, une infime partie des promesses sera tenue. La majorité des dons a transité par des organismes internationaux ou gérés par des ONG. L’État haïtien soupçonné, à tort ou à raison d’être corrompu – mais plus à raison qu’à tort – n’a eu droit qu’à une gestion ingrate d’une somme misérable, moins de 10%. Le principe de subsidiarité n’a pas été respecté.

D’un autre côté, il faut également voir le tremblement de terre de janvier 2010 comme une épreuve inédite pour beaucoup de pays. Parmi ceux qui ont volé au secours d’Haïti, il y en a pour qui le séisme a été la plus vaste opération d’urgence jamais menée auparavant. C’était donc un défi, un test, une expérience. D’ailleurs, on le sait, l’aide internationale n’a jamais développé aucun pays. C’était donc illusoire dès le départ de croire que le pays allait pouvoir se reconstruire qu’avec l’aide étrangère. Le quidam pouvait s’accorder un tel espoir, mais une telle naïveté était impardonnable venant de dirigeants d’un pays.

Des maladies congénitales

La corruption. L’absence de vision à long terme, l’appétit vorace et infertile du pouvoir. La méfiance, la malversation, la ruse, l’insouciance, l’irresponsabilité guettaient la nation éplorée en dépit de la conscience collective de la vulnérabilité et de l’échec constaté après le choc. La nature semble avoir imposé une trêve, mais les vieux démons de la nation haïtienne en avaient hâte de reprendre du travail. L’occasion leur sera offerte sous différentes formes.

Ainsi, l’absence de leadership endogène, laissant libre cours aux acteurs internationaux d’imposer leurs quatre volontés et le manque généralisé de gouvernance, notamment au niveau de l’exécutif ont abandonné le sort des millions de déplacés à la providence quand ce n’est à la merci de quelques bienfaiteurs œuvrant dans la plus parfaite ignorance du terrain. L’opportunité d’enrichissement à la vitesse de l’éclair n’était pas si loin pour des acteurs de tout acabit.

Retour à la case départ

Un malheur n’arrivant jamais seul, environ six mois après le drame alors que le pays est en ruine, la communauté internationale met le cap sur l’organisation des élections, après des évaluations « positives » de l’ONU et de l’OEA. Ces élections représentaient un enjeu majeur pour le pays, mais davantage pour la communauté internationale qui y conditionnait l’octroi des fonds pour la reconstruction. Les bailleurs voulaient un gouvernement légitime susceptible d’inspirer confiance, disait-on.

Le paquet était mis. Cap sur les élections. Désormais, l’urgence a cédé place à la lutte pour le pouvoir. Tous azimuts. Des régulateurs, il n’y en avait pas. Tous étaient des acteurs avec des objectifs précis, défendant leur pré carré. En pareille occasion, la loi du plus fort prévaut toujours. Le reste est de l’histoire.

L’histoire retiendra toutefois que les conditions d’organisation de ces élections auront été la seconde catastrophe de la décennie. Ces élections marqueront le pays pour longtemps encore. Parfois, on a comme l’impression qu’Haïti est ce rare vestige de laboratoire où certains prennent plaisir à tester les caprices humains !

Ironie du sort, le candidat Martelly scandalisé face à la volatilité de l’argent pour la reconstruction voulait des comptes. Il se le promettait et demandait où est passé cet argent, environ 4 milliards de dollars. La question lui sera retournée 8 ans plus tard « Kot Kòb PetroCaribe a »?

Sur le chemin, une autre tragédie touche le pays : l’épidémie du choléra. Le rôle des Casques bleus dans l’introduction de l’épidémie sera plus tard prouvé. Adelante, répliquent les membres de la communauté internationale. Cette épidémie, jusque-là inconnue en Haïti, outre les morts occasionnés a provoqué une psychose et bouleversé des aspects culturels bien ancrés. Des excuses, c’est tout ce que le pays obtiendra de l’Organisation des Nations-Unies.

L’épée de Damoclès

L’ouragan Matthew a été un test. Une sorte d’examen à mi-parcours que les académiques connaissent bien. Les acteurs de développement parlent de revue mi-parcours. En général, c’est une occasion de savoir où on en est suivant une planification donnée en vue d’ajuster là où il y a des déficits et répliquer les bonnes pratiques. Les autorités haïtiennes ont piteusement échoué, à nouveau, à apporter une réponse adéquate à ce drame qui a touché de plein fouet le Grand-Sud en 2016. Aucune leçon apprise — si leçon on en avait tirée — lors de séisme de 2010 n’a pu être éprouvée. La république voisine en a profité pour faire une démonstration de force. Une ligne interminable de véhicule apportant de l’aide partant de l’Est a paralysé toute circulation sur son passage. L’image capturée est grandiloquente pour le destinataire, traumatisante pour les nationalistes vernaculaires.

Certains candidats — période électorale oblige — se sont rués sur les sinistrés tels des vautours qui n’attendaient que ça pour perfusionner leur proie à coup kits d’urgence afin de mieux les dépecer par la suite et prolonger leur souffrance. L’acte se parait d’un cynisme qui ne disait pas nom.

10 ans après le séisme, Haïti demeure l’un des pays les plus vulnérables face aux aléas naturels. Aucun renforcement structurel significatif n’a eu lieu depuis le séisme. Aujourd’hui encore, outre les menaces cycloniques nous sommes désarmés face à la moindre secousse, alors que les experts nous alertent d’une menace constante et d’une activité sismique accrue notamment de la faille d’Henriquillo. Le Grand Nord est très à risque. Mais cela inquiète peu.

Le 6 octobre 2018, un séisme de magnitude 5.9 a frappé le nord-ouest d’Haïti, bilan :  17 morts et 380 blessés. Un séisme d’une telle magnitude ne produit pas autant de victimes dans d’autres pays à risques sismiques. Au moment de la rédaction de ce papier, le Porto-Rico a été frappé par des secousses supérieures à 6,0 sur l’échelle de Richter, mais on ne déplore pas autant de victimes. Entre constructions anarchiques et réactions inadaptées, la mort a eu raison de ces âmes dans l’indifférence générale et désintéressée des responsables haïtiens.

Les opportunités manquées

12 janvier 2010, a été l’occasion sans cesse ratée dans l’histoire d’Haïti de repartir sur de nouvelles bases. Les illuminés parlent de guerre sainte. L’ambivalence rhétorique qui prévalait au lendemain du séisme revêtait tout son sens, fallait-il construire ou re-construire ? Dans les deux cas, les besoins étaient palpables. L’émotion collective qui entourait la catastrophe prêtait à d’initiatives audacieuses de dirigeants visionnaires. Mais rien ne s’y fit.

10 ans après le séisme, le Code national du Bâtiment d’Haïti élaboré en 2012 n’a jamais pu entrer en vigueur. En deux législatures, nos honorables n’ont pas estimé important de doter le pays de ce document fondamental pour de meilleures pratiques de construction.

Le séisme avait ramené sur la table du débat les constructions anarchiques et le manque de clairvoyance des autorités passées, présentes et actuelles. Le futur et hypothétique. Le centre-ville, jadis considéré comme le centre commercial du pays est toujours en lambeaux 10 ans plus tard. On a préféré mouvoir les activités commerciales vers des contrées très inadaptées au lieu de reprendre et de faire mieux.

Concrètement, nous avons manqué l’occasion de :

Mieux construire : aujourd’hui, Canaan, ce village qui a pris naissance après le séisme est le prototype de notre manière d’occuper l’espace, de construire : anarchique. Canaan est la preuve qu’aucune leçon n’a été apprise à la suite du séisme. Il suffit de rendre une visite dans la localité située à 10 km de Port-au-Prince pour s’en rendre compte. L’absence ou l’irresponsabilité de l’État dans le bâti en est palpable et continue d’exposer, sans broncher, des milliers de vies à la tragédie.

Maitriser la gestion des risques : la direction de la protection civile a, certes, été renforcée, mais les capacités de réaction de la structure sont proches de nulles. Les ressources matérielles et humaines font cruellement défaut, 10 après. Et dire que le pays avait disposé de plusieurs milliards de dollars dans le cadre de l’accord Petro-Caribe. La gestion de l’urgence n’est pas maitrisée. Le « Bondieu bon » demeure le crédo de ce peuple de croyant aux dirigeants dévots.

Renforcer le secteur d’assurance : le secteur d’assurance aurait pu profiter pour se développer ou se réinventer. Si l’État a pour obligation de créer un climat propice pour ce développement avec un cadre légal moderne et performant, le secteur privé a, lui aussi, un rôle à jouer.

Penser l’urbain : s’il y a un manquement des plus criants par suite du séisme c’est dans l’urbanité. Le milieu urbain a été le parent pauvre de la re-construction. Alors qu’une occasion unique était offerte de le repenser. Les mauvaises habitudes ont la vie dure, l’anarchie reprend le pas et les conséquences ne sont pas loin.

Construire la mémoire collective : la mère qui a perdu son fils, jamais revu il y a dix ans. La fille qui a perdu ses parents sortis vaquer à leurs activités et qui ne sont pas rentrés ce mardi fatidique. Le frère, la sœur, le cousin, l’ami sont à jamais disparus. Le Mémorial Saint-Christophe élevé à Titanyen en mémoire des milliers de ceux mis en terre en toute indifférence n’est même pas entretenu. Le deuil ne sera jamais fait. S’il y a un domaine où l’on excelle chez nous, c’est celui de l’oubli.

10 ans après le séisme, la re-construction s’enlise. Les conditions d’existence du peuple haïtien ne s’améliorent guère. Le pays est plus vulnérable qu’avant, même avec une connaissance plus élaborée des menaces. Le plus dur aujourd’hui est le deuil des espoirs perdus, l’abandon des rêves détruits et le sentiment d’impuissance face à l’inacceptable copieusement entretenu par la classe dirigeante avec la complicité des élites aveugles-nées.

Master Communication & Marketing, communicant, juriste, sémiotique & stratégies

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