Je me suis réveillée la tête lourde, les yeux rougis par la fatigue et les larmes. Martin n’était plus à mes côtés, et sa place sur le lit avait déjà refroidi. Je poussai un soupir de soulagement. Je ne me sentais pas la force d’emprunter la peau d’une femme souriante et comblée pour éviter de culpabiliser.
Je ne sais pas comment j’ai pu en arriver là! Au lieu de m’épanouir, je me fanais lentement dans mon mariage. Après cinq ans de vie commune, l’homme qui était censé contribuer à mon bonheur était la source même de mon mal-être. Mon époux m’était devenu totalement étranger.
Toutefois, Martin était un bon mari. Il avait un boulot respectable impliquant certes de longues heures de travail mais il s’arrangeait toujours pour créer du temps rien que pour nous deux. Il gagnait bien sa vie et adorait me couvrir de cadeaux et de marques d’affection. Toutes les occasions étaient bonnes pour m’offrir des fleurs, des bijoux, des gadgets électroniques, et nous partions souvent en voyage. Quant au sexe, sa routine impliquait une moyenne hebdomadaire de trois fois… Pour avoir entendu mes copines se plaindre de leurs rapports intimes relégués au second plan, j’avais remporté le gros lot. J’étais comblée mais tellement malheureuse !
Au début pourtant, tout semblait se dérouler comme dans mes rêves. Néanmoins, au cours de notre deuxième année de mariage, j’ai perdu mon enthousiasme. Mon cœur ne battait plus la chamade et mes gestes d’amour étaient devenus des automatismes que j’accomplissais l’esprit ailleurs. J’ai cru que c’était passager, que je me faisais du souci pour rien cependant aucune de mes multiples tentatives pour raviver notre idylle n’ont abouti. Cette boule que j’avais dans la gorge ne fondait pas. Après quelques mois, mon malaise était encore plus grand…Le fossé abyssal qui s’installait était devenu pour moi carrément invivable. Notre complicité d’avant n’était qu’un vague souvenir.
J’ai essayé d’en parler à une amie proche et à ma mère. Elles ont tout de suite cru que je subissais des violences conjugales ou que Martin me trompait. Mais lorsqu’elles ont compris qu’il n’en était rien, je me suis fait remonter les bretelles. Je n’étais pas consciente de ma chance… Je cherchais des problèmes là où il n’y en avait pas… Je n’étais pas reconnaissante de ce que la vie m’avait offert… J’étais une sale égoïste !
Alors j’ai redoublé d’efforts pour éviter que la petite flamme ne s’éteigne en moi. Sans succès ! Le pire, c’est que Martin n’y voyait que du feu. Mes excuses récurrentes pour le repousser ne parvenaient même pas à lui mettre la puce à l’oreille.
Prise au piège, je ne me retrouve plus dans la monotonie du quotidien, dans cette vie rangée, faussement idéale que je mène pour bénéficier d’un statut social envié par mes pairs. Qu’est-il advenu du prince charmant avec qui j’étais destinée à vivre heureuse et avoir beaucoup d’enfants? Celui qui m’est tombé du ciel, mon prince à moi est un boulet que je devrai trainer toute ma vie de condamnée. Je ne le trouve plus beau, ni même attirant. Je lui ai découvert des tas de petites manies qui auparavant m’auraient laissée indifférente mais qui aujourd’hui m’agacent au plus haut point. Je ne suis plus amoureuse de Martin, aussi simple que ça ! Je ne veux plus sentir son souffle haletant près de mon cou, ses mains sur ma peau, ses lèvres sur les miennes… Pourtant, il n’y est pour rien.
J’ai commis une erreur de jeunesse, peut-être me suis-je précipitée parce que j’avais l’âge de me marier et qu’il avait une bonne situation. C’est ce que toute ma famille attendait de moi. Ils étaient si fiers ! D’ailleurs, Je subissais difficilement la pression de ces derniers quant à ma vocation à procréer. Secrètement, je résistais incapable de me résigner à être enceinte de cet étranger dans mon lit.
J’ai tenté de lui confesser mon mal- être, de lui parler subtilement de divorce. Son ego d’homme en a pris un coup, alors il s’est mis en tête que m’engrosser résoudrait définitivement le problème. Mes crises de pleurs, mes longues périodes d’insomnie m’ont complètement vidée, j’ai perdu au fil des mois toute volonté de couper court à cette farce. Au fond de moi, j’ai continué de lui en vouloir amèrement de ne m’avoir donné aucune raison valable de ne plus l’aimer. C’est juste arrivé, comme ca, sans explications, enfin je crois…
Ce matin enfermée dans la salle de bain, j’étouffais mes sanglots pour ne pas alerter Martin. Je regardais incrédule ce test de grossesse… Je m’en doutais depuis quelques semaines déjà, mais je n’avais pas le courage de faire le pas pour confirmer mes craintes.
Les pires pensées m’ont traversé l’esprit, et pourtant depuis longtemps pour une fois, une lueur d’espoir perça mon nuage de chagrin. Martin avait sans doute raison. Pour le bonheur de ce petit être innocent, peut- être que cette comédie à deux valait la peine d’être vécue. De toute façon, il était peut être temps que je comprenne que l’amour n’est pas l’essence du mariage.
J’écrivis donc pour une fois depuis des lustres, un petit mot à Martin et le plaçai de telle sorte qu’il ne puisse ne pas l’apercevoir.
Martin, je t’aime…
Lorsque Martin rentra dans notre chambre ce soir-là, son bouquet de rose en main pour notre anniversaire de mariage, je ne me fis pas priée, j’exécutai en pleine conscience cette fois, notre sempiternelle routine, qui n’a de mérite que de satisfaire uniquement ses propres désirs et fantasmes.
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