Lancée officiellement le 1er Mai 2017, l’initiative phare du président de la république, M. Jovenel Moïse, la caravane du changement, sillonne le pays depuis maintenant un an. Douze mois plus tard, le concept reste encore incompris par plusieurs et est critiqué par ceux qui en ont saisi le sens mais qui n’ont pas pu en voir la pertinence ou la viabilité. Néanmoins, il faut le reconnaitre, le public est tenu informé régulièrement des réalisations de « la Caravane », grâce au maintien par le gouvernement, d’une communication agressive à travers des capsules radiophoniques et télévisées diffusées sur plusieurs médias. La politique du gouvernement et le pays entier semblent tourner autour de cette caravane. Si l’on accepte de considérer la caravane comme une stratégie du gouvernement pour mieux servir la population, peut-on pour autant dire qu’elle porte des fruits? Est-ce la stratégie la moins coûteuse? Sur quoi se base-t-on pour jauger son efficacité ?
La volonté d’action des décideurs publics est manifeste. Il suffit de voir la fréquence de leurs déplacements sur le terrain et leur frénésie d’inaugurer la moindre réalisation pour comprendre qu’à défaut de faire, ils veulent à tout prix avoir l’air de faire des efforts pour améliorer les conditions de vie d’une population aux abois. Rappelons que 58,6% de la population vit avec moins de 2,5 dollars par jour soit moins de 164 gourdes. Pourtant cette volonté d’action ne se traduit pas toujours par une stratégie d’action bien pensée, adaptée et mesurable et ne s’accompagne pas non plus de mécanisme de suivi et évaluation.
L’évaluation est l’arme la plus efficace pour éviter les échecs enracinés dans les solutions de bonne volonté mal calculée. A titre d’exemple, prenons les échecs enracinés dans les solutions de bonne volonté mal calculée. A titre d’exemple, prenons le programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO), vendu comme la solution au problème de scolarisation et d’accès à la scolarisation. Il s’est arrêté en chemin et a laissé une dette de 3 milliards de gourdes au Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP).
Va-t-on attendre la fin de la caravane et un changement de gouvernement pour évaluer l’impact de la Caravane du changement?
La caravane n’est ni un projet ni un programme et n’a pas un budget qui lui est entièrement dédié selon son responsable, M. Thomas Jacques. Cette manière de la décrire ne permet pas d’évaluer l’avancée et l’impact de la Caravane changement. Se basant sur la description du Ministre, il est impossible pour le gouvernement de répondre aux interrogations sur le rapport coût -bénéfice de cette initiative, car elle n’a pas de budget bien défini, et utilise les moyens de toutes les entités comme bon lui semble. Dans les faits, cette description suscite plus de questions qu’elle n’apporte de réponses sur la caravane.
L’évaluation des politiques publiques ou les audits de performance comme pratique et champs d’études sont rarement mentionnés dans les grands débats et analyses alors que dans beaucoup de pays il s’agit de la question centrale. Haïti ne devrait pas refaire la roue, les méthodes d’analyse empirique et d’autres cadres théoriques existent déjà et permettent de mesurer et d’analyser avec beaucoup de précisions les initiatives, stratégies et politiques publiques. Il importe de mesurer l’intensité et le sens des effets des choix de nos dirigeants, de mettre en évidence leurs faiblesses et leurs forces, de tirer des leçons en terme de bonnes pratiques.
Il est nécessaire de pouvoir mesurer l’impact de chaque dollar dans le cadre d’un projet, il faut aussi pouvoir rendre compte sur la gestion de l’argent des contribuables et démontrer pourquoi c’est la meilleure façon d’obtenir les résultats escomptés. Dévoiler le nombre de kilomètres de route construit ou le nombre d’équipement distribué ne sont pas les statistiques qui justifient la stratégie de la caravane qui s’inscrit en dehors du cadre institutionnel déjà établi. A-t-on déjà évalué combien coûteraient tous les travaux effectués par la caravane s’ils étaient exécutés par le MTPTC par exemple?
L’évaluation de l’efficacité de la caravane du changement doit évidemment aller au-delà de la critique superficielle et dépasser un simple étalage de la quantité de kilomètres de route construite et de surfaces agricoles irriguées pour en prouver l’impact. Malheureusement la parole est plus souvent accordée aux activistes/politiciens/militants qu’aux universitaires ou aux spécialistes lors des réflexions et échanges autour de l’action gouvernementale.
Il est urgent d’évaluer pour ne pas investir les maigres fonds publics dans des programmes ou stratégies qui ne marchent pas ou le cas échéant, pour promouvoir la réplication à plus grande échelle des programmes ayant un impact positif. Dans un pays où se multiplient les projets, lois et programmes sans amélioration visible des conditions de vie ou de performance économique, il est de la plus grande importance de prendre le temps d’évaluer de faire un tri entre ce qui marche et ce qu’il faut revoir. Tous les contribuables ont le droit de savoir si leur argent est utilisé à bon escient et d’obtenir une réponse factuelle sur l’efficacité de la caravane du changement, et ce dans les meilleurs délais.
Emmanuela Douyon
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