SOCIÉTÉ

Trump provoque une réduction des activités d’une vingtaine d’organisations LGBT+ en Haïti

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Par manque de financement en marge des turbulences à l’USAID, des organisations LGBT+ décident d’arrêter des programmes ou de fermer leurs portes

Des membres de la communauté Lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT+) en Haïti se retrouvent privés de soutien depuis la suspension, en janvier 2025, de l’aide américaine à travers l’agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID).

Une vingtaine d’organisations haïtiennes de défense des droits des personnes LGBT+, spécialisées dans le soutien, l’accompagnement et l’aide médicale aux populations concernées, ont été contraintes de réduire leurs activités.

La décision américaine survient dans un contexte marqué par un manque de financement local pour ces organisations.

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Dans un pays encore peu tolérant aux minorités sexuelles et de genre, les personnes trouvent auprès de ces institutions un soutien psychologique, des formations sur la santé sexuelle et l’auto-acceptation. 

Lauren’s Ovide, 27 ans, révèle participer chaque année à l’une de ces activités réunissant entre 30 à 50 personnes. 

Ces programmes, parrainés entre autres par l’USAID, à travers des organisations  locales, sont actuellement dans l’impasse. « Ces programmes m’ont aidé,  ainsi que d’autres personnes, à mieux assumer mon orientation sexuelle, déclare Ovide. C’est décourageant. »

Professionnel de la publicité, Ovide a vu ses contrats de campagnes de sensibilisation en faveur, – notamment de la Prophylaxie Pré-Exposition (PrEP) pour le compte de l’USAID – annulés.

Il travaillait circonstanciellement pour des organisations tels que FOSREF et SEROvie, qui intervenaient dans le domaine du VIH en Haïti. Mais privées de l’aide étrangère, ces organisations ont été contraintes de cesser leurs activités et revoir leur organigramme.

« Actuellement, je suis sans travail, se désole Ovide. Et j’éprouve des difficultés à joindre les deux bouts, encore moins à soutenir financièrement ma famille en tant qu’enfant unique, comme c’était le cas avant ».

Ovide s’inquiète aussi pour sa santé. Alors qu’il prenait PrEP depuis 2018 pour se protéger contre le virus du Sida, il se dit préoccupé de la rareté de cet antirétroviral entravant la «régularité de sa prévention», ainsi que celle de centaines d’autres membres concernés.

En janvier 2025, l’administration américaine bloque sans concession son aide étrangère à travers l’USAID pour les programmes dits de diversité, d’équité, d’inclusion et d’accessibilité (DEIA) qu’elle juge «radicaux et inutiles».

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Une nouvelle décision, prise en avril 2025, met fin à 42 programmes humanitaires financés par l’agence américaine à travers le monde, équivalant à environ 1,3 milliards de dollars, dont 5,3 millions pour Haïti.

Dix-neuf organisations «formelles» LGBT+ réparties un peu partout en Haïti dépendaient en grande partie de l’aide américaine, selon Johnny Lafleur, président du Comité national de plaidoyer des populations-Clés en Haïti (CNPPCH).

Ces programmes m’ont aidé,  ainsi que d’autres personnes, à mieux assumer mon orientation sexuelle, déclare Ovide. C’est décourageant.

Créée en 2017, cette structure regroupant  les principales organisations LGBT+ du pays, milite pour une société haïtienne inclusive, garantissant les droits civils, politiques et culturels des personnes-clés.

« Il a fallu à la communauté LGBT+ environ une vingtaine d’années en Haïti pour gagner et préserver certains acquis, mais Donald Trump est sur le point de tout détruire en l’espace de trois mois seulement », regrette Lafleur à AyiboPost. Lafleur est également coordinateur générale de l’association des Jeunes contre la Discrimination et la Stigmatisation (AJCDS).

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Souvent critiqué par des spécialistes haïtiens, le soutien de l’USAID était fort considérable: en 2024, l’agence a alloué, pour différentes rubriques, 416 millions de dollars à Haïti.

L’AJCDS est frappée de plein fouet par la décision américaine.

Depuis sa création en 2016, l’organisation compte sur le support de l’USAID et le Plan d’urgence du président pour la lutte contre le Sida (PEPFAR) pour intervenir au niveau du droit des personnes LGBT+ et la riposte au VIH/Sida en Haïti à travers des programmes axés sur le soin, la sensibilisation et la prévention.

Face aux défis pour continuer à financer ses opérations, une demi-douzaine des quinze employés de l’institution, dont un médecin et une infirmière, ont été renvoyés, et plus d’une cinquantaine de « pères éducateurs », spécialisés dans l’accompagnement et la formation des populations clés en Haïti, risquent de perdre leur emploi.

 Les responsables disent craindre le pire. 

« Dans les mois à venir, notre staff sera limité seulement aux cinq membres fondateurs. Les autres employés seront probablement renvoyés », se plaint Johnny Lafleur.

Dans un contexte d’absence de financement pour des programmes de prévention et de traitement du VIH, notamment pour l’accès au PrEp,  les risques liés à la transmission du VIH s’accentuent, soulignent deux responsables d’organisation contactés par AyiboPost. 

Les professionelles de sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, les personnes transgenres, les prisonniers et les droguées, entre autres sont  parmis les personnes les plus vulnérables.

Dans l’Artibonite, le collectif haïtien d’Aide et d’Appui à l’Émancipation Sociale (CHAAPES) a dû abandonner son programme de sensibilisation et de prévention au profit de près de 300 personnes par mois. 

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D’après son coordinateur exécutif, Steven Jean-Gilles, l’organisation ne parvenait même plus à payer le loyer de son local, pris en charge depuis 2019 par le PEPFAR.

Dans son volet de prévention et de lutte contre le VIH, Johnny Lafleur révèle que sa structure avait l’habitude de réaliser des séances de dépistage pour environ 1800 personnes chaque année – dont des membres de la communauté LGBT+ à travers des programmes auparavant financés par PEPFAR et le Fond Mondial.

En manque d’alternatives, la plupart de ces programmes ont été suspendus et des patients ont abandonné les centres d’intervention.

En avril 2025, plusieurs organisations, dont SEROvie, qui offrait depuis plus de vingt ans des services de santé communautaire aux haïtiens, y compris les minorités sexuelles, a dû arrêter la plupart de ses activités après qu’une dernière notice de l’USAID le 4 avril 2025 l’informait que l’agence américaine et ses différents projets ont été démantelés.

Parallèlement, des personnes appartenant à la communauté LGBT+ en Haïti contactés par AyiboPost disent constater un regain de formules discriminatoires à leur encontre depuis l’accession au pouvoir de l’extrême-droite aux Etats-Unis.

Steven Jean-Gilles, le responsable de CHAAPES, souligne à AyiboPost que des membres de la population sont devenus «plus hostiles» aux membres de la communauté faisant partie de son organisation aux Gonaïves. 

Selon le responsable, des propos hostiles sont régulièrement lancés par des individus contre les membres de CHAAPES, notamment lorsque ces derniers se rendent au siège de l’organisation pour y travailler.

«C’est une situation nouvelle depuis que nous nous sommes établis il y a six ans dans cette ville qui était jusque-là très tolérante vis-a-vis de la communauté LGBT+», souligne Jean-Gilles à AyiboPost. 

Edison Morilus, membre de la communauté LGBT+ âgé 23 ans, relate à AyiboPost enregistrer des menaces à peine voilées et des agressions verbales aussi dans cette ville, ainsi que sur les réseaux sociaux depuis l’élection de Trump chez l’oncle Sam et l’arrêt des aides.

«Parfois, après des mises à jour de statuts ou des publications sur les réseaux sociaux, des gens que je ne connais pas m’envoient des messages en privé pour me communiquer leur haine et me dire que je n’avais dorénavant plus intérêt à continuer ma “sale connerie”, car le président du pays le plus puissant au monde [les USA] s’est positionné contre», révèle-t-il.

«C’est parfois un grand choc psychologique pour moi», témoigne Morilus.

Gérald Marie Alfred, le président du comité exécutif de l’organisation LGBT+ Action Citoyenne pour l’Égalité Sociale en Haïti (ACESH), basée dans l’Artibonite, rapporte à AyiboPost que deux membres de la communauté LGBT+, venus réclamer des préservatifs, ont été éconduits brutalement dans un centre de prise en charge sanitaire d’une ONG à Saint-Marc, entre la fin de Janvier et le commencement du mois de février de cette année.

« Des personnes présentes sur place leur ont rétorqué que les lubrifiants et les préservatifs étaient réservés désormais aux personnes hétérosexuelles », rapporte Alfred à AyiboPost.

Edison Morilus, membre de la communauté LGBT+ âgé 23 ans, relate à AyiboPost enregistrer des menaces à peine voilées et des agressions verbales aussi dans cette ville, ainsi que sur les réseaux sociaux depuis l’élection de Trump chez l’oncle Sam et l’arrêt des aides

D’autres opportunités dont bénéficiaient des organisations LGBT+ se font de plus en plus rares.

Selon Lafleur, des appels d’offres pour des projets liés à la communauté étaient régulièrement publiés sur le site de l’ambassade américaine en Haïti. Mais depuis janvier, ces opportunités, habituellement proposées plusieurs fois par an, ont disparu.

De plus, poursuit-il à AyiboPost, une campagne de sensibilisation, cette fois-ci parrainée par l’International Republican Institute (IRI), dont l’objectif était d’obtenir un quota représentatif pour les personnes LGBT+ dans les prochaines élections en Haïti, se voit forcée d’arrêter.

Des outils de prévention essentiels pour les membres de la communauté, comme des dons de lubrifiants et de préservatifs,  habituellement fournis par la Fondation pour la santé reproductrice et l’éducation familiale (FOSREF) à l’organisation ERITAJ, basée à Jacmel, ont fortement diminué, selon Merlin Jean, coordinateur assistant de l’organisation.

Face à ces nombreux défis, des responsables disent envisager d’autres alternatives de financement.

Gérald Marie Alfred, le président du comité exécutif de l’ACESH, rapporte à AyiboPost que le Fonds mondial, après une réunion tenue à Panama à la mi-mai 2025 avec, entre autres, des membres de la communauté LGBT+, envisage de prendre sous son aile financièrement des programmes que le PEPFAR ne peut plus subventionner à cause des nouvelles restrictions américaines depuis le début de l’année.

Quoique rien ne soit encore certain, cette lueur d’espoir scintille: Gérald Marie Alfred révèle à AyiboPost qu’une décision définitive est attendue du Fonds mondial le 30 juin 2025. 

Déjà privé de supports locaux – hormis la Fondation Konesans ak Libète (FOKAL) qui les soutenait de temps en temps – Johnny Lafleur et son organisation LGBT+ comptent se tourner vers le Canada et des sources de financement européennes pour contrer la difficile réalité.

Le responsable n’hésite pas à engager ses revenus personnels: dans sa demeure à Tabarre, le dirigeant de l’AJCDS confie s’adonner maintenant à l’élevage de poules et de canards. 

«C’est un moyen pour moi de supporter les quatre ans de la présidence de Trump», souligne-t-il.

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Couverture | Portrait d’un homme, les yeux fermés, en pleurs. Photo : Freepik

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Junior Legrand est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a été rédacteur à Sibelle Haïti, un journal en ligne.

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