Des grandes villes plongées dans le noir, alors que plusieurs études révèlent qu’Haïti possède un potentiel substantiel en énergie renouvelable
À l’exception de la capitale Port-au-Prince, tous les chefs-lieux des dix départements du pays sont plongés dans le black-out depuis au moins deux ans, constate AyiboPost.
Cette indisponibilité de l’électricité distingue Haïti dans la Caraïbe, comme l’un des rares pays où ce bien essentiel du monde moderne demeure inaccessible pour la majeure partie de la population.
Même la capitale ne jouit pas d’un accès continu et général à l’électricité, une indication de l’échec des politiques publiques initiées sous différentes administrations pour démocratiser et pérenniser l’accès au courant.
Plus de la moitié de la population haïtienne n’avait pas accès à l’électricité, selon un rapport publié en 2021.
La Banque interaméricaine de développement (BID) estimait, quatre ans auparavant, que la population haïtienne représentait 43 % des personnes sans accès à l’électricité en Amérique latine.
Plus de la moitié de la population haïtienne n’avait pas accès à l’électricité, selon un rapport publié en 2021.
L’Électricité d’Haïti (EDH), la compagnie d’État responsable du service, périclite. Elle fait face à des problèmes de ressources, à d’importantes difficultés techniques et à la corruption.
Plusieurs études révèlent qu’Haïti possède un potentiel substantiel en énergie renouvelable.
Mais plus de 80 % de la production totale d’électricité continue de dépendre du carburant importé. L’EDH enregistre une perte d’environ 60 % lors de la transmission et de la distribution de l’énergie.
Il y a six ans, la compagnie publique d’électricité avait perdu 23 % de ses revenus en raison de l’inefficacité de son système de distribution. De plus, la grande majorité des clients ne paient pas régulièrement pour le service.
L’ancien président Jovenel Moïse avait proposé de produire de l’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables. En 2017, l’administration du défunt chef d’État avait supprimé des taxes sur les panneaux solaires et autres matériels relatifs aux énergies vertes.
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Cette politique, axée sur l’acquisition des matériels par des citoyens privés, reste limitée dans un contexte où l’EDH continue de peser lourd sur les recettes publiques.
Plus de 80 % de la production totale d’électricité continue de dépendre du carburant importé. L’EDH enregistre une perte d’environ 60 % lors de la transmission et de la distribution de l’énergie.
En 2018, l’État a subventionné l’institution à hauteur de 200 millions de dollars. Le besoin en électricité pour l’ensemble du pays s’évaluait à 550 mégawatts par jour en 2019.
D’après le laboratoire national des énergies renouvelables (NREL), la capacité installée représente près de 400 mégawatts. L’indisponibilité du courant alimente un marché florissant de génératrices et de panneaux solaires, d’après les constats d’AyiboPost, des autorités locales et d’autres citoyens.
Quelques rares communes en dehors de la région métropolitaine disposent d’un système pour fournir du courant électrique à leur population. Il s’agit majoritairement de compagnies privées qui vendent leur service dans ces zones, selon des informations recueillies par AyiboPost.
L’arrondissement des Coteaux, dans le département du Sud, est alimenté par la Coopérative Électrique de l’Arrondissement des Coteaux (CEAC). La coopérative utilise un système prépayé pour servir sa clientèle.
Aussi, les communes de Roche-à-Bateau, de Port-à-Piment et de Coteaux reçoivent actuellement cinq heures de courant par jour, produit par des panneaux solaires et des génératrices, informe Fritznel Chery, l’agent intérimaire de Coteaux, à AyiboPost.
La commune de Cayes-Jacmel, dans le département du Sud-Est, détient une centrale hydroélectrique à Gaillard. Ce système ne peut pas alimenter entièrement la communauté, qui bénéficie du courant quatre heures par jour, indique la mairesse de la commune, Enante Barthélémy.
La commune est également branchée sur le réseau de l’EDH, mais depuis plus de deux ans, elle n’est pas alimentée, souligne Barthélémy. Plusieurs communes du département du Nord-Est sont alimentées en électricité par une compagnie américaine privée. Il s’agit de : Capotille, Mont-Organisé, Vallières, Carice, Terrier Rouge, Caracol, Trou-du-Nord et Sainte-Suzanne.
La National Rural Electric Cooperative Association (NRECA) fonctionne sur un modèle prépayé et fournit une alimentation presque 24/24, d’après Vilardouin Cersine, directeur général d’Explosion Info, un média local.
les communes de Roche-à-Bateau, de Port-à-Piment et de Coteaux reçoivent actuellement cinq heures de courant par jour, produit par des panneaux solaires et des génératrices, informe Fritznel Chery, l’agent intérimaire de Coteaux, à AyiboPost.
L’Autorité nationale de régulation du secteur de l’énergie s’attelle à encourager les initiatives privées de production et de distribution de courant dans le pays. « L’EDH est une compagnie qui devrait être refondée », estime à AyiboPost Evenson Calixte, directeur général de l’ANARSE.
Selon une étude de l’ANARSE, la façon la plus viable et économique d’électrifier le pays est d’avoir « un réseau mixte composé de grands réseaux et de micro-réseaux », précise Calixte. « Il faut utiliser une stratégie en trois composantes : renforcer le réseau métropolitain, moderniser les réseaux régionaux en envisageant la possibilité qu’ils soient gérés par des opérateurs privés, et mettre en place des solutions hors réseau, car il est plus économique d’avoir des micro-réseaux indépendants pour alimenter les petites villes. »
Département du Sud-Est
Jacmel, chef-lieu du Sud-Est, est la première ville électrifiée d’Haïti et l’une des premières de la Caraïbe.
Pourtant, « depuis environ deux ans, la ville de Jacmel est plongée dans le noir total », relate la mairesse Lourdie César à AyiboPost.
Les deux dernières éditions du carnaval de Jacmel se sont déroulées sans énergie électrique de l’EDH, d’après César.
Les ménages de la zone, au pouvoir économique relativement élevé, se procurent un système solaire ou une génératrice, selon la mairie.
Des Jacméliens de la diaspora se mettent en association pour financer des projets de lampadaires afin d’éclairer certaines rues la nuit, souligne César.
Les responsables de l’EDH dans le département évoquent une panne de carburant chronique comme étant le véritable problème, indique la mairesse. Mais le réseau électrique de Jacmel est défectueux, dit-elle.
Une étude a été entamée sous la présidence de Jovenel Moïse pour doter Jacmel d’un système d’énergie solaire. Il y a deux mois, des techniciens sont revenus diagnostiquer le sol où le projet doit s’implanter, révèle Lourdie César à AyiboPost.
Les autorités municipales restent en attente des résultats de l’étude. Le terrain demandé à la mairie pour réaliser le projet, qui sera financé par la Banque Mondiale et la Banque interaméricaine de développement (BID), est déjà disponible.
Département du Centre
La ville de Hinche, centre administratif du département du Centre, ne dispose pas d’énergie électrique régulièrement depuis 2020, rapporte à AyiboPost le coordinateur de MOJÈNLAN (Mouvman Jèn Lidè Angaje), Péguy Étienne.
Sous le leadership de cette organisation locale, des Hinchois ont gagné les rues le 5 août dernier pour réclamer de l’électricité pour la population.
« Il est inconcevable que la centrale hydroélectrique de Péligre se trouve dans le département du Centre alors que cette région continue de faire face à un black-out continu », pointe Péguy Étienne.
Les ménages de la ville ont eu la chance de voir leurs ampoules allumées à l’occasion de la fête patronale de l’Immaculée Conception, seulement les 6, 7 et 8 décembre 2023, indique Étienne.
« À la suite d’une pluie diluvienne et de bourrasques le 16 août dernier, le transformateur élévateur qui alimentait le bas plateau a été endommagé. Les techniciens ne peuvent pas le réparer », informe un employé du captage de Péligre.
Ce problème est partiellement résolu pour le Bas-Plateau, selon deux résidents de cette zone et une autorité de l’Ed’H. Bien que l’approvisionnement en électricité ait repris, il reste intermittent et sans horaire fixe.
D’après ce technicien, qui demande l’anonymat car il n’est pas autorisé à s’exprimer dans la presse, des démarches sont entreprises pour remplacer les appareils, mais cela pourrait prendre un temps relativement long.
Il est inconcevable que la centrale hydroélectrique de Péligre se trouve dans le département du Centre alors que cette région continue de faire face à un black-out continu.
– Péguy Étienne
Département de la Grand’Anse
Gelin Jean, qui habite Jérémie, à Caracolie, dans la zone de Duverger, rapporte que la « cité des poètes » n’est pas alimentée en électricité depuis environ trois ans.
« Ceux qui ont les moyens se débrouillent pour éclairer leur maison », relate Jean.
Département des Nippes
Par manque de moyens pour alimenter le système, la centrale électrique de Miragoâne ne fonctionne plus depuis l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse, précise le maire de la ville, Markens Joseph. Cette situation perdure depuis plus de deux ans dans la métropole des Nippes, ajoute-t-il.
Le système électrique de Miragoâne est défectueux, indique le magistrat. Des poteaux électriques endommagés par des accidents doivent être remplacés. Le réseau, de manière générale, a été affecté lors des périodes de troubles politiques.
« Il faut environ trois millions de gourdes pour la maintenance et la réparation du système afin de résoudre le problème d’électricité dans la ville », déclare Joseph.
Le maire de Miragoâne plaide pour une autonomie des communes en termes de moyens afin d’assurer l’auto-fonctionnement des systèmes électriques sans l’intervention directe de l’État central.
Département du Nord-Est
D’après le maire de la métropole du Nord-Est, Louis Jacques Étienne Junior, la ville de Fort-Liberté fait face à un black-out depuis 2021.
La centrale électrique de Fort-Liberté, qui contient sept génératrices, dont quatre flambant neuves, devrait alimenter la ville ainsi que les localités de Ferrier et Ouanaminthe, selon Louis Jacques.
« Nous n’avons pas de carburant pour faire fonctionner la centrale. C’est notre unique problème », précise le maire de Fort-Liberté.
Département du Nord-Ouest
Le problème d’électricité à la ville de Port-de-Paix remonte à 2021. Pour la Coupe du monde de football en 2022, l’EDH a alimenté la ville pendant le déroulement de quelques matchs, révèle le journaliste Wilgens Devilas à AyiboPost.
La centrale électrique qui alimente la région est dysfonctionnelle depuis deux ans. Bien que cette centrale dispose de quatre nouvelles génératrices, le problème de l’électricité persiste à Port-de-Paix.
À la fin du mois d’août, le local où sont logés les appareils du système électrique a subi une casse. Les responsables n’ont pas encore communiqué le bilan de cet incident, indique Devilas.
Département du Nord
Le Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, n’est pas exempt de ce fléau de black-out. Trois habitants du département du Nord confirment à AyiboPost l’indisponibilité de l’électricité depuis au moins deux ans.
L’insécurité généralisée dans le pays, impliquant le blocage des routes nationales par des gangs armés, empêche également certaines directions départementales de l’EDH de fournir leur service à la population.
Département de l’Artibonite
Le maire de la ville des Gonaïves, Donald Diogène, évoque la situation d’insécurité comme un obstacle empêchant le rationnement en carburant du système électrique de la cité de l’indépendance.
« La dernière fois que nous avons pu nous approvisionner en carburant, à la fin du mois de décembre 2023, le trajet a été très difficile en passant par Saint-Michel. Il a fallu douze heures. Les approvisionneurs avaient déclaré qu’ils ne reviendraient plus dans ces conditions », raconte Diogène.
De plus, la centrale électrique des Gonaïves, qui comporte huit génératrices, a besoin de maintenance. Seulement quatre de ces appareils peuvent produire de l’électricité à 50 % de leur capacité, mais elles sont toutes réparables, confirme le premier citoyen de la ville.
Le problème de l’électricité n’est pas récent à Gonaïves, la quatrième ville du pays, souligne Diogène. D’après lui, Gonaïves a souvent été reléguée à l’arrière-plan dans l’agenda des gouvernements.
« Gonaïves souffre de ce problème d’électricité depuis près de huit ans. Je suis à la tête de la mairie depuis environ quatre ans, et la situation existait bien avant », explique Donald Diogène.
Département du Sud
La troisième ville du pays, Les Cayes, n’est plus alimentée en énergie électrique depuis plus de deux ans, informe Séné Charles Michaud, installé depuis neuf mois à la tête du centre semi-autonome des Cayes.
D’après le responsable, la centrale située à Bourdet ne fonctionne plus à cause de la situation sécuritaire du pays et des dettes accumulées par la clientèle.
« Les carburants destinés à l’approvisionnement de la centrale sont parfois saisis par les bandits. Ces derniers réclament une somme d’argent importante pour laisser passer les camions », révèle le directeur Michaud à AyiboPost.
Le paiement des dettes accumulées dans le département du Sud pourrait aider à l’approvisionnement local en carburant pour produire du courant électrique sans attendre la direction centrale de Port-au-Prince, selon Michaud.
« Les dettes de la clientèle s’élèvent à environ 72 millions de gourdes, uniquement pour la ville des Cayes », informe Michaud.
Le système électrique de cette région se compose de sept génératrices. Seulement trois sont fonctionnelles, nécessitant en moyenne 250 gallons de carburant par heure, indique le directeur.
« Les carburants destinés à l’approvisionnement de la centrale sont parfois saisis par les bandits. Ces derniers réclament une somme d’argent importante pour laisser passer les camions », révèle le directeur Michaud à AyiboPost.
Les autres génératrices sont en panne depuis plus de deux ans, ajoute le maire. Les moteurs fonctionnels peuvent produire 3,4 mégawatts, ce qui est largement insuffisant pour alimenter la ville dans son ensemble.
La commune de Camp-Perrin dispose d’une centrale hydroélectrique. Elle a été endommagée par le séisme du 14 août 2021, qui a sévèrement frappé la péninsule du Sud.
« Des réparations ont été effectuées au niveau du bâtiment, mais les matériels nécessaires pour remettre le système en fonction tardent à arriver à cause de l’insécurité sur la nationale numéro deux », informe Séné Charles.
Jabin Phontus a participé à ce reportage.
Image de couverture : en manque d’électricité, un étudiant se sert d’une lampe pour faire de la lecture. | © varsityscope
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