Statistiquement, le Ministère de la Santé publique et de la population ne révèle que les données sur les cas officiels et les cas suspects. C’est loin d’être suffisant
Depuis la déclaration des deux premiers cas de Coronavirus en Haïti, le jeudi 19 mars 2020, les instances étatiques concernées ne jouent pas la transparence dans la diffusion des données. La documentation partielle qu’elles fournissent sur les tests de la maladie est loin d’être suffisante pour apprécier l’évolution de du virus et l’efficacité des politiques publiques implémentées.
L’ensemble des données est pourtant nécessaire pour expliquer clairement et précisément ce que les chiffres communiqués sur les cas officiels et suspects signifient. Cela reste crucial pour saisir les enjeux sanitaires et socio-économiques liés à la pandémie, mais aussi pour permettre des analyses comparatives significatives entre nos régions et avec les autres pays. Par-dessus tout, ces données doivent permettre aux professionnels de faire des prévisions.
Un problème sous-estimé
Un fait reste certain aujourd’hui : le nombre de cas de Covid-19 officiellement déclaré est inférieur au nombre de cas réels. Il y a quelques semaines, le chercheur américain Jeffrey Shaman (Université de Columbia), coauteur d’une étude sur le sujet qui vient de paraître dans la revue Science assurait à l’AFP qu’il y a « sans doute entre 5 à 10 fois plus de cas réels que de cas testés positifs dans la plupart des pays développés ».
D’où vient cet écart ? Du fait qu’une proportion notable des personnes infectées ne développe que peu de symptômes (voire pas du tout). Il est estimé que cela peut concerner « 30 à 60 % des sujets infectés », souligne l’Institut Pasteur sur son site. D’où la nécessité de disposer de statistiques sur le Covid-19, car sans données, il est quasi impossible de comprendre la propagation et la progression de la pandémie.
Sans données, il est difficile, voire impossible, de formuler des réponses appropriées et efficientes pour faire face à cette menace ; ni en tant qu’individus ni en tant que société. Mais encore, sans une procédure adéquate et la définition de catégories uniformisées pour rendre publiques les données sur le Covid-19, nous ne pourrons pas évaluer l’efficacité des mesures adoptées par les autorités haïtiennes contre le coronavirus.
Des chiffres précis
En analysant les informations disponibles sur la plateforme, Our World In Data jusqu’au 12 avril 2020, nous avons constaté que près de 53 pays fournissent des chiffres assez précis et diversifiés sur les tests concernant le Covid-19.
Les statistiques communiquées permettent par exemple d’analyser le taux de positivité (nombre de cas positifs sur nombre de cas testés). Ce qui a permis de constater que dans le Top10 des pays les plus affectés par le Covid-19, le taux de positivité varie entre 15 % et 25 %. De plus, ces données indiquent des faits importants telle la disponibilité des tests dans ces pays, l’existence d’une procédure considérant la pertinence des statistiques dans la surveillance du Covid-19.
Dans toute procédure de surveillance, il demeure important d’optimiser les tests des personnes présentant des symptômes ou ayant été en contact avec des individus infectés. Selon le Plan de préparation et de réponse au Coronavirus, le MSPP définit comme cas suspects « toute personne avec un antécédent de fièvre ou une fièvre supérieure ou égale à 38 degrés Celsius et de la toux avec une apparition dans les 10 derniers jours avec ou sans critères d’hospitalisation ». Il n’est pas prévu dans le document si cette personne sera automatiquement testée ou mise en isolement en attente d’être testée.
Dans ses bulletins d’information, le MSPP parle surtout de nombre de cas suspects et de cas confirmés. Qu’en est-il des cas où le premier test s’est avéré négatif ? La « conduite à tenir » définie par le MSPP ne prévoit qu’un scénario : le cas suspect est éventuellement testé et il est « déclaré officiellement s’il est révélé positif ». Que fait-on s’il ne l’est pas ? La personne est-elle prise en charge ? Est-elle retestée ? Et s’il s’agissait d’un faux négatif ?
D’où la nécessité de fournir des données intégrales sur les tests en Haïti.
Que doit fournir le MSPP comme données sur les tests ?
Voici un ensemble d’informations que nous avons retenus, inspirés de la liste de critères de réception de données sur le Covid-19 fournie par la plateforme Our World In Data :
- Les chiffres fournis par le MSPP se réfèrent-ils aux « tests effectués » ou aux « individus testés » ?
Il y a une différence importante entre le nombre de tests et le nombre d’individus testés. La raison est qu’il est courant pour les tests de Covid-19 que la même personne soit testée plus d’une fois. Il est estimé à environ 30 %, le nombre de tests « faux négatif ». Certains pays signalent des tests effectués, tandis que d’autres indiquent le nombre d’individus testés. Ainsi, le MSPP doit indiquer clairement ce qui est compté.
- Les résultats négatifs sont-ils inclus ? Les résultats en attente sont-ils inclus ?
Il a été publié, 17 jours après l’officialisation des premiers cas de COVID-19 en Haïti, que 218 tests ont été effectués par le laboratoire national de santé publique. Il doit être clair si ces chiffres concernant le nombre total de tests effectués ou le nombre de personnes testées incluent ou non des résultats de test négatifs, ainsi que le nombre de tests en attente de résultats.
Pour être inclus de manière fiable dans le nombre de tests, il doit être précisé si ces statistiques reflètent le nombre de personnes qui attendent les résultats du test ou qui ont subi un test négatif.
- À quelle période les chiffres publiés se réfèrent-ils ?
Le décompte cumulatif du nombre total de tests doit indiquer clairement la date à partir de laquelle le décompte commence. La question clé à laquelle il faut répondre est de savoir si les chiffres publiés à une certaine date incluent tous les tests effectués jusqu’à cette date. Depuis près d’un mois, le MSPP ne publie plus de données cumulatives sur le nombre de tests effectués.
Étant donné que la notification des tests peut prendre plusieurs jours, les chiffres des derniers jours peuvent ne pas encore être complets. Cela doit être précisé tel est le cas.
- Y a-t-il des problèmes qui affectent la comparabilité des données dans le temps ?
Si nous voulons voir comment les chiffres des tests changent au fil du temps, nous devons savoir comment l’un des facteurs discutés ci-dessus peut également avoir changé.
Les Pays-Bas, par exemple, indiquent clairement que tous les laboratoires n’étaient pas inclus dans les estimations nationales dès le départ. À mesure que de nouveaux laboratoires sont inclus, leur total cumulé passé est ajouté au jour où ils commencent à produire des rapports, créant des pics dans la série chronologique.
- Quelles sont les pratiques de test typiques dans le pays ?
Le fait de savoir à quelle fréquence et à quel moment les individus sont testés peut aider les utilisateurs de ces statistiques à comprendre comment les estimations des tests effectués et des individus testés peuvent être liées les unes aux autres. Par exemple, combien de tests une enquête de cas nécessite-t-elle ? Quels sont les critères d’éligibilité à tester ? Les agents de santé ou d’autres groupes spécifiques sont-ils régulièrement testés à nouveau ?
Des données modifiées
Autre fait majeur, il a été constaté plusieurs incohérences dans les données publiées par le MSPP jusqu’à date. Des chiffres ont été modifiés sans aucune explication officielle du dit ministère, ce qui est inadmissible d’autant plus une grande partie de la population se montre encore très sceptique quant à la présence du virus sur le territoire national.
Au 28 mars 2020, la Direction d’Épidémiologie, des Laboratoires et de la Recherche publiait un premier document, faisant état de 15 cas confirmés dont 2 dans département du Centre, 9 dans l’Ouest et 2 dans le Sud-Est. Peu après, toujours à la même date, une nouvelle publication confirmait toujours le total de 15 cas, mais avec 0 cas dans le Centre, 10 dans l’Ouest et 3 dans le Sud-Est. Aucune explication n’a été communiquée pour justifier ces changements dans les chiffres.
La précision dans la gestion et la publication des données en ce moment de panique marquée par une crise pluridimensionnelle relève de la plus haute responsabilité des autorités. Il est impératif en ce moment d’intégrer ce que dictent les chiffres dans tout processus de prise de décision à tous les niveaux d’intervention du MSPP et de l’État.
De plus, les statistiques peuvent servir d’outils de prévision dans cette lutte effrénée contre le COVID-19. Ainsi, le MSPP se doit d’appliquer une stratégie de communication axée sur la précision, la clarté et la transparence afin que les citoyens puissent avoir confiance, garder leur sérénité et comprendre les données publiées. Enfin l’État doit s’inscrire dans cette dynamique de partage de données à l’échelle mondiale afin que les pays apprennent les uns des autres de cette conjoncture difficile, car pour gérer et sortir de cette crise, les Nations ne doivent faire qu’une.
Nathanael DELVA
Planificateur
Associé-Membre fondateur de Pentagone Consulting Group
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