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Sous Duvalier, l’université était strictement contrôlée

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L’économiste Georges Werleigh a enseigné à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l’Université d’État d’Haïti (FDSE-UEH) sous la période des Duvalier. À cette époque, l’enseignement était très surveillé par le régime qui combattait cruellement le « communisme »

Revenir dans son pays avec la ferme conviction de contribuer à son développement au moment où « tout le monde partait » vous faisait passer pour « un animal curieux. » C’était le sentiment de Georges Werleigh comme tout autre intellectuel qui revenait en Haïti à l’époque des Duvalier.

Le dispositif de sécurité placé par le régime pouvait vous épingler uniquement parce que vous possédez « un livre à connotation marxiste », révèle le professeur qui dépose ses valises en Haïti en 1973 après neuf années d’études en Suisse, puis en France.

« Dès l’année de mon départ en 1963, se rappelle-t-il, François Duvalier commençait les exécutions de ses opposants politiques sur les places publiques et invitait les écoliers à y assister. »  

C’est l’archevêque de Port-au-Prince François-Wolff Ligondé, prêtre à l’époque, qui vient accueillir Werleigh et sa famille à l’aéroport François Duvalier. Les deux se sont rencontrés en Suisse, à Fribourg, lorsqu’ils étaient encore étudiants.

Werleigh rentre directement au Cap-Haïtien, sa ville natale, où il aidera à fonder l’Institut Diocésain d’Éducation des Adultes (IDEA). Il s’intéresse particulièrement à l’espace rural et entame des recherches scientifiques.

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« S’occuper du paysan à cette époque était le péché mortel, car l’establishment priorisait le libéralisme, l’enseignement de la Banque mondiale et le programme d’ajustement structurel » prolonge Georges Werleigh.  

Le gospel était à la mode à l’époque. Seul le message de l’évangile pouvait être discuté publiquement. « Dès que vos propos avaient une portée laïque, cela suffisait pour vous rendre suspect », se souvient l’économiste.

Les odieux crimes commis en plein jour par le régime terrifiaient les gens qui dénonçaient eux-mêmes tout individu qu’ils suspectaient être un opposant de Duvalier, relate-t-il.

Après un an passé dans le nord, Werleigh découvre qu’il fait l’objet d’une enquête par « une certaine police politique ». Son seul crime a été de travailler avec des paysans.

Après un an dans le nord, Werleigh découvre qu’il fait l’objet d’une enquête. Photo: Ayibopost / Frantz Cinéus

L’université, un espace contrôlé 

Werleigh rentrera quand même à Port-au-Prince. En 1979, avec plusieurs autres collègues, il fonde l’Institut de Technologie et d’Animation (ITECA) dont la mission est de renforcer les organisations paysannes. Entre temps, il s’est retrouvé professeur à l’Université d’Etat d’Haiti (UEH).

Après la grève de l’Union nationale des étudiants haïtiens (UNEH) en décembre 1960, François Duvalier décide de s’accaparer de l’UEH dans sa lutte contre la philosophie communiste. Il publie un décret qui impose des règles strictes aux étudiants ainsi qu’à leurs parents.

L’étudiant, au moment de son intégration, devait soumettre un certificat affirmant qu’il n’appartenait à aucune organisation communiste ou une association suspectée par l’État. Il lui fallait aussi fournir un certificat de bonne vie délivré par un tribunal civil. Les absences devaient être notifiées sous peine de renvoi définitif de l’institution.

L’ambiance était tendue. Les facultés étaient isolées les unes des autres pour éviter toute communication entre les éléments de la communauté universitaire.

Le régime interdisait à un étudiant de se rendre dans une faculté qui n’était pas la sienne. « Une fois, j’ai invité Jean Coulanges, professeur de sociologie à la faculté d’Ethnologie à l’époque, afin d’exposer un cours sur la marginalité sociale à la Faculté de Droit. Cela avait créé un scandale sans précédent au niveau du corps professoral de la faculté », se souvient l’économiste.

Le régime interdisait à un étudiant de se rendre dans une faculté qui n’était pas la sienne. Photo: Ayibopost / Frantz Cinéus

Tourments de la recherche scientifique 

« C’était le système de la pensée unique. L’administration était composée de gérontes, considérés comme la chasse gardée du régime », poursuit Georges Werleigh. Durant les cours, des macoutes défilaient le long des couloirs, épiant méticuleusement les propos des professeurs.

Les interdictions créaient une condition improbable à la recherche scientifique. Le professeur qui voulait s’informer des nouvelles recherches, ne pouvait se rendre qu’à la librairie La Pléiade pour le faire.  Au contrôle de douane, on décidait si un livre précommandé devait être livré ou non à son propriétaire.

Selon Georges Werleigh, « un plan de rédaction des mémoires était prédisposé aux étudiants sans tenir compte de leur sujet et de la méthodologie de leur travail ». Ces conditions de travail créaient de vives tensions entre les gérontes et les jeunes professeurs.

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« De dures menaces ont été proférées contre certains jeunes professeurs qui voulaient changer les choses. Les gérontes voulaient sauvegarder leur domination idéologique », explique le spécialiste en développement rural. Découragés par ces pratiques, certains de ces jeunes enseignants ont dû abandonner la faculté, se rappelle-t-il.

En 1981, Georges Werleigh est forcé de se réfugier en République Dominicaine pour fuir les persécutions politiques. Il revient la même année en Haïti pour continuer sa carrière de professeur à la faculté de Droit et des Sciences économiques jusqu’en 2019.

Journaliste et communicateur

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