Le sexe anal semble se frayer un chemin dans les habitudes sexuelles des couples hétérosexuels haïtiens. Cette pratique, jadis taboue, se discute ouvertement sur Facebook, Twitter et Instagram. La génération « millennials » haïtienne semble la voir aujourd’hui d’un autre œil. Qu’est-ce qui a donc changé ?
Le sexe anal sort donc de l’obscurité et de l’intimité de la chambre pour se créer aujourd’hui une place dans la culture populaire. En 2017, le rappeur PIC avait, dans son track « 2Tay », abordé la pratique de manière très crue et très visuelle : « Pou envite l, mwen di l pase m yon dezyèm Pòtka (kapòt)/ Li ban m vazlin, li di m pase nan dezyèm pòt la. »
Plus récemment, le groupe konpa Zenglen à accorder sur son dernier album, tout un morceau, « Pòt Dèyè », à la pratique sexuelle. Le refrain, chanté d’une voix féminine lascive, cache à peine le vrai sujet de la chanson: «Gen pòt devan, pòt dèyè / ki kote w vle pase ?» Si le sexe anal intéresse nos artistes c’est peut-être parce qu’elle est déjà bien installée dans nos pratiques sexuelles et que, en privé, nous en parlons en Haïti.
Haïti suit une tendance mondiale
Une étude britannique paru en 2012 sur les pratiques sexuelles des jeunes de 16 à 24 avait déjà révélé une augmentation considérable des jeunes pratiquant le sexe anal comparé aux décennies précédentes. « Alors que les rapports vaginaux et le sexe oral sont demeurés la combinaison la plus fréquente de pratiques sexuelles au cours de la dernière année, la proportion de jeunes de 16 à 24 ans sexuellement actifs ayant déclaré avoir eu des relations sexuelles vaginales, orales et anales a augmenté. Une femme et un homme sur dix en 1990-1991, un homme sur quatre et une femme sur cinq en 2010-2012. Certaines des plus fortes augmentations de la prévalence des rapports sexuels oraux et anaux au cours de la dernière décennie ont été observées chez les 16-18 ans. » a conclu l’étude du Journal of Adolescent Health.
Abordée sur le sujet de l’augmentation de la pratique du sexe anal en Haïti, la sexologue Laetitia Degraff a pris le soin de le définir comme une pratique sexuelle parmi tant d’autres à laquelle l’on ne devrait attacher aucun stigma. Selon Degraff, le manque d’étude sur le sujet en Haïti ne permet pas de savoir s’il y a en effet une augmentation de la pratique dans le pays. Cependant, elle explique que l’interdit existant autour du sexe anal peut contribuer à attirer les jeunes. Elle n’exclut pas non plus l’augmentation de l’influence de la pornographie dans nos pratiques sexuelles à cause l’augmentation générale de l’accès à l’internet en Haïti.
Des Haïtiennes et Haïtien partagent leurs expériences
« J’ai un drôle de fantasme pour le sexe anal, advienne que pourra… Peut-être ce sera une de mes meilleures aventures ». C’est le vœu de *Sara, jeune étudiante frisant la vingtaine. Elle veut à tout prix expérimenter le sexe anal, au point de devenir une obsession. Un souhait qui va à contre-courant de l’opinion de son petit ami. « Je crois que cette pratique pourrait offrir beaucoup plus de sensation certes, mais j’avoue avoir peur des effets secondaires puisque je sais que cette partie du corps humain n’est pas destiné á cette fin et jamais je n’ai entendu un spécialiste commenter le sujet », s’inquiète Patrick, l’amant de la jeune Sarah.
La plupart des couples n’abordent pas le sujet dans leur relation craignant d’être mal vu par leur partenaire. Cela reste pourtant un fantasme très nourris. Plusieurs des personnes interrogées pour cet article pensent qu’il s’agit d’un moyen de provoquer ou d’explorer de nouvelles sensations et d’atteindre l’orgasme autrement. Pour ceux qui ont déjà l’expérience du sexe anal, l’appréciation n’est pas toujours aussi érotisée. Johnny, jeune homme de 27 ans, témoigne de son regret. Avec un visage grimaçant il explique sa tragédie d’un samedi matin. Sa petite amie et lui avaient décidé d’essayer pour la première fois le sexe anal. Ils pensaient y trouver une autre source de plaisir, mais ce fut au final une tout autre expérience, « Nous étions excités… Nous l’avons finalement expérimenté. Mais hélas on ne savait pas du tout à quoi on s’exposait. Une expérience catastrophique. Ma compagne a eu une hémorragie et pire encore… », raconte-t-il. Essayer une nouvelle fois, Johnny n’y pense même pas.
C’est un tout autre témoignage que confie Galy, une jeune femme qui a vécu en France pendant plusieurs années. Le sexe anal est, selon elle, son premier moyen de jouissance sexuelle. Pour elle, c’est quelque chose d’extraordinaire. Elle raconte que sa première fois était difficile mais pas décevante. « Il faut savoir s’y prendre. C’est aussi une chose de tomber sur quelqu’un d’expérimenter, de patient. Au fait, le sexe anal se pratique, à mon avis, entre deux personnes très ouvertes et qui partagent le même désir d’expérimenter. Après coup, ça peut se révéler très bénéfique pour un couple », conclut Galy.
De l’avis du spécialiste
Selon les scientifiques, La zone anale est richement innervée et constitue une zone érogène importante. Les caresses ou les sensations de frottement peuvent effectivement créer de l’excitation. Mais la pratique est encore très mal perçue dans les couples et dans la société en général. Le fait qu’elle implique l’anus, une partie du corps souvent dénigrée, le sexe anal reste dans la plupart des esprits comme quelque chose de « sale ». Le rapport négatif du sexe anal à la morale religieuse n’arrange pas non plus les choses. Le mot « sodomie » qui est encore largement utilisé pour décrire la pratique, découle de l’histoire biblique des villes maudites Sodome et Gomorrhe.
La sexologue Leaticia Degraff établi d’abord l’importance du consentement et d’une conversation préalable entre les partenaires avant même de penser à s’engager dans cette pratique sexuelle. « Pratiquer le sexe anal renvoi à des adultes consentants qui devraient savoir ce que cela implique. » La pénétration anale stimule les terminaisons nerveuses de l’anus, et le mouvement de va et vient du coït anal peut aussi mener à l’orgasme mais, fait dans de mauvaise condition, il peut causer des lésions.
La pénétration anale produit une sensation nouvelle et inhabituelle pour les novices, ce qui provoque le réflexe de la contraction. Les mouvements de va et vient peuvent être douloureux et même dangereux s’ils sont trop violents ou vont trop en profondeur. Cependant la sexologue signale à ceux qui veulent s’aventurer dans la pratique que : « Le coït anal comporte trois fois plus de risques de transmission de maladies infectieuses que le rapport vaginal, car la zone est directement en contact avec les bactéries du rectum. »
Les précautions à prendre
« L’anus est une zone sensible et peut aussi être une source de plaisir pour les femmes. Mais pour atteindre cette phase d’extase, il va falloir commencer par lubrifier. Contrairement au vagin, l’anus ne se lubrifie pas naturellement », prévient la sexologue Leaticia Degraff. La vaseline qui est un lubrifiant gras est à éviter. Ceux à base d’eau ou de silicone sont préférables. L’intromission doit se faire en douceur et graduellement. Comme toute relation sexuelle, les préliminaires sont fondamentaux. Laeticia Dégraff conseille aussi de ne pas hésiter à prévenir son partenaire si une gêne est ressentie. Il est impératif d’avoir recours au port du préservatif, la muqueuse rectale étant particulièrement fragile et poreuse. Enfin, il faut éviter de passer d’une pénétration anale à une pénétration vaginale. Les germes contenus dans le rectum peuvent provoquer une infection.
En attendant des études plus avancées sur le sujet, il est important d’éduquer la jeunesse haïtienne sur cette pratique qui semble gagner du terrain. Si Zenglen, un groupe presque trentenaire, et PIC, rappeur né dans les années 90, parlent tous deux du sexe anal, voilà une preuve que plus de couples que nous voulons le croire pratiquent le sexe anal. Les programmes de santé sexuels doivent maintenant prendre en compte la pratique du sexe anal dans leurs activités ciblant même les hétérosexuels.
Banacheca Pierre
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