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Saint Thomas : Exploration d’une fraternité insulaire

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Dans une quête passionnelle d’exploration de la Caraïbe et dans le but d’établir des points de comparaison avec ma patrie, j’ai récemment passé quelques jours de vacances à St Thomas, l’une des Iles Vierges américaines – territoire où s’exilèrent Rosalvo Bobo et Anténor Firmin, deux grands hommes politiques et patriotes haïtiens.

Situé à une distance moyenne de 782 km d’Haïti, soit une heure et demie de vol, ce joyau touristique constitue avec les îles-sœurs Saint John et Sainte Croix, ce que l’on appelle les Iles Vierges américaines, voisines des Iles Vierges britanniques. Ces deux territoires forment l’archipel des Petites Antilles à l’est de Porto Rico.

Les premiers habitants des Iles Vierges furent les paisibles Arawaks qui furent chassés par les féroces Caraïbes. Lors de son second voyage dans les Antilles, Christophe Colomb débarqua sur l’ile en 1493 et les nomma Las Virgenes (Les Vierges) en hommage à une légende espagnole. Et comme fut le destin d’Haïti, la colonisation et ses avatars se mirent en marche. Ce furent d’abord les Espagnols qui colonisèrent ces iles puis vinrent les Danois. Les Américains prirent le contrôle du territoire en 1917 après un négoce de 25 millions de dollars avec les Danois.

Les Iles Vierges américaines font partie du territoire d’outre-mer des Etats-Unis. Politiquement, elles sont définies comme un territoire autonome, organisé, non-incorporé au fédéralisme d’état, coiffé par un gouverneur et des sénateurs locaux. Peuplées par 106.232 habitants ayant la nationalité américaine, les habitants de ces iles sont privés légalement du droit de vote aux élections présidentielles américaines.

A Saint Thomas, d’une superficie de 87 km² et où vivent environ 51.000 insulaires, se trouve la capitale des Iles Vierges américaines : Charlotte-Amalie, qui reçut ce joli nom en l’honneur d’une reine danoise en 1691. Cette charmante ville est un centre financier et fleuron touristique abondamment visité par les croisiéristes du monde entier, où pullulent les touristes américains qui se sentent évidemment chez eux en plein Caraïbe et où résident beaucoup d’immigrants des iles avoisinantes, principalement : La Dominique, Sainte Lucie, Saint Martin, Antigua et Haïti.

Le grand intérêt de l’industrie touristique tourne autour de 2 millions de visiteurs par an qui, tous, sont désireux de jouir du grand nombre de plages au sable blond, aux eaux turquoises et tièdes. Ces touristes tendent à pratiquer toutes sortes d’activités nautiques, à bénéficier d’achats hors-taxes sur les articles de luxe tels bijoux et parfums dans les magasins de grande renommée ou tout simplement, désirent se bronzer au bord d’une piscine ou se ressourcer dans la sérénité d’une ile socialement calme, propre et ordonnée, où règne continuellement la sécurité. Haïti qui assurément connait cette recette du succès touristique se doit de l’offrir urgemment à ses nationaux. Saint Thomas a la topographie d’une grande colline flottant sur l’eau, perpétuellement rafraichi par les alizés marins, où fourmille une population à 80 % composée de noirs vivant dans des villes à l’allure des nôtres, similaires dans l’architecture des maisons bordées  d’hibiscus, construites sur des pentes escarpées avec de grandes terrasses ou balcons dominant le littoral, des parterres en mosaïques, des galeries en fer forgé, des murs extérieurs peints de couleur pastel. Cependant comme les nôtres, beaucoup de ces maisons mériteraient une nouvelle couche de peinture. Les rues sont étroites comme celles des quartiers résidentiels de Port-au-Prince, mais adéquatement asphaltées où la circulation se fait à gauche, probable héritage d’une influence anglaise.

A s’y méprendre en marchant dans la plupart des quartiers, on pourrait facilement se croire à Jacmel, aux Cayes ou à Pétion-Ville. Les riverains sont courtois, polis, préfèrent un « Good morning ! » ou « Good Afternoon ! » au lieu du typique « Hello ! » ou « Hi ! » facilement échangé dans les grandes villes américaines. On y sourit moins qu’en Haïti mais on y décèle un certain conservatisme antillais empreint de respect et de civilité.

La vie à Saint Thomas est très chère particulièrement pour la nourriture et les loyers. Haïti aurait beaucoup à gagner dans le futur si, parvenant à s’auto-suffire en alimentation, elle travaillait d’arrache-pied à exporter commercialement une variété de vivres alimentaires vers cette ile qui en a grandement besoin et qui se trouve limité par ses possibilités de culture et d’élevage vu que sa terre est aride, dépourvue de rivières et de nappes d’eaux souterraines. Vu l’ampleur de nos problèmes actuels, certains diront que je suis rêveur, mais c’est bien du rêve qu’émane la réalité. J’ai eu la chance de croiser plusieurs compatriotes qui m’ont appris que la migration haïtienne s’investit un peu partout dans cette société. On la retrouve dans la maçonnerie pour la construction des hôtels et autres bâtiments, dans les restaurants, les magasins de souvenirs et toutes sortes de travaux hétéroclites. Comme partout ailleurs au monde, il m’est rapporté que ces migrants haïtiens sont de durs travailleurs, suant laborieusement pour gagner dignement leurs vies, pour aider les parents restés au pays et offrir un meilleur avenir à leurs progénitures.

Souvent, j’ai aperçu quelques frères et sœurs à travers les rues conversant en créole à voix haute, ouvertement, sans peur aucune de cacher leur nationalité comme si nous nous trouvions au Champs-de-Mars. Une fois en prenant un bus de transport public similaire à nos camionnettes et qu’ils appellent « safaris », je fus agréablement surpris que la conductrice haïtienne pour égayer les passagers et assurément pour son plaisir personnel nous gratifia d’un doucereux boléro du Septentrional. On me rapporta également que les instances migratoires ne sont pas aussi sévères que les Bahamas ou Saint Martin ou semblable à l’ignominie criminelle pratiquée par la République Dominicaine. Donc, il semblerait que d’une manière organique la migration haïtienne s’incorpore de façon productive dans cette société.

Le 4 juillet 2016, j’eus l’occasion pour la célébration de l’indépendance américaine d’assister à une parade festive dénommée « J’Ouvert » à Saint John, ile qui se trouve à vingt minutes d’encablure par ferry face à Saint Thomas. Un défilé de reines et de rois suivi de princesses et de princes ouvrit la parade au pied du port nommé Cruz Bay. Vinrent ensuite des groupes à pieds formés de jeunes danseuses, de « Jambes de Bois », de chars et groupes musicaux, de déguisements allant des diables festifs aux guerriers africains. Ce défilé pourrait rappeler un peu notre carnaval mais aurait beaucoup à apprendre de nos rythmes endiablés, de nos danses survoltées, de notre imagination fertile pour parer nos chars.

Dans cette ambiance chaude de gaité où coulaient amplement les bières locales et le rhum « Cruzan » produit à Sainte-Croix, la dégustation de délicieux plats épicés de « curry » ou de « jerk », j’eus la fortuite opportunité de rencontrer un compatriote de l’Asile dans le sud d’Haïti, escorté de trois compagnons venant de la Dominique, de Sainte-Lucie, et de Saint Martin. A cinq,  nous avons entretenu une conversation en créole sur la vie dans cette île et globalement, nous nous sommes compris malgré les variations d’accents, d’intonation ou de vocabulaire. Entouré de ceux qui parlaient le patois local, le papiamento, l’anglais et l’espagnol, ce fut une expérience exquise d’un parler créole international.

En tout dernier lieu, il existe à mon humble avis un déficit évident d’activités culturelles à Saint Thomas : on ne peut y trouver de boites de nuit pour adultes, les restaurants de cuisine locale sont rares, les spectacles locaux sont également inexistants. Même l’ambiance musicale « live » offerts dans les hôtels comme à la Jamaïque ou aux Bahamas sont quasiment introuvables. Voilà encore un domaine où, diplomatiquement, nos hommes et femmes d’affaires, nos restaurateurs et principalement nos artistes pourraient rentablement offrir leurs services. Car en plus de notre ingéniosité artistique à partager avec tous nos voisins, les échanges culturels entre des nations antillaises sœurs ne feraient que renforcer nos similitudes de peuples qui, à l’instar des vœux de la CARICOM gagneraient à mieux se connaitre, se comprendre, s’apprécier et s’entraider pour un plus grand bonheur mutuel et une Caraïbe plus forte et plus solidaire.

Patrick André

Je suis Patrick André, l’exemple vivant d’un paradoxe en pleine mutation. Je vis en dehors d’Haïti mais chaque nuit Haïti vit passionnément dans mes rêves. Je concilie souvent science et spiritualité, allie traditions et avant-gardisme, fusionne le terroir à sa diaspora, visionne un avenir prometteur sur les chiffons de notre histoire. Des études accomplies en biologie, psychologie et sciences de l’infirmerie, je flirte intellectuellement avec la politique, la sociologie et la philosophie mais réprouve les préjugés de l’élitisme intellectuel. Comme la chenille qui devient papillon, je m’applique à me métamorphoser en bloggeur, journaliste freelance et écrivain à temps partiel pour voleter sur tous les sujets qui me chatouillent.

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