SOCIÉTÉ

Rage au volant!

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Circuler en Haïti n’est jamais facile et encore moins en période de fêtes où l’euphorie générale se mêle aux excès et à l’indiscipline de nos compatriotes. L’absence de véritables autoroutes, l’état de délabrement de certaines routes, l’urbanisation sauvage ne font qu’empirer la situation.

Je m’énerve derrière mon volant, je n’en peux plus de contenir ma frustration. Je maudis les maîtres d’ouvrage qui sont passés maîtres dans l’art de faire à contretemps. À l’approche des fêtes, plusieurs axes routiers sont coupés pour travaux, parfois sans aucune indication, entrainant des détours impromptus, et des embouteillages monstres.

Depuis plus d’une heure, j’essaie en vain de rentrer chez moi. Les files de voitures sont interminables. J’ai rebroussé chemin croyant pouvoir m’en sortir en empruntant un raccourci. En vain. C’est encore pire que sur la route principale! Et pour couronner le tout, les policiers interviennent, apportant leur incompétence au chaos généralisé. Après cinq bonnes minutes (j’ai chronométré!), les bras fatigués à force de mouvements amples et répétitifs pour faire accélérer les véhicules de la voie principale arrivant au compte-gouttes, l’agent de circulation très futé, décide enfin de laisser quatre voitures de la voie secondaire glisser vers la voie principale…

À force de conduire en Haïti, à force de subir les abus et assauts de toutes sortes, j’ai vu, impuissante, se développer mon agressivité au volant et je parie que la magie de Noël n’y changera rien.  Au grand dam de ma mère, je n’hésite pas à proférer des mots grossiers à l’adresse des chauffards et motards pour réaliser qu’avec les vitres montées, ces derniers ne sont pas pas atteints. Alors, dès que possible, je m’assure de les gratifier d’un regard de dédain qui font enrager les plus hardis et rougir de honte d’autres. Je ne me contente pas de cela. J’en poursuis certains afin d’arriver à leur hauteur pour m’assurer qu’ils ont bien vu le majeur que je leur adresse.

Ma liste de griefs est longue, mais je ferai court cette fois :

  • Me laisser doubler via une seconde ligne illégitime, alors que moi je ne bouge pas d’un pouce;
  • Me faire agresser par des chauffards n’ayant pas froid aux yeux, menaçant de frapper mon véhicule et m’acculant à leur céder le passage;
  • Être obligée de faire marche arrière et autres manœuvres pour permettre aux voitures utilisant la voie en sens contraire de passer;
  • Être considérée comme cancre au volant et faire l’objet de commentaires condescendants du seul fait que je sois une femme!

Je tiens tête du mieux que je peux, souvent incrédule quant à l’audace ou l’ignorance des conducteurs. Je suis vaincue dans bien des cas, puisque j’ai choisi de m’en tenir au code de la route ou à mon instinct de survie.

Bref! Hier, j’ai décidé de donner une leçon à l’un de ces conducteurs qui fonçait en sens inverse sur la voie qui m’était réservée afin d’éviter sa voie embouteillée. J’ai roulé à vive allure et en arrivant nez à nez, en lieu et place de faire marche arrière ou de me raser sur le trottoir pour lui faciliter la tâche, j’ai arrêté le moteur l’air de rien, obstruant sa trajectoire. J’ai ouvert ma trousse et me suis mise à refaire mon maquillage utilisant mon rétroviseur central comme miroir.

Décontenancé, le chauffeur, dans sa grande Prado blanche aux vitres fumées, n’a pas manqué de faire un vacarme sonore. Je n’ai pas bronché, même si j’apercevais les regards amusés ou réprobateurs de certains spectateurs. Fou de rage, le conducteur est descendu de sa voiture, pour s’approcher de ma vitre, hurlant de colère : « Madame, faites marche arrière. Faites marcher arrière, je vous dis ». Il faisait de grands gestes menaçant de taper sur ma carrosserie et ouvrant sa veste pour me laisser voir son revolver.

J’avoue que j’ai eu un bref moment de panique que je n’ai toutefois pas laissé transparaitre. Je n’ai fait que le regarder le visage impassible et faisant fi de ses récriminations. La provocation était à son paroxysme, des badauds se rassemblaient et j’allais surement devoir céder par instinct de survie encore une fois. Juste à ce moment, la file qui était bloquée a commencé à se fluidifier et il a été rappelé par un de ses amis pour continuer son chemin. Heureusement qu’un bon samaritain lui a donné préséance pour qu’il intègre la file convenable.

J’ai redémarré, les joues en feu, le cœur battant la chamade, heureuse d’avoir eu, pour une fois, gain de cause. La Noël, c’est véritablement magique!

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Très attachée à mon cher pays, je demeure une personnalité ouverte, qui à travers sa profession de juriste et son implication au sein de diverses organisations soutient le projet du renouveau d’Haïti.

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