Une famille travailleuse, habitant un quartier devenu repère de bandits, investit tout dans un garçon talentueux. Ils récoltent un corps sans vie
Un agent de l’Unité de sécurité générale du Palais national a tiré sur l’étudiant Gregory Saint Hilaire dans l’enceinte même de l’École Normale supérieure, le vendredi 2 octobre dernier. L’homme de 29 ans prenait part à un mouvement de protestation exigeant la nomination des étudiants finissants de l’ENS dans la Fonction publique en vertu d’un accord signé en 2013 entre l’École et le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle.
Depuis le violent meurtre de Gregory Saint Hilaire, ses parents restent inconsolables. Sa mère parvient difficilement à parler. Son père, lui, ne s’exprime qu’en pleurant « Je l’aimais parce qu’il était un homme courageux. Après sa mort, aucune autorité du pays ne m’a contacté », déplore Verdieu Saint Hilaire, le père du défunt.
Ce qui l’a le plus bouleversé, c’est que son fils est mort à l’intérieur même de l’ENS. Verdieu Saint Hilaire considère l’institution comme le domicile de son fils. « Gregory aurait pu s’adonner à des malversations, mais il a choisi le droit chemin. Il a été lauréat de sa promotion à l’ENS. Il bouclait ses études en Sciences sociales et poursuivait des études en Droit. Mes entrailles se déchirent quand je regarde les livres de Gregory », s’indigne le père du défunt.
Un dernier repas
Claudette Faustin, la mère de la victime se rappelle l’avoir vue pour la dernière fois un jour avant son long trépas. « Je lui ai apporté à manger à la rue D’Ennery. Il a mangé et m’a laissé le reste. Pour le lendemain, je lui ai laissé de la nourriture, mais il n’a pas eu le temps d’en manger. J’ai appris qu’il a été fusillé », témoigne la dame avec désolation.
Gregory Saint Hilaire qui vivait à Village de Dieu avec sa famille a déménagé de la zone à cause de l’insécurité. Quand il s’est inscrit à la Faculté de Droit et des Sciences économiques (FDSE), Saint Hilaire eut de grandes difficultés pour entrer au Village puisqu’il prenait des cours le soir.
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« Mon fils laissait la faculté de Droit tous les soirs à 6 h 30 alors que ses cours prennent fin à 8 h 30, dit Verdieu Saint Hilaire. Parce qu’il prenait ses études très au sérieux, il se plaignait souvent de perdre 1 h 30 chaque jour. À 29 ans, il aurait pu nous laisser un enfant, mais il avait choisi de se focaliser sur son avenir ».
Quand le gouvernement haïtien avait donné un ultimatum de trois jours aux habitants du Village avant une intervention musclée que devait y faire la PNH, la mère de Saint Hilaire est partie en province avec les frères et sœurs du défunt. Mais Saint Hilaire a rejoint des proches à Fontamara. Après son séjour chez ces proches, l’étudiant en Droit a loué une pièce à la rue D’Ennery tout près du lycée Toussaint où il a fait ses études secondaires.
Le fils des quartiers difficiles
Gregory Saint Hilaire a passé une bonne partie de son enfance à Cité Soleil. Il est né tout près de l’hôpital Sainte-Catherine et a grandi dans la localité appelée Boston. Pour prendre soin de la famille, sa mère multiplia les petits commerces, son père travaillait dans une usine.
Quand il n’avait que trois mois, Saint Hilaire a eu des complications de santé qui ont beaucoup coûté à ses parents. « Il a été hospitalisé trois fois en un mois », se rappelle son père qui ajoute que tout bébé qu’il était, Saint Hilaire a subi le sérum et l’oxygène. Après cet incident, Saint Hilaire a continué ses études jusqu’à la 5e année fondamentale à la localité anciennement appelée Cité Simone. Entre temps, la famille a emménagé à Village de Dieu.
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Le jeune homme a passé son Certificat d’Étude primaire dans une école protestante à la Rue du Centre. Ses parents n’avaient pas de moyens pour qu’il poursuive ses études dans une école privée, il s’est inscrit au lycée Toussaint où il fait sa septième année fondamentale jusqu’à la terminale.
Quand on parle au père de Gregory Saint Hilaire, on sent qu’il est fier du parcours académique de son fils. Il se rappelle toutes les étapes que celui-ci a franchies. Il avance que son fils a voulu étudier l’administration après ses études classiques et s’est inscrit à l’Institut national d’administration, de gestion et des hautes études (INAGHEI). « Malheureusement, il a échoué aux examens d’entrée. Mais il ne s’est pas découragé. Il s’est mis à étudier l’anglais dans un institut de langues à Port-au-Prince », relate Verdieu Saint Hilaire.
Gregory a interrompu le cours d’anglais pour préparer les examens d’entrée à l’Université d’État d’Haïti. Il a travaillé dur pour rentrer à l’ENS, selon son père. « Je me rappelle le jour où il a eu les résultats du concours. Il est venu me voir en souriant pour me dire qu’il a été lauréat du concours d’entrée à l’École normale supérieure pour les Sciences sociales », se rappelle-t-il.
Un bon ami
À côté de ses études, Gregory Saint-Hilaire faisait aussi du théâtre selon Esther Cearc, une étudiante de l’INAGHEI qui vivait au Village de Dieu. « Je l’ai connu entre 2011 et 2012. Il jouait des pièces dans une église au Village. À l’époque, j’ai voulu entrer à l’Université d’État d’Haïti. Il m’a proposé son aide pour préparer le concours, mais je craignais de lui faire confiance. On était au Village de Dieu, il portait des dreadlocks… Mais au fil du temps, je me suis rendu compte qu’il était quelqu’un de bien. À chaque fois, je le croisais sur ma route, il me motivait à étudier. »
Oradson Joseph, un étudiant finissant en Communication sociale à la Faculté des Sciences humaines a aussi connu Saint Hilaire au Village de Dieu. « On se saluait quand j’allais voir mes proches dans la zone. Nos liens allaient se serrer quand je l’ai rencontré une fois dans une manifestation. Depuis, nos conversations tournaient autour des crises de l’UEH et des soubresauts politiques du pays. »
Oradson Joseph a appris la mort de Gregory Saint Hilaire par une tante qui vit au Village de Dieu. « Elle pensait que j’étais avec lui ce jour-là. Parce qu’on était souvent ensemble dans les mouvements de protestation. »
Une énième bavure policière
L’ENS a une barrière qui donne sur le palais national. Le jour du meurtre, les étudiants brûlaient des pneus et lançaient des pierres devant cette barrière selon Clifford Tataille, un étudiant en Lettres modernes qui a été sur place. « Les agents de l’USGPN ont éteint les pneus enflammés et ont lancé du gaz lacrymogène sur nous. Pendant qu’on courait, ils avaient déjà ouvert le feu. Gregory a été touché sans que personne ne s’en rende compte », avance Tataille.
Quand les étudiants protestataires ont decouvert que Grégory Saint Hilaire a été touché, ils ont voulu l’emmener à l’hôpital, mais les agents de police les en ont empêchés. « À chaque fois que nous avons essayé de nous rapprocher de lui, les policiers tiraient sur nous. Gregory n’était pas encore mort, mais il est resté silencieux. Nous avons appelé les secours, partagé la nouvelle sur internet, personne ne nous a secourus », poursuit Tataille. Cette version des faits est corroborée par les témoignages de plusieurs autres étudiants.
Selon l’étudiant en Lettres modernes, la balle a perforé le dos de Gregory Saint Hilaire vers 6 h environ. Ce n’est que vers 8 h 30 que les étudiants ont pu le transporter sur une planche à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti dans la voiture d’une station de radio de la place.
Une répression policière constante
Des conflits souvent violents jalonnent les relations entre étudiants et agents de police en Haïti. Oradson Joseph, l’ami de Gregory Saint Hilaire, ne s’est pas rendu dans les manifestations depuis un bon bout de temps. Pour lui, les rapports de force entre étudiants et policiers ne sont pas proportionnels. « L’étudiant a une pierre et parfois n’a rien du tout alors que le policier a une arme. »
Chedlet Guilloux, un ancien étudiant de l’ENS pense qu’il était prévisible qu’à n’importe quel moment une catastrophe surviendrait à l’ENS. Car depuis 2011, des agents de l’USGPN élisent domicile près de l’école. « Il n’est pas possible que des hommes armés soient aussi proches d’une faculté. »
Depuis l’attaque des partisans du parti au pouvoir en 2003 sur la Faculté des Sciences humaines pendant laquelle l’ancien recteur de l’Université d’État d’Haïti a été victime, les locaux de ladite université sont souvent violés par des forces de l’ordre. Après avoir été sauvagement agressé, le recteur Pierre Marie Paquiot était sorti vivant. Mais l’étudiant Saint Hilaire, lui, n’a même pas eu le temps de saluer ses parents qui ont tout sacrifié pour lui.
Laura Louis
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