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Qu’est-ce qui s’est réellement passé à l’Université de Technologie d’Haïti ?

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La version diffusée dans les médias semble s’éloigner de la vérité des faits, selon des éléments collectés sur place par AyiboPost

Le photographe d’AyiboPost, Jean Feguens Regala, tapait frénétiquement sur le détonateur de sa caméra Canon à l’auditorium de l’Université de Technologie d’Haïti (UNITECH), situé en face de l’établissement, lorsque des détonations puissantes retentissent à l’extérieur de la salle, avant le début de la cérémonie de graduation des étudiants des promotions 2018-2022 en Sciences Comptables, Gestion et Sciences économiques et ceux de la promotion 2017-2022 en génie civil.

Il est 8 h 40 à l’Avenue N ce dimanche 26 mars 2023. Étudiants, parents, professeurs et staff administratif, marchands qui occupaient la rue sont pris de panique et courent dans tous les sens. Certains se mettent à l’abri à l’intérieur de l’auditorium. Sur la cour, un agent de sécurité se noie dans son sang.

AyiboPost s’est entretenu avec deux responsables de l’Unitech, et trois passants, au lendemain de l’incident. Ils mettent en évidence une filature à succès suivie d’un kidnapping par des bandits à l’aise dans une zone située à proximité d’au moins un point fixe de la police.

Affiche à l’entré de l’UNITECH | © Jean Feguens Regala

L’Unitech s’est mis sur son 31 ce dimanche pour recevoir les bacheliers et leurs parents. Une dame, sur une voiture de marque Toyota et de modèle Prado s’approche du local de l’auditorium, vers les 8 h 40. Elle s’arrête presque en face de l’École Saint Jean L’évangéliste, à 10 secondes de l’Unitech. Un autre véhicule attend tranquillement dans l’allée.

Elle sort de la voiture, pour essuyer ses souliers, avant d’entrer dans l’auditorium, selon deux témoins. Son véhicule semblait avoir deux occupants, mais l’autre est resté à l’intérieur. En une fraction de seconde, elle est approchée par un kidnappeur qui lui demande de remonter dans la voiture. Les deux voitures, dont celle de la dame victime à l’avant, ont alors pris la route.

Un agent de sécurité de l’Unitech risque un œil à l’extérieur de l’auditorium. Il saisit une tension et demande ce qui se passe. On lui dit qu’il s’agit d’un kidnapping. Il degaine son arme de poing, et alors que la voiture de la dame passe à son niveau, il fait feu à trois reprises en sa direction. Selon trois témoins, les kidnappeurs sont sortis de leur voiture et ont fait feu en direction de l’auditorium avec des armes de guerre.

Une balle provenant des malfrats a percé la barrière d’entrée de l’auditorium l’UNITECH, le dimanche 26 mars 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Effet des balles provenant des malfrats sur la barrière de l’auditorium de l’UNITECH le dimanche 26 mars 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

La barrière de l’auditorium de l’UNITECH a été percée par les balles tirées par les kidnappeurs, laissant un trou, le dimanche 26 mars 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

L’agent de sécurité est blessé gravement. «Il n’est pas mort, assure un responsable de l’Unitech. Il reçoit des soins dans un hôpital de la région métropolitaine.»

Prise de frayeur, une marée humaine s’est précipitée à l’intérieur de l’auditorium, disent les témoins. « Les gens en agitation entraient en collision, certains étaient projetés par terre », déclare un participant à la cérémonie.

Une filature à succès suivie d’un kidnapping par des bandits à l’aise dans une zone située à proximité d’au moins un point fixe de la police.

«Des impacts de balle perforaient les murs et la barrière à l’entrée de l’auditorium de l’UNITECH. Des fumées noires se sont propagées dans l’air, la tension était vive », continue le témoin.

Le kidnapping se serait passé «tranquillement», n’était-ce pas l’intervention de l’agent de sécurité, analyse un autre témoin qui refuse de dévoiler son nom par mesure de sécurité.

La confusion était à son comble. « J’ai vu une fumée noire importante, déclare une source. J’ai pensé que les bandits mettaient le feu à l’école, mais le feu provenait des détonations. »

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La cérémonie de graduation s’est déroulée sans encombre après le kidnapping. Un responsable de l’école dit s’être accosté «au mur de devant pour mieux voir ». « C’est alors qu’une première voiture est passée devant l’école, dit le responsable. Puis une seconde. »

L’homme n’est pas en mesure d’identifier les personnes enlevées. Mais des témoins font état de deux personnes de sexe différent kidnappées. « Selon les rumeurs, la femme serait la marraine de l’un des récipiendaires », déclare le responsable qui dit n’être pas en mesure de confirmer cette information formellement puisqu’aucune plainte n’a été portée auprès de la direction de l’école.

Des informations diffusées sur les réseaux sociaux font croire que neuf, sept ou cinq personnes ont été enlevées. « Tout cela est faux, poursuit ce même responsable. Par ailleurs, j’ai appris qu’une balle a effleuré le pied d’un marchand. »

La barrière de l’auditorium de l’UNITECH a été endommagée par des balles tirées par des bandits, le dimanche 26 mars 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

AyiboPost confirme que Virginia Mali Plaisimé est le nom de la jeune femme retenue par les ravisseurs. Selon des témoignages recueillis auprès de sa famille, elle travaille pour la Police nationale d’Haïti et serait la marraine de l’un des gradués. Les ravisseurs ont pris contact avec la famille de l’homme. Ils demandent 300 000 dollars américains pour libérer les deux victimes. Hier, autour de cinq heures, les kidnappeurs n’avaient pas encore pris contact avec la famille de Plaisimé.

Au lendemain de l’incident, une atmosphère terne s’abat sur l’UNITECH. La cour est presque vide. « Les activités sont paralysées, informe un responsable. Les professeurs sont venus travailler, mais les étudiants ont peur. Ils sont sous le choc. »

Le 9 février dernier, l’UNICEF dans une note officielle avait dévoilé que : « Les actes de violence armée contre les écoles en Haïti, notamment les fusillades, les saccages, les pillages et les enlèvements, ont été multipliés par neuf en un an, alors que l’insécurité croissante et les troubles généralisés commencent à paralyser le système éducatif du pays ». Un mois plus tard, un professeur à l’Externat La Providence, situé non loin de Bel-Air, a été atteint d’une balle en pleine classe.

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« Mes camarades ont peur, déclare un étudiant en 2e année en Sciences administratives à l’UNITECH, interrogé par AyiboPost. J’ai fait l’effort pour venir au lendemain du drame, mais c’est frustrant. Je ne me découragerai pas, car le pays a besoin de nous, dit l’étudiant. On est l’avenir, on doit avancer. »

Les photos sont de Jean Feguens Regala pour AyiboPost


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Abimaël-Romilus Sévère est formé en journalisme et en psychologie. Il s'intéresse à la culture et l'histoire de son pays, le journalisme numérique, la technologie, les neurosciences et les droits humains.

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