En Haïti, automobilistes et motocyclistes sont passibles de contraventions s’ils s’aventurent sur la voie publique sans un permis de conduire valide. Pourtant, de nombreux permis n’ont pas été régulièrement enregistrés et n’importe qui peut en faire l’acquisition auprès d’un racketteur
Les faux permis sont devenus monnaie courante en Haïti. Même un policier de la circulation routière ne peut vérifier l’authenticité d’un permis. Hislain Janvier, responsable de SECH, école de conduite et centre d’apprentissage des engins et poids lourds, explique avoir déjà rencontré des étudiants de son établissement qui ignorent s’ils sont en possession de faux permis.
Par exemple, la plupart des postulants qui souhaitent conduire un camion ont déjà en leur possession un permis de conduire de type A (nécessaire pour conduire les voitures). « Ce n’est que plus tard, en appliquant pour passer du type A au type B, qu’on découvre que ce permis n’a nullement été enregistré dans la base de données de la direction de la circulation », précise-t-il.
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De l’avis de Hislain Janvier, les faux permis peuvent être identifiés en cas de renouvellement, lors de graves accidents ou après une contravention.
Au service de la circulation, l’inspecteur Yvens est responsable de la section permis de conduire. Il avoue être au courant des faux permis en circulation et dit avoir plusieurs dossiers avec des individus ayant deux ou trois permis de différents noms. Cette dérive est le fruit d’un réseau de faussaires. L’inspecteur Yvens a été réticent pour le partage des informations sans l’aval de son supérieur hiérarchique.
Contacté sur le sujet, le responsable de la Direction de la circulation et de la police routières (DCPR), Florent Carmel, n’a pas répondu à l’appel.
Un désordre généralisé
La lenteur des institutions étatiques occasionne l’émergence de nouveaux procédés. Dieumaitre Joicilus, un « racketteur », offre ses services à tout individu désirant avoir un permis de conduire.
« Vous devez avoir un matricule fiscal valide et être disponible pour la prise de la photo », lâche-t-il l’air confiant. Avec Joicilus, nul besoin d’avoir les résultats d’un test audiovisuel comme le demande le service de permis de conduire à la DCPR. L’important c’est de se présenter avec les frais réclamés et une pièce d’identité.
Avec Joicilus, nul besoin d’avoir les résultats d’un test audiovisuel comme le demande le service de permis de conduire à la DCPR.
Les prix du service fourni par Dieumaitre Joicilus sont ainsi fixés : « 4 500 gourdes pour les permis de type C ; 7 000 gourdes pour les types A et C ; 8 000 gourdes pour les permis de conduire de type B », précise-t-il. Aucune procédure n’est requise pour l’obtention d’un permis de conduire livré en moins d’une semaine, assure Joicilus.
Parallèlement, Hislain Janvier dit avoir reçu l’autorisation de l’inspecteur de ce service à la DCPR pour solliciter le permis pour ses étudiants. « Des frais de 2 500 gourdes sont requis au Service de la circulation. Ce n’est pas tout, puisque la Direction générale des impôts (DGI) impose 2 500 gourdes avant l’obtention du document », explique Hislain Janvier. Contrairement à la DCPR, une fiche de paiement est délivrée par la DGI après rétribution.
Les retombées de cette défaillance
Pour accéder aux services de base dans le pays, le citoyen est souvent obligé de contourner les procédures légales. La brèche ainsi créée par l’État lui-même fait que de nombreux individus obtiennent leur permis sans avoir subi les tests théoriques et pratiques.
De ce fait, la plupart d’entre ceux qui empruntent la voie publique (automobilistes et motocyclistes) ignorent le Code de la route et certains principes liés à leur sécurité et à celle des passagers.
Lors des embouteillages, ces chauffards empruntent la voie opposée pour former une nouvelle file. Entre temps, les motards utilisent les trottoirs comme voie de secours pour échapper aux longues files d’attente.
Une pièce d’identité
Malgré sa relative facilité d’acquisition, le permis de conduire en Haïti et ailleurs, il est aussi utilisé comme pièce d’identité sur tout le territoire.
« Pour avoir mon permis de conduire, j’ai payé un tiers pour m’acheter un dossier à la Direction de la circulation », confie Jhonny Magène, un motocycliste de la commune de Delmas.
Malgré sa relative facilité d’acquisition, le permis de conduire en Haïti et ailleurs, il est aussi utilisé comme pièce d’identité sur tout le territoire.
Le jeune homme raconte avoir pris une formation à « Cher Maître Auto-école » pour avoir la maîtrise du Code de la route et des techniques que doit avoir un bon conducteur d’un véhicule à deux roues.
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Dans le dossier figure un numéro. Celui-ci est inscrit sur le permis de conduire. Le numéro de dossier est un code fait de lettres et de chiffres qui caractérise le type de permis correspondant au véhicule que le conducteur est apte à piloter
Jhonny Magène n’a pas pu trouver son permis bien qu’il ait réussi avec succès les étapes de sa formation à « Cher Maître Auto-école ». « Mon dossier a été égaré, mais j’avais pris le soin de retenir son numéro », dit-il. Il a vainement sollicité des recherches dans les registres de la Direction de la circulation.
« Quinze jours après, les démarches entamées auprès de la direction de la circulation ont révélé que mon numéro de dossier avait été vendu et attribué à un autre nom », regrette-t-il. Du coup, poursuit-il, « un ami m’a dirigé vers une personne à qui j’ai payé 2 500 gourdes pour m’aider à avoir mon permis ».
« Mille gourdes de ce montant ont été utilisées pour m’acheter un dossier. Puis, muni de mon dossier, j’ai payé les frais requis à la Direction générale des impôts (DGI) pour l’obtention de mon permis de conduire », avoue Jhonny Magène. Actuellement, il détient un permis de conduire de type C, l’autorisant à conduire une motocyclette.
La procédure légale existe pourtant
Apprendre à conduire est une démarche éducative exigeante. Les formateurs de la conduite et de la sécurité routière sont présents pour guider les apprenants.
Mathias Albert raconte avoir obtenu son permis de conduire par le biais d’un de ses proches, responsable d’une auto-école. Son ami a inséré son nom dans la liste des postulants admis pour obtenir leur permis.
Albert dit avoir seulement payé des frais de 6 000 gourdes puis, l’auto-école lui a remis son dossier. La prochaine étape a été d’aller se prendre en photo. Comme tous les autres, il a eu droit à son permis de conduire.
Selon Hislain Janvier, responsable de SECH, les procédés pour obtenir un permis de conduire en Haïti sont multiples. Mais, « légalement, le postulant qui souhaite avoir son permis doit suivre une formation théorique », dit-il. L’apprenti conducteur aura droit à un permis d’apprendre après avoir réussi l’examen théorique.
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Le permis d’apprendre est surtout délivré pour la phase pratique où l’impétrant, accompagné d’un moniteur, peut prendre le volant. Normalement, ce document est renouvelable après trois mois pour les postulants non encore habiles au volant.
En dernier ressort, ce document permet au candidat de subir l’évaluation pratique en présence d’un inspecteur au bureau de la circulation et recevoir, le cas échéant, son permis après avoir réussi.
*Dieumaitre Joicilus et Hislain Janvier sont des noms d’emprunts.
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