L’argent compromet parfois les commentaires diffusés dans les émissions musicales
La précarité dans les médias ne touche pas que les journalistes qui couvrent l’actualité sociale et politique. Les animateurs d’émissions musicales pâtissent aussi de la situation. À cause des maigres salaires, certains se retrouvent dans des situations à la limite de l’éthique qui compromettent leurs objectivités et les transforment en agent marketing quand le public s’attendait à des commentaires éclairés et non partisans.
« Le métier d’animateur à lui seul ne permet pas à ces professionnels d’aspirer à une vie meilleure », croit Marc Anderson Bregard du haut de sa vingtaine d’années d’expérience. L’initiateur de l’émission Canal musical déduit que l’animateur de radio doit avoir d’autres alternatives. Aussi, continue-t-il, ce dernier peut être, à la fois, promoteur, producteur et publicitaire en vue de pallier son faible revenu.
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Depuis ses débuts à Caraïbes FM, Marc Anderson Bregard dit recevoir un salaire fixe. Selon ses estimations, des animateurs seniors comme Carel Pèdre, Bernier Sylvain (BS), Hervé Laplante dit Laplanta peuvent gagner entre 50 000 à 100 000 gourdes le mois, en dehors des autres « deals » définit avec leur média.
Tel n’est pas le cas pour les animateurs moins populaires. Le barème salarial se situe entre 10 000 et 20 000 gourdes pour cette catégorie de travailleurs dans les stations de radios les mieux payés en Haïti, selon Jacquelin Bauvais, un animateur à Radio Télé Scoop. « Quoique défini, il se peut que l’animateur reçoit son salaire mensuel quatre fois sur les douze mois de l’année ».
La situation reste pire dans les villes de province. Jacquelin Bauvais a débuté sa carrière en 2003 à l’âge de 16 ans à la radio Xaragua qui émet dans la ville de Jérémie. À l’époque, il recevait mensuellement 1 500 gourdes. Quand un contrat de travail n’est pas signé, les médias dans ces villes attribuent irrégulièrement, en lieu et place d’un salaire, une gratification aux animateurs d’émission musicale, révèle Robert Joseph, animateur de Kontak Inter au Cap-Haïtien.
Des animateurs transformés en agent de marketing
Pour échapper à ce traitement désavantageux, la plupart des animateurs de radio ont trouvé une parade : exercer simultanément le métier d’agent marketing au sein la station. « Deux grandes possibilités s’imposent dans les radios de la capitale, informe Jacquelin Bauvais. L’animateur peut se procurer des ressources financières [directement auprès des sponsors] pour payer la radio qui va diffuser son émission ou accepter de se soumettre à la grille salariale que définit l’institution ».
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Par exemple, Robert Joseph a proposé un « deal » au responsable de la radio Kontak Inter lui permettant d’avoir son propre sponsoring après avoir passé des mois sans recevoir un sou. « Cela dit, le média perçoit 60 % des publicités contractées pour mon émission musicale », explique le professionnel qui utilise cette méthode depuis 2009 pour avoir une rémunération au sein de Kontak Inter afin de prendre soin de sa femme et de son enfant.
Pour échapper à ce traitement désavantageux, la plupart des animateurs de radio ont trouvé une parade : exercer simultanément le métier d’agent marketing.
La réalité ne diffère pas dans le sud du pays. Selon Fernando Brunvil, animateur à la Radio Télé Nami aux Cayes, le quota de 60 % en place n’est pas systématiquement respecté pour tous les spots ou sponsors que l’animateur s’efforce de trouver. « Lorsqu’un sponsor accorde une forte somme (en dollar américain), les médias réduisent une part du pourcentage défini préalablement », rapporte Fernando Brunvil qui pense que la majorité des animateurs ont, le plus souvent, un statut précaire.
Un mélange de genre peu éthique
Cette situation n’est pas sans conséquence sur le contenu des programmes musicaux radiophoniques en Haïti. Des responsables de jazz offrent directement de l’argent aux animateurs pour la diffusion de leurs musiques. « Les groupes musicaux ont l’habitude de nous contracter pour la promotion de leur album fraîchement sorti », révèle Jacquelin Beauvais.
Ces accords s’étendent aussi aux évènements. À Port-au-Prince comme en province, les animateurs développent des relations avec les promoteurs pour pouvoir tirer profit des spots publicitaires pour les bals et fêtes champêtres. « Lorsque les groupes qui évoluent dans la diaspora ont des tournées en Haïti, ils octroient des cartes aux animateurs qui doivent les partager avec le public durant leurs émissions, raconte Jacquelin Beauvais. Faute de moyen, poursuit-il, certains animateurs procèdent tout simplement à la vente de ces billets.»
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Le financement ne vient pas que du milieu du spectacle. Les écoles professionnelles, les magasins et les restaurants restent des partenaires clés des animateurs. Face à ces situations, la direction des radios surveillent de près ceux qui reçoivent un salaire et n’ont pas payé pour la diffusion de leurs émissions. « La moindre salutation accordée à un particulier est synonyme de questionnement des responsables de médias pour savoir s’il n’existe pas un quelconque financement », dit Jacquelin Beauvais.
Non connus du grand public, ces deals impactent forcément les commentaires diffusés. « Ils compromettent parfois l’objectivité des animateurs dans les réflexions portées sur les bals, les albums et autres activités des groupes musicaux », estime Robert Joseph.
*La plupart des noms utilisés dans ce reportage sont des noms d’emprunt. Le nom des émissions de ces animateurs n’est pas mentionné pour protéger leurs identités et leurs jobs.
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