Ce n’est pas la première fois que des sanctions sont prises contre la famille Bigio, d’origine juive
On le présente comme l’homme le plus riche d’Haïti et de la région, même si pour l’année 2022, Gilbert Bigio ne figure pas sur la liste Forbes des hommes et femmes les plus riches du monde.
Nulle source n’estime sa fortune, mais il est souvent décrit comme un milliardaire, dont la famille s’est enrichie en Haïti, et grâce à des investissements à l’étranger, comme en République dominicaine.
La famille de l’ancien PDG du GB Group, d’origine juive, est arrivée en Haïti pendant la Première Guerre mondiale. Ses origines ont contribué à ce qu’il soit consul honoraire d’Israël en Haïti. Il est maintenant remplacé par son fils Reuven Bigio.
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Le groupe GB possède plus de vingt filières, d’après le site de la corporation. Le portefeuille est diversifié et contient des entreprises évoluant dans l’alimentation comme les huileries haïtiennes ; la construction, par exemple Aciérie d’Haïti ; les produits pétroliers, etc.
Dans le secteur des carburants, les investissements des Bigio sont considérables. Selon Listin Diario, journal dominicain, GB Group a acheté l’ensemble des stations Texaco en République Dominicaine. Texaco appartient au groupe américain Chevron, qui est la deuxième plus grande entreprise pétrolière des États-Unis.
La famille de l’ancien PDG du GB Group, d’origine juive, est arrivée en Haïti pendant la Première Guerre mondiale.
Dans plusieurs pays de la Caraïbe, le groupe compterait plus de 400 stations-service, de différentes marques, et serait opérateur de services de ravitaillement d’aéroports en carburant.
En Haïti, GB Group a bénéficié indirectement de Petrocaribe. Alors que l’ancien président René Préval soufflait le chaud et le froid pour signer cet accord, en dépit des réticences américaines, les compagnies pétrolières Exxon Mobile (Esso) et Chevron (Texaco) tentaient de le saborder.
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Des révélations de Wikileaks expliquent comment ces compagnies, probablement pour des raisons économiques, ont refusé de prendre part à l’accord. Grâce à Petrocaribe, le gouvernement achèterait du pétrole au Venezuela, pour le revendre aux compagnies locales. Exxon et Chevron ont résisté. Un accord a été conclu, mais finalement, la maison mère de Texaco a décidé de céder ses actifs dans le pays. C’est la Dinasa, qui était alors le seul distributeur de produits pétroliers haïtien, qui a racheté ces actifs, devenant ainsi le plus grand distributeur en Haïti. La compagnie passait de 39 % à 56 % de part du marché. Les Bigio possédaient une grande partie de la Dinasa.
Le groupe GB possède plus de vingt filières, d’après le site de la corporation.
Parmi les investissements du groupe Bigio dans le pays, figure le port Lafito et l’ouverture du Magazine Challenges en 2015. Ce magazine dirigée par Laurence Sarah Bigio fermera ses portes en 2019, dans un contexte de management chaotique et d’impopularité de son offre d’information.
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Les infrastructures de ce port ouvert en juillet 2015 sont, d’après le groupe, à la pointe de la technologie. Mais la réputation de Lafito n’a cessé de prendre des coups. Entre accusations de contrebandes et découvertes de cargaisons d’armes, les infrastructures de GB Group ont plusieurs fois été sous le feu des projecteurs.
Depuis quelques semaines, des bandes armées s’affrontent pour le contrôle de la zone du port. C’est dans ce contexte que les sanctions du Canada contre Gilbert Bigio et deux autres entrepreneur, Reynold Deeb et Sherif Abdallah, sont tombées, pour leur implication présumée dans l’insécurité en Haïti notamment à travers le blanchiment d’argent provenant du crime et autres actes de corruption.
En Haïti, GB Group a bénéficié indirectement de Petrocaribe.
Ce n’est pas la première fois que des sanctions sont prises contre la famille Bigio. Après le coup d’État de 1991 contre Jean Bertrand Aristide, le président américain Bill Clinton avait imposé des mesures d’interdiction de transactions contre plus de 200 familles influentes en Haïti, dont Bigio père et fils. Ces sanctions ont été levées en 1994.
Plusieurs observateurs s’accordent à dire que la famille Bigio a commencé à s’enrichir sous la dictature des Duvalier. Mais c’est après le second coup d’État contre Jean Bertrand Aristide que leur fortune, ainsi que celle d’autres familles, a véritablement augmenté.
L’enquête internationale des Pandora Papers a révélé que le groupe Bigio possédait des sociétés offshores, enregistrées aux Îles vierges britanniques. Les sociétés de ce type ne signifient pas automatiquement que leurs propriétaires sont impliquées dans des affaires louches. Mais, d’après Miami Herald qui cite un directeur de Transparency International, les activités du groupe étaient quand même suspicieuses.
La réputation de Lafito n’a cessé de prendre des coups.
Les révélations des Pandora Papers n’avaient poussé aucune enquête du côté haïtien, pour déterminer si le groupe GB fuyait ses responsabilités fiscales. De même que depuis l’annonce des mesures du Canada, aucune déclaration officielle n’a été faite, ni par les concernés ni par l’État haïtien.
Les États-Unis, qui ont suivi le Canada lors de précédentes sanctions contre des membres de la classe politique, restent silencieux aussi. D’après le Miami Herald, ce silence était dû en partie à la nationalité américaine – ou la résidence, dont jouissaient certains des noms de l’élite économique sanctionnés.
Des sources indiquent que Gilbert Bigio a la nationalité américaine, et ses origines juives le lient aux lobbys israéliens de Washington. C’est aussi aux États-Unis qu’est enregistrée Agro Products & Services, une autre entreprise du groupe.
Pandora Papers a révélé que le groupe Bigio possédait des sociétés offshores, enregistrées aux Îles vierges britanniques.
Les Bigio possèdent une maison à Indian Creek, dans la baie de Miami. C’est l’un des endroits les plus riches des États-Unis grâce au nombre de millionnaires par mètre carré qui l’habitent. Cette île très sélective ne comprend que quelques dizaines de maisons, et de grandes célébrités comme Julio Iglesias y possèdent des propriétés.
Même s’ils semblent en retrait de la politique, au contraire d’autres riches entrepreneurs de la bourgeoisie d’Haïti, le nom des Bigio revient sans cesse lors des protestations populaires. Dans une entrevue accordée en 2004 à Larry Luxner dans le Miami Herald, Bigio père affirmait que la famille évitait la politique.
Descendants de juifs installés dans le pays depuis 1896 (l’oncle de Gilbert Bigio), les Bigio sont l’une des rares familles juives à vivre encore en Haïti. La plupart des autres juifs qui avaient trouvé refuge dans le pays l’ont quitté, pour des raisons aussi diverses qu’inattendues, par exemple pour marier leurs enfants avec d’autres membres de leur communauté.
Bigio père affirmait que la famille évitait la politique.
Pendant plusieurs années, c’est chez Gilbert Bigio que se tenaient les cérémonies religieuses juives à Port-au-Prince, qui n’a jamais eu de rabbins — prêtre juif. Mais même si sa famille possède, d’après lui, la seule Torah d’Haïti, Bigio se disait non pratiquant.
Après le tremblement de terre de 2010, la communauté juive, à l’étranger, s’est mobilisée aux côtés des derniers juifs qui restaient en Haïti pour apporter de l’aide. La famille Bigio faisait partie de ce groupe.
Mais, d’après le journal américain The Nation, l’entrepreneur a aussi profité des opportunités en or qui s’ouvraient après le désastre. Avec la compagnie américaine AshBritt, déjà accusée de surfacturation après un désastre aux États-Unis même, Gilbert Bigio crée le HRG (Haïti Recovery Group). Grâce à des connexions haut placées dans le pays et à l’étranger, HRG a pu bénéficier de contrats de construction allant jusqu’à 20 millions de dollars.
On le présente comme l’homme le plus riche d’Haïti et de la région.
Cette période post-séisme était la nouvelle ruée vers l’or, comme l’aurait appelée l’ambassadeur américain Kenneth Merten selon des câbles dévoilés par Wikileaks ; la famille Bigio semble avoir fait partie des explorateurs.
Selon des documents rendus publics en 2020, Gilbert Bigio a fait l’acquisition d’une Mercedes Maybach pour 132 000 dollars américains. Le montant de l’acquisition ne soulève aucune suspicion pour une famille aussi riche. Sauf que la voiture appartenait à Jeffrey Epstein, un influent financier américain condamné pour abus sexuel sur de très jeunes enfants. Il s’est suicidé en prison en 2019.
Photo de couverture : au milieu, Gilbert Bigio, ancien PDG de GB Group, tient un ciseau; et à sa droite, son fils Reuven Bigio, l’actuel PDG. | © portlafito
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