Les femmes sont chantées, et aussi maltraitées dans la musique haïtienne
La femme haïtienne inspire les chanteurs du pays. Elle fait tourner la tête, engendre des envolées lyriques, et anime les passions. La plupart des chansons choisissent aussi de présenter la gent féminine comme une chose, un mal, voire une esclave sexuelle. Les relations de type transactionnelles sont la toile de fond de beaucoup de musiques à succès en Haïti.
« La majorité de ces chansons résument la femme à la satisfaction de l’homme, analyse la scénariste et féministe Séphora Monteau. [Selon ces chansons], une femme ne vit pas pour elle, mais pour son conjoint. Rares sont les musiques qui représentent la femme comme une personne autonome, responsable ou sérieuse. »
Professeur d’université, Edric R. Richemond prépare sa thèse de doctorat sur le compas. Il rappelle les racines lointaines des textes dégradants envers la femme.
« Le texte Choucoune qui présente la femme comme infidèle est écrit depuis la fin des années 1800, précise Richemond. Angélique O, un autre titre jugé sexiste est une composition de Auguste de Pradines dit Candjo, sortie dans les années 1920. » Cette chanson était un message adressé à Angélique Cole, l’épouse du colonel Cole, l’un des commandants américains lors de l’occupation américaine en Haïti entre 1915 et 1934.
Quoique Coupé Cloué, par exemple, ait utilisé des métaphores dans ses compositions à la fin du XXe siècle, le commun des mortels comprend bel et bien le sexisme des propos crus de la chanson « Fanm Kolokent » et tant d’autres. « Mariana » de Paul Laraque et « Grann Nanna » de DP express sont des exemples antérieurs, précurseurs de ce type de discours sur les femmes.
Des chansons populaires
Dans une pléiade de chansons haïtiennes, soit la femme trompe son partenaire, soit elle n’a pas de partenaire fixe, ce qui est présenté comme une faute morale. Deux chansons à succès sorties il y a quelque temps, An kachèt, de Roody Roodboy, et Livrezon de Wendy, font référence à cela.
Le sexe féminin est aussi considéré comme un être qui dépend de l’homme, et se trouve toujours à sa merci. Bal On Byè, le dernier tube en date du groupe Enposib, présente la femme comme une mendiante.
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D’autres compositions traitent l’échange économico-sexuel où c’est l’homme qui détient toujours le pouvoir économique. En exemple, l’on retrouve « Lanmou Pa Konn Diaspora » ; « Senorita » de Zenglen, « Diaspora » de Gabel ; « Big Boss » et « Coraline » de K-dans, « Mimi Myaw » de Roody Roodboy.
C’est pourtant dans le Rabòday (celui né après le séisme de 2010) que la misogynie atteint son apogée. Cette musique très populaire traite les femmes de tous les noms. La misogynie et le sexisme sont si présents dans ce style musical, qu’à plusieurs reprises les autorités étatiques ont exigé de cesser la diffusion de quelques chansons, surtout dans les activités parascolaires.
« Madan Papa » de Marinad 07 ; « Timamoun » de J-Vens ; « Fè Wana Mache » et « W Ap Gade M Wana » ; « Vwazin Ban m Yon Tibèf » du groupe Black Family ; « Bèl Fanm Pa Monte Nan Syèl », « Fè L Avè M » de G-Dolph et Tony Mix et « Limena Pa Metye » de Vag Lavi et DJ Magic Bourik sont quelques-uns de ces textes.
Quant aux expressions réductrices et dégradantes, elles sont légion : « Zo Rat », « Tèt Kann », « Ti Fanm Lan », « Agrena »…
Un problème sociétal
La mauvaise représentation de la femme dans la musique en Haïti est d’ordre sociétal, selon Camille Chalmers, socioéconomiste et professeur à l’Université d’État d’Haïti. « Le machisme et la misogynie ne sont pas des particularités de la musique haïtienne, précise-t-il. Les messages identifiant les femmes comme des partenaires sexuelles, inférieures aux hommes, sont plutôt le reflet d’un discours social commun. »
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L’idée de l’infériorité de la femme par rapport à l’homme est bien ancrée dans la société. Séphora Monteau pointe du doigt la famille qui crée les inégalités de genre. Dans certaines familles les jeunes filles ne s’adonnent qu’à des tâches domestiques, pour être capables de bien prendre soin de leur mari et de leurs enfants, quand elles seront grandes.
« La société haïtienne est responsable de l’inégalité de genre qui atteint même la musique, regrette Monteau. Les parents doivent former le caractère des filles et prôner le respect et l’autonomie dans les familles. »
Un paradoxe
Étonnamment, certaines chansons dénigrant le sexe féminin sont aimées et sollicitées par ces mêmes femmes. Dans son mémoire de maîtrise en sociologie à l’université Laval au Canada, Katia Jean Louis, une jeune chercheuse haïtienne a étudié la compréhension sociologique du Rabòday par des femmes. Selon l’analyse des données récoltées, certaines d’entre elles acceptent quelques éléments des chansons Rabòday quoiqu’elles les dénigrent.
Le fait que la majorité des chanteurs de Rabòday soient des hommes explique peut-être la prédominance des attaques vers l’autre sexe.
Dans son travail de recherche, Katia Jean Louis a découvert que des femmes vivant dans des quartiers populaires apprécient le Rabòday car il parle de leur réalité, et leur donne une visibilité sociale.
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Selon Camille Chalmers, la société est construite avec des stéréotypes sexistes que même les femmes admettent, et c’est ce qui explique cette auto-dévaluation.
Pour la féministe et comédienne Cynthia Maignan, celles qui trouvent leur plaisir dans ces musiques sont malheureusement mal éduquées. « J’en connais qui ne savent pas qu’elles sont dévalorisées dans les chansons qu’elles chantent et dansent quotidiennement. Dans leur entourage, elles n’ont personne pour leur expliquer ce qu’elles représentent. D’autres prétendent que les messages calomnieux des chansons ne leur sont pas adressés, mais se dirigent plutôt contre une autre catégorie de femmes. »
Quelques exceptions
Quelques artistes et groupes chantent des propos plus respectueux envers les femmes.
Les mélomanes interrogés pour cet article pointent particulièrement « Fanm Peyi M » d’Ansy Dérose, « Yo Se Fanm » de Do-La, « Bonita » de Chill, « Lajan Sere » de Klass, « Vrè Fanm Kreyòl » de Barikad Crew, « Ti Mari Bèl Gazèl » de BIC.
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Même des artistes vilipendés pour violence contre les femmes tentent parfois de se refaire une réputation avec des chansons laudatrices. « Ou Pa Gen Parèy » chante récemment Roody Roodboy, alors qu’il tient dans son répertoire plusieurs chansons qui ont un caractère dégradant envers les femmes.
Certains artistes ou groupes dénoncent les violences faites aux femmes. Mais quoiqu’il en soit, les chansons où les femmes sont traitées de tous les noms connaissent toujours d’énormes succès. Selon les chercheurs, elles peuvent potentiellement amplifier le sexisme, les problèmes conjugaux, voire les violences sexuelles dans la société.
Nazaire « Nazario » Joinville
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