La municipalité de Petit-Goâve, où se concentre la grande majorité des victimes, avait demandé assistance auprès du Premier ministre, Alix Didier Fils-Aimé, pour anticiper les dégâts de la rivière La Digue. Les responsables disent n’avoir reçu aucune réaction du gouvernement
Plus de deux mois avant le passage de l’ouragan Melissa, des responsables locaux à Petit-Goâve avaient tenté d’alerter le gouvernement d’Alix Didier Fils-Aimé sur le danger que représentaient la rivière La Digue ainsi que deux autres cours d’eau en cas d’inondation.
Un responsable de l’administration de la douzième section de cette commune, joint par AyiboPost, déplore qu’aucune réponse ni intervention n’ait été entreprise pour empêcher les dégâts, malgré deux correspondances adressées au gouvernement en août et septembre 2025 dans le contexte de la saison cyclonique.

Les fortes pluies provoquées par l’ouragan ont dévasté plusieurs communes du Sud et de l’Ouest, notamment Petit-Goâve, où près d’une trentaine de personnes, pour la plupart des enfants, ont péri lors de la crue de la rivière La Digue.
D’importants dégâts matériels ont également été enregistrés dans cette commune côtière du département de l’Ouest, selon les témoignages recueillis par AyiboPost auprès d’une dizaine de victimes.
La première lettre adressée au gouvernement par le Conseil d’Administration de la douzième Section Communale de Petit-Goâve, datée d’août 2025 et partagée avec AyiboPost, demandait des « interventions urgentes » sur trois cours d’eau, dont la rivière La Digue.

Des hommes et une femme traversent une impasse inondée, tentant d’évacuer la douzième section de Petit-Goâve, affectée par l’ouragan. Vendredi 31 octobre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
Accusée de réception le 11 août (une copie avait été transmise aux ministères de l’Intérieur, des Finances, de l’Environnement, de l’Agriculture, ainsi qu’aux Travaux publics), la correspondance signalait déjà que les dernières crues de ces rivières avaient provoqué de « graves inondations », occasionnant des pertes au sein de la population et perturbant la circulation sur la route nationale 2.
Faute de réaction du gouvernement, une deuxième correspondance a été envoyée au Premier ministre en septembre afin de solliciter « une réunion importante » entre l’administration locale et le gouvernement.

« Cette démarche vise à vous exposer la situation critique de la section à la suite de nombreuses correspondances adressées à votre ministère », lit-on dans cette seconde lettre.
Le coordinateur de la douzième section de Petit-Goâve, Nosalito Soliman, estime aujourd’hui que ces correspondances constituent « la preuve que j’avais tenté d’empêcher ce qui s’est produit ».
Depuis plusieurs années, la rivière La Digue, l’un des principaux cours d’eau de la région, est responsable de dommages matériels et humains lors des inondations, en partie parce que son lit, utilisé comme décharge par les habitants, n’est pas entretenu.
En entrevue avec AyiboPost, le directeur du ministère des Travaux publics, Transports et Communications (MTPTC) du district de Petit-Goâve, Franck Célestin, reconnaît « que les demandes étaient sur la table ».
Selon lui, « il se pouvait que les dirigeants de l’État aient eu la volonté d’agir, mais faisaient face à des contraintes qui les ont empêchés de résoudre le problème ».

Un homme observe le débordement de la rivière La Digue, qui emporte une partie de sa berge. Vendredi 31 octobre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
Joint par AyiboPost, Ronald Louis, responsable de la Protection civile à Petit-Goâve, estime que « si la rivière avait été curée, ce qui s’est produit n’aurait pas eu lieu, car son lit était comme une vase pleine qui s’est renversée ».
AyiboPost n’a pas pu joindre le porte-parole du gouvernement haïtien avant la publication de cet article.
L’ouragan de catégorie 5 a frappé la Jamaïque le 28 octobre 2025, avec des vents atteignant près de 300 km/h.
Haïti, épargné par le centre du cyclone, a subi près d’une semaine de pluies intenses, provoquant 43 morts et une quinzaine de disparus, selon un bilan partiel.

Nombre de décès liés à l’ouragan pour la Jamaïque, le Cuba, Haïti et la Rép. Dom.
Pourtant, le pays a enregistré davantage de victimes que la Jamaïque, où le puissant ouragan — accompagné de vents records — a touché terre et fait 32 morts.
De l’autre côté de la frontière, en République dominicaine, les médias locaux rapportent un seul décès.
À Cuba, où Melissa a également touché terre après la Jamaïque, aucun mort n’a été signalé.
Selon le dernier bilan partiel communiqué par le Secrétariat permanent de gestion des risques et désastres, organisme sous tutelle de la Direction de la Protection civile, avec 25 décès enregistrés, la commune de Petit-Goâve concentre à elle seule près de 60 % des victimes humaines en Haïti.
Les chiffres concernant Petit-Goâve pourraient être sous-estimés, estime un responsable de la zone, joint par AyiboPost, qui évoque 27 morts.
Dans cette commune, plusieurs localités, telles que Nan Zannanna, Momance, La Digue, Nan Bannann, ainsi qu’une partie du centre-ville, ont été touchées.
Les inondations ont dévasté des jardins et emporté des têtes de bétail. La route nationale menant vers Léogâne a été coupée.

Un garage englouti, avec une dizaine de voitures ensevelies sous les alluvions emportés par la rivière La Digue, dans la douzième section de Petit-Goâve. Vendredi 31 octobre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
Une demi-douzaine de résidents de Petit-Goâve interviewés par AyiboPost témoignent avoir été surpris chez eux, en pleine nuit, par les inondations.
Johnny, 40 ans, habitait à Morne Soldat. Il dormait lorsque l’eau a commencé à envahir sa maison.
« Vers 3 h du matin, mon cousin m’a informé que la rivière La Digue nous envahissait et, quand je suis sorti, j’ai vu que nous étions entourés par l’eau », se souvient Johnny.
Lors du drame, l’homme, qui a réussi à sortir indemne, a perdu cinq membres de sa famille, dont son père.
Étienne, enseignant et résident de Petit-Goâve, décrit une nuit de terreur dans une ville plongée dans l’obscurité.
« La rivière a déferlé en pleine nuit. J’entendais les cris dans le noir. Tout le monde essayait de fuir dans la panique », raconte-t-il, ajoutant qu’il connaît une mère ayant perdu ses cinq enfants.
La rivière avait déjà causé des ravages dans la communauté, comme ce fut le cas au début des années 90.
Résidant dans la zone depuis trente ans, Etienne estime que les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger la population, puisque des habitants ont continué à construire leurs maisons aux abords du cours d’eau.

Une maison située à quelques mètres du pont jeté sur la rivière La Digue, détruite par les inondations. Mercredi 05 novembre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
En crue après les récentes précipitations, la rivière a emprunté le même trajet qu’il y a trente ans, lorsqu’elle avait dévasté la zone, selon Etienne.
La direction de la Protection civile a été prise au dépourvu.
Contacté par AyiboPost, Charles Paul Fleurimé, responsable technique au niveau de la Protection civile, déplore le manque de moyens mis à la disposition de cette direction pour faire face aux intempéries.
« Le bureau de la Protection civile local ne disposait d’aucun produit en stock », confie le responsable technique.
Faute de matériel, comme des porte-voix, certains agents de la Protection civile ont dû faire du porte-à-porte pour sensibiliser les habitants de la 12e section avant le passage de Melissa.
Selon Fleurimé, l’État n’a pas assumé sa responsabilité malgré des alertes lancées par la population cinq mois avant l’ouragan.
En une seule soirée de pluie, durant le passage de l’ouragan, 22 morts ont été recensés.
« La plupart des victimes de la douzième section vivaient sur la rive de la rivière, là où elle s’est déversée », précise Charles Paul Fleurimé, qui évoque des maisons construites à trois mètres des berges.
Pour sa part, Ronald Louis explique avoir été confronté à la « réticence » des habitants lorsque des volontaires de la Protection civile leur ont demandé de se déplacer.
« Lors d’une séance de sensibilisation, la veille du passage de l’ouragan, un citoyen a même frappé l’un de nos agents, en disant qu’il voulait de la nourriture, pas des paroles », poursuit le responsable.
Mais pour Étienne, qui habite à une vingtaine de minutes de la rivière La Digue, le refus des habitants a été « compréhensible ».
« Ce n’est qu’au passage de l’ouragan que les autorités sont venues demander aux habitants de se déplacer, sans une organisation planifiée de ces déplacements », confie-t-il à AyiboPost.
Rien que dans la matinée du mercredi 29 octobre, la morgue de l’hôpital Notre-Dame de Petit-Goâve comptait déjà une dizaine de morts, dont la plupart étaient des enfants.

La façade de l’hôpital Notre-Dame de Petit-Goâve, ayant accueilli plus d’une dizaine de morts et de blessés de l’ouragan Melissa. Mercredi 05 novembre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
L’hôpital, qui a participé activement aux interventions après l’ouragan, prend également en charge des dizaines de blessés.
« C’est une expérience douloureuse de constater l’impuissance des gens face à la situation et de voir les cadavres de ces enfants », relate à AyiboPost le directeur médical de l’institution de santé, Fred Jasmin.

Fred Jasmin, directeur médical de l’hôpital Notre-Dame de Petit-Goâve ayant participé activement aux interventions après le passage de l’ouragan Melissa. Mercredi 05 novembre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
À Petit-Goâve, la rivière La Digue est l’un des principaux cours d’eau généralement responsables des inondations dans des localités comme Fon Fabre, Morne Soldat, rue Benoît, La Hatte, ainsi que dans certaines zones du centre-ville.
L’exploitation de carrières de pierres en amont, couplée à l’absence de curage et d’aménagement de ses berges, accentue considérablement son impact lors des crues.
Un rapport d’évaluation des menaces naturelles daté de 2012 alertait déjà sur les risques que fait peser la mauvaise gestion de cette rivière sur les communautés environnantes.
« Lors des pluies, l’eau dépassait les gabions », constate à AyiboPost Charles Paul Fleurimé, responsable technique de la Protection civile dans la douzième section de Petit-Goave..
Lors de sa crue pendant le passage de l’ouragan Melissa, la rivière La Digue, dont le lit est encombré d’alluvions, s’est refoulée au contact du pont qui la surplombe, provoquant des débordements dans plusieurs zones.
Trois jours après l’ouragan, la Protection civile n’avait pas encore à sa disposition des matériels aratoires tels que pelles, râteaux, brouettes, pouvant aider à déblayer les décombres des maisons détruites, a fait savoir le cadre de la Protection civile.
Les récents décomptes de la Protection civile indiquent une centaine de maisons détruites dans trois sections communales, près de 1 600 autres inondées, et une quarantaine de familles hébergées.
Toutefois, « au niveau communautaire, rien n’est encore fait concrètement », informe Ronald Louis, indiquant que les besoins prioritaires sont en train d’être évalués.

Débordement des eaux de la rivière La Digue dans une impasse de la route nationale numéro 2, inondant des dizaines de maisons. Vendredi 31 octobre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
Fritznel Chéry, maire de la commune de Roche-à-Bateau et président de l’Association des maires du Sud (AMSUD), estime que les mairies du Grand Sud avaient été délaissées par les autorités bien avant le passage de l’ouragan.
En 2016, cette région avait déjà été durement frappée par l’ouragan Matthew.
« Aucune préparation n’avait été faite avant le passage de l’ouragan Melissa, et chaque mairie a dû organiser elle-même l’évacuation des habitants ainsi que la sensibilisation », relate Chéry à AyiboPost.
À Roche-à-Bateau, près d’une vingtaine de maisons situées en bord de mer ont été détruites. Aux Chardonnières, une route a été coupée et de nombreuses zones côtières du Sud restent impraticables.
Le 31 octobre, le gouvernement a décidé d’instaurer l’état d’urgence dans six départements du pays, dont ceux du Grand Sud et de l’Ouest, afin « de faire face aux conséquences désastreuses de l’ouragan ».
Le 3 novembre, l’agent intérimaire adjoint de Petit-Goâve, Marthe Noël, a signalé à AyiboPost la venue de quelques engins lourds dans la commune et une rencontre entre les autorités locales et des représentants de l’État haïtien en vue de planifier les funérailles des victimes.
Mais la plupart de ces engins sont arrivés en panne, évoque le responsable de la Protection civile, Ronald Louis, qui mentionne également le manque de camions-bennes pour transporter les débris.
« Chaque année, explique-t-il, dans nos rapports, nous évoquons la nécessité de disposer d’engins lourds dans la commune pour curer les rivières avant la saison cyclonique. Mais il n’y a jamais eu de suivi. »
Certaines régions de Petit-Goâve restent exposées aux inondations même après le passage de l’ouragan Melissa.
Étienne rapporte qu’il y a trois jours, une forte pluie a provoqué la crue d’un autre cours d’eau dans la localité de Ti Ginen, ayant failli emporter plusieurs personnes.
Par : Jérôme Wendy Norestyl, Jean Feguens Regala, Wethzer Piercin
Couverture : Un homme lutte contre les eaux déferlantes de la rivière La Digue pour rejoindre la douzième section de Petit-Goâve. Vendredi 31 octobre 2025. | © Jean Feguens Regala pour AyiboPost
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