L’histoire du syndicalisme en Haïti est jalonnée de luttes constantes pour peu de succès
Le début de cette année est surtout marqué par les ébullitions occasionnées par la velléité des policiers de mettre sur pied le Syndicat de la Police nationale d’Haïti (SPNH). Malgré sa révocation et celle de quatre collègues militants, Yannick Joseph, personnage emblématique de ce mouvement, entend porter jusqu’au bout l’ensemble des revendications de ses frères d’armes. Le 10 mars 2020, l’administration en place donne son feu vert pour l’érection de la structure.
Entre autres, les agents exigent de meilleurs salaires, des équipements adaptés, une assurance maladie effective et un accompagnement digne pour les familles des policiers décédés au travail. L’analyse de l’histoire du mouvement syndical en Haïti ne donne cependant aucune garantie que les demandes des policiers trouveront satisfaction, même avec la création d’une structure pour défendre leurs intérêts.
« L’objectif du syndicat c’est de faire pression sur les employeurs pour satisfaire les [demandes] des employés », explique l’avocat Samuel Madistin. Malgré leur présence dans plusieurs institutions publiques et privées, les conditions des syndiqués et salariés restent déplorables, rapportent des responsables de plusieurs syndicats en Haïti. En sus, la plupart de ces institutions sont déchirées par des luttes intestines qui souvent conduisent à leur fragmentation.
Peu de succès
La « Platfòm sendikal izin tekstil-Batay ouvriye (Plasit-Bo) » compte neuf ans de lutte. « Nous réclamons de meilleurs salaires et un système de protection sociale efficace », déclare son porte-parole, Télémarque Pierre. Après environ une décennie passée à plaidoyer, demander et rassembler, le syndicaliste échoue à dresser un bilan plein de succès.
Le sentiment d’insatisfaction est encore plus grand chez le président de l’Association des propriétaires et chauffeurs d’Haïti (APCH). 21 ans après la création de ce syndicat, le constat de Changeux Méhu est sans appel : « L’État fournit peu de services. Le syndicat a dû prendre la relève pour créer des gares routiers et dénoncer l’État par rapport à la hausse prix des produits pétroliers ».
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Comme au sein de la PNH, les employés de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) se plaignent régulièrement d’un manque de matériels et des conditions salariales inacceptables, avec l’appui du syndicat des travailleurs de la santé (STS). Les conditions de travail sont si insoutenables qu’ils ont lancé vendredi 6 mars, un énième arrêt de travail pour forcer les autorités du pays à statuer sur leur sort, rapporte Joseph Lesbien, président du STS.
Ces constats sont aussi valables pour les syndicats d’enseignants qui ne cessent de réclamer de meilleures conditions de travail. Un enseignant évoluant dans le secteur public peut passer deux années sans recevoir un sou de son maigre salaire.
L’État haïtien en question
Pourquoi les résultats restent chétifs, en dépit de ces cris revendicatifs ? Pour quelles raisons les problèmes demeurent, s’aggravent et s’accumulent au fil des ans ?
Il faut commencer par considérer l’état du pays, selon l’avocat Jean Bonald Fatal également président de la Confédération des travailleurs et travailleuses des secteurs publics et privés (CTSP). Il explique qu’il est impossible d’avoir un meilleur climat de travail si les conditions générales du pays ne s’améliorent pas. Néanmoins, Fatal critique l’administration du travail — un département au sein du ministère des Affaires sociales et du Travail (MAST) — pour son allégeance au pouvoir politique au détriment des travailleurs.
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Cette analyse nationale trouve un écho favorable auprès de l’ancien candidat à la présidence Samuel Madistin. « Le problème des conditions de travail des fonctionnaires de l’État est lié à l’organisation générale de l’État, fait savoir l’avocat. Organisé de façon rétrograde, anarchique et corrompue, l’État se trouve donc dans l’incapacité de mobiliser les ressources lui permettant de répondre au besoin de ses fonctionnaires ».
Or, la quasi-totalité des fonds de l’État est collectée par la Direction générale des impôts (DGI) et l’Administration générale des douanes (AGD). « Il y a des cas où ces institutions sont privatisées au service d’un quelconque individu au sein de l’État », dénonce l’avocat militant ajoutant que cette situation ouvre une brèche favorisant l’anarchie qui ne résout jamais le problème des salariés.
Une administration lourde
Pour répondre, entre autres, au besoin des policiers, enseignants et personnels de santé, l’État a besoin d’argent. « Lorsque l’État n’a pas la force nécessaire pour faire payer les taxes, où trouvera-t-il des ressources financières pour définir de façon réelle la grille salariale de ces employés ? », questionne l’homme de loi qui croit que l’État haïtien doit être repensé.
« Pour faire cela, on a besoin d’un État fort, capable de gérer ses ressources, et de combattre la corruption, la fraude et l’évasion fiscale et qui se dote d’un budget respectable pour une meilleure distribution de la richesse nationale, en commençant par les fonctionnaires publics ».
Malgré la présence de syndicats dans plusieurs institutions publiques et privées, les conditions des syndiqués et salariés restent déplorables en Haïti.
En plus, la structure actuelle de l’administration haïtienne peut faire obstacle aux requêtes des agents des forces de l’ordre.
Le policier a un rang dans l’appareil étatique. Chaque rang, qu’il soit policier, médecin, professeur ou ouvrier, a un salaire défini par l’État selon sa grille salariale. « En ajustant le salaire du policier, le salaire du médecin, du professeur ou de l’ouvrier doit être aussi ajusté pour uniformiser les rangs. Les salaires ne peuvent pas être augmentés pour un rang sans prendre en compte les problèmes des autres dont le sort est le même », dit Me Madistin.
Une longue tradition syndicale
Le chemin vers la création du SPNH, puis la satisfaction des doléances ne sera donc pas un fleuve tranquille. En choisissant cette voie pour mener leur lutte, les policiers emboitent le pas au Syndicat des ouvriers cordonniers haïtiens fondé en mars 1903 et considéré comme le premier syndicat dont on dispose des preuves de l’existence dans le pays.
Cependant, les structures syndicales au sein de l’État ne sont pas connues pour leur efficacité. « Le syndicat du secteur privé est longtemps plus efficace que celui du secteur public », analyse Me Phillipe Volmar, professeur de droit du travail.
En Haïti, le Code du travail considère comme syndicat « […] toute association permanente de travailleurs, d’employeurs ou de personnes exerçant une profession ou une activité indépendante groupés exclusivement aux fins d’étude, de coordination, de défense et d’amélioration de leurs communs intérêts économiques, sociaux et moraux ».
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Dans les années 1950, selon l’avocat Jean Bonald Fatal, la lutte syndicale en Haïti a atteint son apogée avec des organisations comme l’Union nationale des ouvriers haïtiens (UNOH), l’Union nationale des enseignants haïtiens (UNEH) et le Mouvement des ouvriers paysans (MOP) avec des figures comme Carl Brouard, Daniel fignolé et Paul Eugène Magloire.
Sous Duvalier, les mouvements syndicaux vont être restreints. « La majorité des syndiqués prennent la fuite et quelques-unes de ces associations ont évolué dans la clandestinité absolue », fait savoir l’avocat Jean Bonald Fatal. À partir de 1986, poursuit-il, le mouvement syndical reprendra sa force d’antan notamment avec le Central autonome des travailleurs haïtiens (CATH) devenu aujourd’hui Confédération des travailleurs haïtiens (CTH) ; la Fédération des syndicats des travailleurs de l’EDH (FSTEDH) ; et la Confédération nationale des enseignants haïtiens (CNEH).
Avec le coup d’État de 1991, il y a eu une cassure au sein de cette vague de création de syndicats qui n’a pas longtemps perduré. D’où leur multiplication aujourd’hui au sein de l’État et du secteur privé.
Photo couverture: Jameson Francisque / Ayibopost
Cet article a été mis à jour avec l’annonce par le gouvernement de la décision d’accepter un syndicat au sein de la PNH. 10/03/2020
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