SOCIÉTÉ

Les policiers haïtiens se cherchaient un leader. Ils l’ont trouvé en Yanick Joseph.

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Au cœur de la lutte pour la création d’un syndicat au sein de la PNH

Dans une institution qui réprime sévèrement la dissidence, une femme prend sur elle et décide de porter les revendications de ses collègues. Yanick Joseph est policière depuis une décennie. Et comme la plupart de ses frères d’armes, la mère célibataire qui seule, élève ses deux enfants, nourrit des frustrations profondes contre le fonctionnement de la Police nationale d’Haïti (PNH).

Ces frustrations viennent de loin. Elles se marinaient devant les cas de népotisme flagrants à l’académie et le traitement dégradant offert aux futurs policiers. Puis, la réalité de la rue. Près de 90 % des policiers haïtiens affirment ne pas pouvoir répondre à leurs besoins. Un agent 2 comme Joseph perçoit 21 000 gourdes comme salaire brut. Ajouté à cela : le manque de matériels, les horaires de travail contraignants, une assurance maladie ineffective, l’absence d’accompagnement adéquat pour la famille des agents qui meurent en fonction et récemment, les policiers peu équipés brûlés vivant par les bandits.

Ce dernier détail a fait déborder la vase de Yanick Joseph. L’année dernière, elle décide de prendre le leadership d’un mouvement ambitieux pour créer le Syndicat de la Police nationale d’Haïti (SPNH). Elle approche la hiérarchie, se fait ignorer, foule le macadam les 27 octobre et 17 novembre 2019, pour se voir opposer l’objection réglementaire : il est interdit aux policiers de se syndiquer. « Ma mère était marchande de sel et mon père cultivateur », déclare Yanick Joseph. « J’ai encore mes cinq doigts, je n’ai pas peur de la révocation. Je vais continuer la lutte jusqu’au bout. Rien ni personne ne me fera capituler ».

Soit. En marge d’une convocation à l’Inspection générale de la Police nationale d’Haïti (IGPNH) le 7 février dernier, des partisans de Joseph, craignant son limogeage ont orchestré un concert de balles. Dans les semaines qui suivent, des rues seront bloquées à Port-au-Prince et des stands brûlés au Champ de Mars. Alors que le gouvernement se voit contraint d’annuler son carnaval, Yanick Joseph sera révoquée ainsi que quatre autres leaders du mouvement pour « indiscipline, atteinte à l’honneur de l’institution et acte de vandalisme ».

Le 10 mars 2020, l’administration en place donne son feu vert pour l’érection de la structure. Mais rien n’indique si les policiers révoqués seront réintégrés.

Une affaire de justice

 « Nous pensons que [le limogeage des policiers] est une décision qui a été prise avec beaucoup de précipitations », dénonce la juriste Marie Rosy Auguste. « Les policiers révoqués n’ont pas été auditionnés par l’inspection générale », continue la responsable de programmes au sein du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) qui invite l’inspection générale à prendre le temps de mener des enquêtes, d’identifier les personnes qui sont impliquées dans la perpétration de ces actes et de prendre des sanctions tenant compte du niveau d’implication de ces agents.

« Les policiers révoqués n’ont pas été auditionnés par l’inspection générale ». Mary Rosy Auguste, RNDDH

Yanick Joseph termine des études en sciences juridiques. La native de Jérémie est passée au Centre d’Études diplomatiques et internationales (CEDI). Pour celle qui est rentrée dans la police « par nécessité », l’érection d’un syndicat au sein de la PNH doit satisfaire des aspirations de justice. Elle admet que la plupart de ses collègues, tenaillés par la responsabilité, refusent de s’exprimer par peur se faire révoquer. Mais la situation intenable commande des initiatives ambitieuses. « Je travaille, je gémis, je suis dans la misère ».

Le RNDDH embrasse la demande de création d’un syndicat pour défendre les 15 000 policiers que compte l’institution. Dans un plaidoyer sorti le 13 février, l’organisme avance que la mise sur pied de cette structure de défense des intérêts des agents les permettra de participer « activement aux grands débats portant sur la réforme de la police, l’élaboration des politiques de sécurité publique et de sûreté en anticipant les différents problèmes qu’ils sont appelés tous les jours à résoudre et en proposant la mise en place de réformes pertinentes, aptes à prévenir la criminalité, la délinquance juvénile, etc. ».

Au sein de la PNH, les cas de harcèlements sexuels sont légion. Un syndicat, selon le RNDDH, contribuera à adresser ces problèmes, ainsi que celui des policières qui tombent enceintes pour leurs supérieurs et qui se trouvent contraintes d’élever seules les enfants. La structure devra plaidoyer contre les licenciements abusifs et encourager les promotions « éthiques », basées sur les règlements internes de l’institution policière.

De la légalité du syndicat

Malgré ces vertus évidentes, le haut commandement de la PNH ne veut pas entendre parler de la création du syndicat. Selon l’historien Georges Michel, leur réticence se niche dans la peur des épisodes de grèves à répétition qui peuvent mettre en péril la sécurité publique. « Quand il fallait créer la police en 1994, il y avait la possibilité de créer une police à statut militaire ou une police à statut civil. On avait choisi la police à statut civil. De ce fait, on a posé des balises et des garde-fous. Parmi ceux-ci, l’interdiction du syndicat, l’interdiction de manifester et l’interdiction du droit de grève pour les policiers. »

« Le droit de grève et le droit syndical ne sont pas les mêmes. Vous pouvez disposer du droit syndical et ne pas disposer d’un droit de grève.  » Philippe Junior Volmar, enseignant en Droit du Travail

Les avis sont partagés quant à la légalité de la démarche. Si plusieurs pays étrangers, dont la France, les États-Unis ou la Suisse, admettent la création de syndicats policiers, le Règlement de Discipline générale de la PNH, adopté en 1996, restreint la liberté d’association au sein de l’institution, et l’Arrêté du 20 août 2013 sur le Statut particulier des Membres du Personnel interdit formellement en son article 11 la création de syndicats ou l’organisation de grèves. Or, la liberté syndicale est garantie par la Constitution haïtienne de 1987, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention américaine des droits de l’homme et au moins 2 Conventions de l’OIT, ratifiés par Haïti.

Juridiquement, la réticence des autorités policières relèverait d’ailleurs d’une méprise. « Le droit de grève et le droit syndical ne sont pas les mêmes, explique Philippe Junior Volmar, enseignant en Droit du Travail. Vous pouvez disposer du droit syndical et ne pas disposer d’un droit de grève. La grève ne peut représenter un danger pour toute une nation ou une communauté. Il est donc reconnu que certains services publics, comme la police, le service pompier ou le service de distribution électrique, ne peuvent ‘faire grève’. »

La crise continue

Hier 24 février, le directeur général a.i. de la PNH, Rameau Normil a annoncé la création d’une commission de dialogue un jour après des affrontements armés entre des policiers protestataires et des militaires de l’armée au Champ de Mars. Il s’agit d’un pas positif pour établir un couloir de discussion entre le conseil supérieur de la police nationale et les agents.

Cependant, l’incertitude demeure sur la reconnaissance du SPNH. « C’est l’appareil étatique qui est mis en branle pour empêcher la création de ce syndicat », dénonce Marie Rosy Auguste qui, simultanément, condamne les actes de violence perpétrés par les policiers.

Quant au sort des cinq agents révoqués, le « Secteur syndical » appelle à leur réintégration. « Il y a aussi une lutte de classe en cours », observe Jean Bonald Golinsky Fatal, président de la Confédération haïtienne des travailleurs et travailleuses des secteurs public et privé. Puisque les policiers viennent des couches inférieures [de la société], ils croient pouvoir faire d’eux ce qu’ils veulent. »

Widlore Mérancourt

Cet article a été mis à jour avec l’annonce par le gouvernement de la décision d’accepter un syndicat au sein de la PNH. 10/03/2020

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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