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Pourquoi le pasteur Moïse Joseph a-t-il été arrêté ?

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Les autorités déclarent avoir saisi trois armes dépourvues de permis en règle appartenant au pasteur, ainsi qu’un badge l’associant à la BSAP, dans le cadre d’une enquête pour meurtre

Le pasteur Moïse Joseph – président de l’ancien comité du canal de Ouanaminthe – a été interpellé par les autorités policières dans cette même commune le 25 septembre 2025.

Cette arrestation survient dans un contexte d’enquête menée par les autorités compétentes sur l’assassinat d’Albert Joseph, perpétré à Ouanaminthe la veille par des individus à bord d’une motocyclette aux alentours de 19 heures.

Le dimanche 12 octobre 2025, des fidèles du pasteur Moïse ont foulé le macadam dans la commune de Ouanaminthe, en milieu de journée, le visage dégoulinant de sueur et des pancartes à la main pour exiger la libération de leur berger.

Mais de récentes révélations obtenues exclusivement par AyiboPost auprès des autorités viennent jeter du sable dans le dossier du pasteur Moïse.

Selon le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Fort-Liberté, Charles Édouard Durand, trois armes à feu appartenant au pasteur ont été découvertes et saisies lors de son arrestation – deux lors de son interpellation et une autre dans un entrepôt lui appartenant.

De plus, le pasteur Moïse Joseph détient un badge de la Brigade de Surveillance des Aires Protégées (BSAP). Un document qui, selon le commissaire, faciliterait le port d’armes, y compris illégales.

« C’était pour moi une chose bizarre qu’un pasteur détienne un badge de la BSAP. Je ne peux pas me convaincre de cela », a déclaré à AyiboPost le commissaire du gouvernement, qui ajoute que le pasteur a reconnu détenir ce badge, alors que l’autorisation pour les armes qu’il possède est « expirée ».

Trois armes à feu appartenant au pasteur ont été découvertes et saisies lors de son arrestation

Le commissaire Durand soutient avoir déjà transféré ce dossier devant un juge d’instruction. « Les personnes arrêtées, toujours dans le cadre de ce dossier, sont actuellement devant la justice », confirme-t-il à AyiboPost.

Ces informations – notamment sur le badge de la BSAP – s’inscrivent dans un contexte où ce corps de surveillance environnementale est la cible de violentes critiques.

Une enquête d’AyiboPost publiée en décembre 2024 avait déjà mis en lumière des recrutements arbitraires au sein de la BSAP, la provenance douteuse de certaines armes, ainsi que l’absence effective d’une véritable structure de contrôle sur les activités des agents.

Deux responsables du ministère de l’Environnement avaient même souligné à AyiboPost que « beaucoup de recrutements au sein de la BSAP concernaient des individus qui désiraient légaliser des armes en leur possession », et que la pratique de délivrance ou d’auto-confection indues de badges rongeait l’institution.

AyiboPost a contacté Fritzner Jean Pierre, commandant de la BSAP à Ouanaminthe. Cet article sera mis à jour s’il réagit.

Les événements qui ont précédé et causé l’arrestation du pasteur Moïse Joseph se sont précipités très vite.

Tout a commencé lorsqu’un camion appartenant au pasteur Moïse a été impliqué dans un accident de la route sur la nationale numéro 6, au cours duquel trois personnes ont été tuées le 21 août 2025.

L’accident fut tragique.

À AyiboPost, le juge de paix Reno Pierre, qui a verbalisé l’incident, a décrit des « accidentés complètement écrabouillés », obligeant les personnes sur place à les ensacher pour les acheminer à la morgue.

Le juge de paix a aussi relevé pour AyiboPost que le camion du pasteur, impliqué dans l’accident, circulait avec une assurance périmée depuis le 3 juillet 2025.

Après cet incident, une entente amiable n’a pas pu être trouvée entre la famille des victimes et le pasteur Moïse. Les 100 000 gourdes offertes en dédommagement pour chaque victime par Moïse ont été refusées.

L’oncle d’une des victimes – requérant l’anonymat pour des raisons de sécurité – contacté par AyiboPost, ainsi qu’une autre personne au courant des démarches, confient à AyiboPost que le pasteur a asséné aux familles des victimes, à la suite de ce refus, qu’il ne leur devait « rien », que son offre était simplement une faveur qu’il comptait leur faire.

« Nous avons réalisé l’inhumation de mon neveu sans aucun support financier du pasteur Moïse », confie l’oncle à AyiboPost.

Pour mener le dossier, exiger justice et réparation, ces familles ont saisi le cabinet d’avocats d’Albert Joseph.

Une sommation de dédommagement d’un montant de 60 millions de gourdes a été adressée au pasteur Moïse, qui a également été invité à comparaître au tribunal, selon Albert Pierre Paul Joseph, frère d’Albert Joseph, au courant des démarches, contacté par AyiboPost.

Le camion du pasteur, impliqué dans un accident sanglant, circulait avec une assurance périmée depuis le 3 juillet 2025.

Le 12 septembre 2025, le pasteur Moïse a crié au scandale sur les réseaux sociaux, dénonçant une décision de fermeture visant son usine de production de riz « KPK » et un complot bien orchestré contre sa personne en raison de son rôle dans le dossier du canal, avant de divulguer publiquement les coordonnées téléphoniques des avocats en charge de la poursuite, appelant la population à les empêcher de « dormir » et à reproduire sur eux les derniers lynchages populaires subis par les politiciens du Népal.

Après cette sortie, l’avocat Albert Joseph a pris le contrepied de ces allégations sur les réseaux sociaux et donné un ultimatum de deux jours au pasteur Moïse pour les corriger, sous peine de poursuites en justice pour diffamation.

Quelques jours plus tard, soit le jeudi 25 septembre 2025, des individus armés ont assassiné Albert Joseph à Ouanaminthe.

Le lendemain, dans le cadre de l’enquête, les autorités compétentes ont appréhendé le pasteur Moïse.

AyiboPost n’a pas pu entrer en contact avec les avocats du pasteur. Cet article sera actualisé si les démarches s’avèrent fructueuses.

Pour Albert Pierre Paul Joseph, ces événements sont le résultat d’un matraquage orchestré par le pasteur Moïse : « Il n’y a jamais eu de décision de justice ou d’ordonnance exigeant la fermeture de l’usine du pasteur. Ce n’était pas l’entreprise de riz de Moïse en soi qui était en cause. Ce n’était qu’une sommation des avocats de la partie lésée », soutient-il.

Si Albert Pierre Paul Junior n’est pas en mesure de prouver la culpabilité du pasteur dans l’assassinat de son frère, il reconnaît les menaces proférées à son encontre et espère que la lumière sera faite sur le sujet et que justice sera rendue à son aîné.

« Il est inacceptable qu’on réduise ainsi au silence des êtres humains en toute impunité », déclare-t-il à AyiboPost.

Depuis l’assassinat d’Albert Joseph, trois personnes ont été appréhendées par les autorités policières après l’arrestation du pasteur Moïse et de Michèle Adrien – l’épouse de Gaston Étienne, trésorier de l’ancien comité de gestion du canal de Ouanaminthe.

Il n’est pas clair si les personnes écrouées ont des liens avec le pasteur Moïse ou si celui-ci a joué un rôle clé dans l’assassinat d’Albert Joseph.

Selon les informations fournies par le commissaire du gouvernement, Charles Édouard Durand, les premiers éléments de l’enquête proviennent « des proches de la victime ».

« Les premiers indices venaient des dénonciations. Ensuite, une enquête préliminaire a été menée par la police », confie-t-il.

Les déclarations formellement verbalisées par un juge de paix ont été faites par le frère, le fils et l’épouse de la victime.

D’après le commissaire du gouvernement – très économe en détails – la famille disposait d’informations concernant la planification de l’assassinat.

À la suite de ces dénonciations, la police a procédé aux arrestations. « Les personnes ont été arrêtées sur la base de suspicions par la police à la suite d’une enquête préliminaire », souligne Durand.

À ce stade, aucune preuve irréfutable n’a été présentée, mais les autorités poursuivent les investigations.

« Personne n’ose dire qu’il y a des preuves tangibles, irréfutables et incontestables contre les gens en détention. Mais cela n’empêche pas la justice de continuer à mener des enquêtes sur ces personnes », déclare le commissaire du gouvernement.



Si le brouillard persiste sur les véritables auteurs de l’assassinat d’Albert Joseph, les intérêts en présence s’imbriquent.

Par exemple, Albert Joseph était avocat de la zone franche et de la société CODEVI, selon deux sources contactées par AyiboPost – une fonction perçue par certains comme conflictuelle avec les intérêts d’une partie de la population.

Compagnie de développement industriel, la CODEVI est souvent engoncée dans des bras de fer juridiques avec les paysans du département du Nord-Est.

Déjà, au lancement du projet, aux alentours des années 2000, plus d’une centaine de paysans avaient été chassés de quarante hectares de terres fertiles pour l’installation des machines de l’entreprise textile.

Après une bataille juridique de plus d’une décennie suivant leur expropriation, les paysans ont obtenu leur relocalisation en 2020. Dans la foulée de cette ordonnance, certains avaient encore poursuivi leur combat pour la construction de maisons et l’obtention effective des accompagnements promis.

Aujourd’hui encore, ces problèmes persistent, et les frustrations liées à ce dossier n’ont pas été complètement vidées entre les deux parties.

Pour sa part, le pasteur Moïse Joseph est un personnage très controversé au sein du mouvement Kanal la Pap Kanpe, et a été épinglé dans des scandales de détournement de fonds.

L’érection de son usine de production de riz à Ouanaminthe – alors même que les travaux du canal sont entravés pour des raisons financières – a soulevé des préoccupations parmi certaines personnes.

Le pasteur Moïse Joseph avait à maintes reprises dénoncé sur les réseaux sociaux des persécutions dirigées contre lui, parfois de la part de personnalités du domaine agricole comme lui.

À rappeler que le frère de la victime, Albert Pierre Paul Joseph, est une figure influente du Nord-Est. Il est ancien président de la Chambre de commerce et propriétaire de l’usine de riz « Bèl Nègès » dans le département.

Couverture | Capture de Synthèse Media

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Journaliste à AyiboPost depuis avril 2023, Legrand junior fait ses études à l'Université d'État d'Haïti. Passionné des mots et du cinéma, il espère mettre à contribution sa plume pour donner forme au journalisme utile en Haïti et favoriser l'éclosion d'une sphère commune de citoyenneté.

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