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Pour ne pas mourir de soif, des prisonnières à Cabaret boient l’eau de la douche

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La prison de Cabaret, grande oubliée de la situation actuelle en Haïti

Mickaella Charles, détenue à la prison de Cabaret depuis 2019, a réussi à se procurer un téléphone portable en l’achetant à un policier. Elle a ainsi pu avoir des nouvelles de sa famille le 3 janvier 2023. Préoccupée, elle a avoué qu’elle n’avait pas reçu de visite depuis plusieurs semaines.

« D’habitude, ma mère vient me rendre visite tous les mercredis et jeudis sans faute. Cependant, étant donné les tirs réguliers autour de la prison et les nouvelles à la radio faisant état de meurtres et d’incendies un peu partout, je m’inquiète. »

En effet, les tensions avec les groupes armés au niveau de Canaan et aux alentours de la prison rendent impossibles les visites. Ces dernières sont non seulement un moyen de garder contact avec la famille, mais aussi une source d’approvisionnement en nourriture et en eau pour les détenues qui peinent de plus en plus à manger à leur faim et à avoir accès à de l’eau de qualité.

Les tensions avec les groupes armés au niveau de Canaan et aux alentours de la prison rendent impossibles les visites.

Les geôliers du centre pénitentiaire, construit avec l’appui financier des Américains en 2016, ont repoussé avec succès une attaque de gangs armés le 11 mars dernier.

Dans ce contexte, des familles de prisonnières ne peuvent pas emprunter la route pour se rendre à la prison. Les convois d’approvisionnement se font de plus en plus rares depuis plusieurs mois, et sont obligés d’opérer diverses stratégies avant d’arriver jusqu’à la prison.

Policière, Marie P. travaille depuis plusieurs années avec les prisonnières. Elle explique qu’aujourd’hui, les provisions pour nourrir les détenues, dont certaines sont mineures, n’arrivent que très lentement. « Nous sommes actuellement à un total de 87 détenues plus le personnel », précise-t-elle.

Des familles de prisonnières ne peuvent pas emprunter la route pour se rendre à la prison.

Généralement, les autorités pénitentiaires envoient les provisions via un bus qui se rend au Nord. Le convoi passe par Mirebalais, s’arrête aux Gonaïves et à Saint Marc pour les desservir avant d’arriver finalement à Cabaret.

Ce long périple avant la destination finale a forcé l’équipe de la prison à déployer d’autres méthodes d’approvisionnement.

« Parfois, nous louons une camionnette pour aller chercher directement les provisions. Nous ne sommes pas remboursés pour le coût de la course, ce qui nous revient plus cher, mais au moins nous avons à temps de quoi nourrir les détenues. »

Cependant, explique l’agent de police, une fois arrivés aux abords de Canaan avec le butin – riz, maïs, blé et farine -, il est impératif de louer un autre véhicule, car seule une camionnette locale peut franchir cette route par mesure de précaution.

Alors que le choléra sévit dans le pays, la prison […] est aujourd’hui plus que jamais dans le besoin du précieux liquide.

« Il faut garder en tête qu’après tout cela, les provisions que nous ramenons ne durent pas longtemps », précise P. « Que pouvons-nous faire avec des provisions qui ne durent que trois jours, sachant que la route est régulièrement bloquée par des gangs ? »

Alors que le choléra sévit dans le pays, la prison qui rencontre des difficultés d’accès à l’eau potable depuis qu’elle est à Cabaret est aujourd’hui plus que jamais dans le besoin du précieux liquide.

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Selon P., c’est grâce à une église protestante de la localité que la prison avait accès à l’eau potable, mais depuis la montée des tensions notamment autour de leur bâtiment, la direction du centre s’est rabattue sur les sachets d’eau.

« Le [gros] sachet coûte 500 gourdes, et il nous faut plus d’un seul sachet. Nous ne trouvons même pas de camion d’eau à acheter. Parfois, en désespoir de cause, nous buvons l’eau de la douche après y avoir ajouté de l’aquatab, [un comprimé à base de chlore]. »

Depuis la montée des tensions autour de leur bâtiment, la direction du centre s’est rabattue sur les sachets d’eau.

Charles avoue que cette eau la rend malade à chaque fois, mais qu’elle se résigne à la boire quand elle n’arrive plus à combattre sa soif.

En plus de la proximité avec Canaan où s’est formé un nouveau foyer de gangs, Cabaret, en particulier l’environnement de la prison, est aujourd’hui un nid d’hommes armés.

« Il n’est pas rare qu’il y ait des tirs d’armes à feu pendant toute une semaine », témoigne P. « Dans ces cas-là, nous faisons coucher les détenues à plat ventre, mais c’est une bien maigre précaution. »

La prison, dit-elle, risque une attaque des bandits quand les renforts ne sont pas présents.

Afin de contrôler la situation, il y a eu un renforcement de la présence des agents de l’Unité Départementale de Maintien de l’Ordre (UDMO) ainsi que de quelques autres corps de la police nationale, informe P. Cependant, ces derniers ne sont pas affectés 24h/24 et la prison, dit-elle, risque une attaque des bandits quand les renforts ne sont pas présents.

La prison risque une attaque des bandits quand les renforts ne sont pas présents.

« Une bonne partie des détenues sont également membres de gangs et ont à leur disposition des téléphones portables, ce qui leur permet d’échanger avec n’importe qui », ajoute P. « Elles ne sont pas toutes là pour des délits mineurs. »

Face à cette situation, plusieurs membres de l’équipe de la prison proposent un retour à l’ancien local de Pétion-Ville afin d’assurer la sécurité à la fois des détenues et de l’équipe.

Généralement, quand une détenue a un problème grave, une ambulance est disponible pour la transporter à l’hôpital. Le centre de soin le plus proche est l’hôpital communautaire de Bon Repos. Mais maintenant, ce n’est plus possible, non seulement à cause de la route, mais aussi à cause du problème d’approvisionnement en essence.

Même les bénévoles et autres civils comme les médecins ou infirmières qui se rendaient à la prison ne peuvent et ne veulent plus s’y rendre. « Lorsque la voiture de police passe, elle est la cible des tirs de gangs, et il est parfaitement légitime pour les civils d’être traumatisés à la suite d’une attaque et d’avoir peur », explique-t-elle.

Les bénévoles et autres civils comme les médecins ou infirmières qui se rendaient à la prison ne peuvent et ne veulent plus s’y rendre.

Le transport du personnel vers la prison se fait en groupe. Un char de police passe prendre le groupe à un point de rendez-vous et traverse avec eux les quartiers chauds en direction de la prison. Cependant, il n’y a aucune garantie que la route soit suffisamment sécurisée pour permettre le passage, ou qu’il y ait suffisamment d’essence pour effectuer le voyage jusqu’à la prison.

Selon un rapport de «Vera Institute of Justice» publié en juillet 2002, il y a aujourd’hui deux fois plus de détenus dans les prisons haïtiennes qu’en 1995, et près de 80% d’entre eux attendent une décision. La même situation se joue à Cabaret.

Le rendez-vous de Mickaella Charles pour passer devant le juge a été reporté à trois reprises en raison de grèves des tribunaux, de la situation de pays lock, ainsi que de routes bloquées par des pneus enflammés.

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D’après l’avocat Eugène François, certains dossiers de femmes sont reliés à celui d’hommes. Il s’agit de dossiers collectifs dont le traitement ne peut être réalisé sans la présence de l’un ou l’autre des accusés.

« Si la femme [ou l’homme] ne peut pas être présente le jour du passage devant le juge à cause d’un problème ou d’un autre, le rendez-vous est renvoyé à une date ultérieure. »

Melissa Beralus

Photo de couverture : Des détenues de la prison civile de Cabaret. | © AFP


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Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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