POLITIQUESOCIÉTÉ

Plaidoyer pour un « Nouveau congrès du Bois Caïman »

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Le congrès du bois caïman est l’activité cérémoniale, cérémonielle et vaudouesque qui a été organisée dans la nuit du 14 Août 1791. Il est l’une des activités décisives débouchant sur l’indépendance d’Haïti [1]. Couramment, l’opinion publique l’appelle « cérémonie du bois caïman » mais en réalité c’était un congrès réunissant les différents protagonistes du camp esclavagiste. Après ce congrès, il était clair que de nouveaux dispositifs étaient pris pour conduire la partie l’Ouest de Saint Domingue à l’indépendance. De là allait provenir la première révolution d’esclave réussie dans l’histoire de l’humanité, pour donner naissance à la première république noire.

 Cette nouvelle république dès sa naissance fût l’objet d’un isolement diplomatique systématique dans les relations internationales, car les puissances d’alors considéraient l’acte de prendre son indépendance, par le fer et le sang, comme un affront qui menaçait l’ordre politique et social du statu quo de l’époque. Ce qui revient à dire que le nouvel Etat, à peine constitué, faisait déjà face à des difficultés internationales qui allaient avoir des incidences historiques, politiques, sociales, économiques et financières au niveau national. Ainsi, pour subsister les gouvernements nationaux eurent à imposer la grande plantation aux paysans par des mesures coercitives féroces trahissant l’idéal de liberté et de bien-être. Agissant de la sorte, ces gouvernements ne prenaient pas du temps pour devenir impopulaires et voyaient leurs liens coupés de la masse des cultivateurs graduellement. De ce fait, cette masse venant de l’arrière pays constituée pour la plupart de paysans, allaient être manipulés par beaucoup de nouveaux aspirants conquérants pour s’accaparer du pouvoir politique, qui à leur tour eurent été déchus, pour les mêmes raisons reprochées à leurs prédécesseurs, par des hommes ayant utilisé leurs mêmes stratégies.

Ainsi passa tout le 19ème siècle, dans une instabilité infernale et incessante, pour accoucher au début du 20ème siècle une nouvelle occupation qui eut été américaine cette fois. Ce débarquement des yankees dans le pays a augmenté considérablement les problèmes politiques et sociaux de l’Etat haïtien déjà fébrile et précaire. Dans l’optique de prendre le contrôle administratif et financier du pays sans consentir trop d’efforts, les américains concentraient tout à Port-au-Prince [2]. Ce faisant, les provinces qui jadis disposaient d’une certaine marge de manœuvre se verront dépendre de la capitale de manière stérile et permanente. Ce qui donnera naissance à une dynamique de centralisation que les gouvernements ultérieurs garderont jalousement dans une perspective stratégique ne dépassant que leurs propres intérêts. Cette occupation a également défait l’armée indigène existant, pour pouvoir mettre sur pied une autre régressiste, sauvage, anti-peuple devenant, par ce fait même, illégitime. La disparition de cette armée, sans avoir duré un siècle, accuse sa maladresse et sa faiblesse.

La répression outrancière de cette armée n’avait pas arrêté pour autant l’instabilité politique marquant l’histoire du pays. Au contraire, cette armée devient en elle même une source d’instabilité en voulant être le principal vecteur générateur, contrôleur et garant du pouvoir politique au prix du sang de la population haïtienne, de la corruption et de la déstabilisation des institutions nationales. A l’exception du système duvaliériste qui a décidé de collaborer avec elle aveuglément. Ce faisant, pour se protéger de tout éventuel coup d’état, Papa doc a dû constituer une autre force para-militaire encore plus féroce et anti-peuple appelée officiellement « Volontaire de la Défense Nationale » communément nommée les « tontons macoutes » pour substituer le FADH. « Baby doc » de sa part, investi au pouvoir prématurément n’a pas su gérer le système intelligemment, dans le sens machiavélique du terme, conçu par son père. L’une des raisons pour lesquelles il a été destitué du pouvoir par la mouvance anti-duvaliériste.

De toute cette dynamique politique et sociale s’est émergée une nouvelle mouvance connue sous le nom de « Lavalas » qui consent les premiers efforts d’instauration de la démocratie libérale en Haïti. Une nouvelle fois, l’armée en question a coupé l’élan démocratique qu’empruntait à peine le pays en donnant au premier président élu par les urnes populaires un nouveau coup d’état. Ironie de l’histoire, cette force armée a été dissoute par la même puissance qui l’a instauré : « l’oncle Sam ». C’est le début d’une deuxième occupation. Le premier président élu par les urnes populaires ayant eu la chance de prendre le pouvoir politique une deuxième fois et ayant gardé dans la mémoire les séquelles du premier coup d’état, a tenté d’adopter la stratégie de « Papa doc », celle d’instituer un corps para-militaire couramment appelé « Chimè » pour protéger et pérenniser son pouvoir fraîchement acquis. Cette fois ci, cette stratégie ne fût pas payante, la société haïtienne était déjà trop avancée sociologiquement et politiquement pour encore accepter ce stratagème rétrograde. Pour cela, il y eut une longue mobilisation populaire émanant de diverses couches sociales, politiques et parallèlement un mouvement armé constitué de rebelles qui contraignirent aux puissances intéressées en Haïti de déchoir l’ancien prêtre du pouvoir.

De cette action internationale résulte deux ans de guérilla interne intense  qui ont été alimentés par les sympathisants du pouvoir déchu et le début d’une troisième occupation étrangère en générale et d’une deuxième onusienne dans l’espace de dix ans. C’est également le début d’une transition de deux années qui a organisé des élections relativement potables et légitimes. Ce nouveau gouvernement ainsi que le règne des « roses » qui lui a succédé, sous l’égide duquel nous nous trouvons, se trouvent confortables avec l’occupation parce qu’elle leur met à l’abri de tout éventuel coup d’état. Fort de cette garantie, ces gouvernants se permettent tous les excès. Les excès de langage comme : « lè n’ap fè manifestasyon pou grangou na pase chèchem » ; excès économiques à travers les dépenses futiles pour soutenir leurs candidats, les achats de voiture luxueuse, les voyages incessants, les per diem exagérés des proches du pouvoir, et tant d’autres excès dont la liste pourrait faire l’objet d’un ouvrage.

Voici en filigrane l’état des lieux d’un Etat ayant plus de deux siècles et qui se cherchent encore. L’histoire de cet Etat est parsemée d’instabilité, de compromission malheureuse avec la communauté internationale et de la non-intégration d’une bonne partie de la population. De la naissance de cet Etat à nos jours nos gouvernants ont été contraints, dans beaucoup de cas, de bonne foi, dans la plupart des cas, de prendre des décisions anti-populaires coupant de fait le système étatique au désiderata de la masse. Ce qui incorpore dans l’inconscient social une conception pessimiste frisant parfois le défaitisme sur l’avenir de la gestion de la chose publique. En ce sens, le gestionnaire de la chose publique, aussi intègre qu’il pourrait être, est vu comme un corrompu, un gaspilleur des biens de l’Etat qui vise à faire fortune dans un temps record.

Il est cependant important de noter que cette conception sociale haïtienne n’est pas le fruit de l’imaginaire ou du surréel. Elle est la résultante d’une désinvolture, d’un amour pour l’appât du gain, d’un comportement impudique que nos hommes d’Etat ont eu à travers toute l’histoire d’Haïti. Alors qu’ils dirigent un peuple en chômage vivant dans la misère et dans la crasse. C’est également la conséquence de la posture de nos élites se tirant les couteaux quotidiennement pour les privilèges et les avantages de l’Etat, en se moquant de la situation d’extrême pauvreté de la masse. Une masse composée de paysans marginalisés, souvent fois obligés de traverser la frontière en se livrant à la fureur dominicaine ou de prendre le boat people pour aller aux cieux étoilés, au Brésil et au nouvel eldorado du Chili au péril de leur vie, en quête d’un lendemain meilleur ; de femmes méprisées se jetant dans le petit commerce sans encadrement sous la responsabilité, parfois malveillante, des services de micro-crédits privés les assommant d’intérêts ; de jeunes délaissés à la merci de toutes les tendances perverses faisant d’eux le maillon faible d’où provient le déclin de la société haïtienne.

Fort de tous ces constats, si nos hommes d’Etats, nos partis politiques et toutes les forces vives de la nation ne réalisent pas la nécessité de faire taire leurs intérêts personnels au profit des intérêts nationaux, ce sera l’effondrement d’Haïti en tant qu’Etat comme l’avait déjà prédit Jared Diamond [3]. Dans ce contexte, si le docteur Tuneb Delpé, de regretté mémoire, parlait de « conférence nationale », le feu René Préval, ancien président de la république, de « refondation de l’Etat », le professeur Sauveur Pierre Etienne de « convocation des Etats Généraux de la nation », l’ancien premier ministre Evans Paul de « dialogue national ». Nous, nous parlons de « Nouveau congrès du bois caïman ». Parce que dans ce congrès, les protagonistes des Anciens et des nouveaux libres et également ceux des marrons ont consenti l’effort d’enterrer les haches de guerre pour doter au pays son indépendance. Nous pensons que symboliquement, les pourparlers entre les différentes catégories sociales pourraient commencer à bois caïman, ce lieu mystérieux, mythique et mystique qui a procuré nos ancêtres autant d’énergies, de déterminations, d’inspirations et de perspicacités pour emprunter le long et périlleux chemin de l’indépendance. A ce moment, toutes les catégories sociales haïtiennes confondues pourraient signer un nouveau pacte social établissant les jalons d’un nouvel Etat-Nation.

[1] Suite à ce congrès il y eut un soulèvement dans la nuit du 22 au 23 Août où les esclaves  de 5 habitations brulèrent celles-ci.

[2] A ce propos lire l’article de ce même auteur titré « Le lourd fardeau de l’occupation américaine de 1915» paru aux colonnes du quotidien Le National le 29 Juillet 2015

[3] Jared DIAMOND, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (trad. Agnès Botz et Jean-Luc Fidel), Gallimard, coll. « NRF essais », 2006 (ISBN 9782070776726), puis réédité dans la collection « Folio essais » (no 513) en 2009.

Stanley Karly JEAN-BERNARD,

Politologue, Travailleur Social,

Mastérien en Economie et Gestion des Collectivités Territoriales

Chercheur en Sciences Humaines

stakajebe@yahoo.fr/ stakajebe@gmail.com

 

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