SOCIÉTÉ

Pas de sexe, ne pas fouiller de trous, aucun combat de coqs… et autres croyances haïtiennes sur la semaine sainte

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Bien que souvent répétées, ces croyances populaires ne sont majoritairement pas observées

Manger du poisson, de la betterave, de la carotte… est presque un impératif pour beaucoup d’Haïtiens au cours de la semaine sainte. Pourtant, la célébration est typiquement chrétienne et la majeure partie du pays ne se revendique pas chrétien.

« C’est surtout l’occasion de partager des moments en famille qui est primée », tente d’expliquer Jean Pierre qui, quoique vivant seul et non chrétien, reconnaît qu’il se plie volontairement à une série d’interdits construits autour de la semaine sainte.

C’est ainsi que depuis le dimanche des Rameaux, Jean Pierre dit s’abstenir de sexe. « M ap kole », avance-t-il comme principale raison de son abstention, avant d’éclater de rire.

Aussi, le jeune homme se donne la satisfaction « d’être aussi saint que la semaine ». D’ailleurs, Jean Pierre s’identifiant comme un ébéniste, ignore lui-même d’où vient ce discours. Il en a seulement toujours entendu parler autour de lui et cela lui suffit pour s’abstenir d’étreintes passionnées.

Ce vendredi 2 avril a été l’anniversaire de Jean Pierre. « N’était-ce en raison de la semaine sainte, je me serais programmé des rendez-vous depuis au moins deux jours d’avance. Et au lieu de me retrouver ici, je serais chez moi avec la compagne que j’aurais trouvée ».

Des balivernes

Dans une rue pratiquement vide comparée à d’ordinaire, Jean Pierre accompagne son ami Roro en tant que « chofè adwat ». Les deux assurent le parcours Pétion-Ville — Carrefour de l’aéroport. Mais, ils ne comptent pas s’attarder ce Vendredi saint. Certes, la circulation est fluide due au fait que le chemin de croix prévu tout le long de l’autoroute de Delmas n’ait pas encore démarré, mais aussi parce qu’à partir de deux heures Roro compte prendre son viagra, histoire de se préparer pour une partie de jambes en l’air planifiée depuis la veille.

« Ma dernière fois remonte au début du mois de mars. Je passe mes journées derrière ce volant et je n’ai pas de femme qui m’attend à la maison », se justifie le chauffeur ayant vainement tenté de persuader son collègue de faire comme lui pour « au moins passer une bonne journée de fête puisque ces croyances sur le sexe et la semaine sainte ne sont que des stupidités ». Roro prend pour exemple ces travailleurs de l’État qui, en ce jour de Vendredi saint, fouillait un trou pour des travaux apparemment de canalisation. « Il n’y a pas que le sexe qui est interdit lors de la semaine sainte. On ne doit pas non plus fouiller de trou », rappelle Roro.

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Là-dessus, le prédicateur protestant Hérold Juste est bien d’accord. Outre ces deux interdits, il en identifie huit autres. Certains allant depuis le dimanche des rameaux jusqu’à la veillée pascale soit le samedi saint communément appelé samedi « dlo beni ». Et d’autres, au-delà du dimanche de Pâques.

Ainsi, pour les gourmands et friands, des restrictions sont fixées en ce qui a trait à la composition de leurs assiettes. « On ne doit tuer aucune bête durant la semaine sainte », affirme Juste qui explique que cela est relatif au fait que le sang de Jésus ait été versé pour les péchés de l’humanité, et donc celui d’aucune autre espèce ne doit être versé alors que l’on commémore la mort ainsi que la résurrection du Seigneur. C’est aussi parce que la chair représente le corps du Christ meurtri qu’il est interdit de manger de la viande jusqu’au samedi ».

Hérold Juste estime qu’une interdiction comme « la cessation des combats de coqs constitue une marque de respect pour l’époque pascale ».

Aucune explication

Traire les vaches, balayer sa maison, ou encore « pile nan pilon » sont autant d’interdits que Hérold Juste n’arrive pas à expliquer. « De même que de nombreuses autres personnes, j’entends ce genre de discours depuis mon plus jeune âge. Mais pour ma part je n’arrive pas à en saisir le bien-fondé ». D’ailleurs, l’homme de Dieu estime qu’en réalité, la majeure n’a aucune explication logique.

Il est interdit de fouetter un enfant durant la semaine sainte.

L’on interdit de couper le « metsiyen » au risque d’y voir couler le sang de Jésus. « La réalité c’est que la sève de cet arbre peut prendre une couleur rouge lorsqu’elle coule. C’est un phénomène qu’un spécialiste en botanique pourrait peut-être expliquer », défend le chrétien.

Si certains Haïtiens ont réellement fini par adopter ces croyances populaires dans le temps, celles-ci ne sont plus obersvées. En réalité, c’est le discours autour du sexe qui revient principalement quand j’ai interrogé des gens pour cet article. Le fait que le sexe soit encore un sujet tabou dans la société contribue très certainement à véhiculer des croyances mêmes les plus folles.

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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