SOCIÉTÉ

Des paris à 100 000 gourdes, Dezafi et autres petits secrets de la culture des combats de coq

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Les amateurs des combats de coqs rapportent que cette activité est hautement lucrative. L’animal, le coq, sur qui tous les espoirs reposent, est considéré comme un bijou précieux. En vrais passionnés, les spectateurs sont prêts à miser le maximum pour gagner le gros lot

Jeudi 6 aout 2019. Il est 3 heures 40 minutes à Delmas 3. Des amateurs se rassemblent pour assister et miser sur les combats de coqs qui se préparent. Dans cette zone, deux gaguères représentent les seuls espaces de convivialité et de loisirs.

Delmas 3 se situe non loin de l’ancienne piste de l’aviation militaire. La zone est déserte et les activités fonctionnent au ralenti. Rares sont les usagers qui empruntent cette voie qui débouche au nord sur la route de l’aéroport et au sud sur l’autoroute de Delmas, en face de Delmas 2.

Autour du cercle de combat, les hommes assis et debout sont en effervescence. À « Kana Guaguère », c’est la fête. Nous sommes à une période spéciale appelée « Dezafi », vrai moment de réjouissance pour les amateurs des combats de coqs. Elle s’étend du mois de janvier au mois de juillet de chaque année. « Cette période rapporte gros et les paris peuvent aller au-delà de cent mille gourdes », fait savoir Gasner François qui gère la barrière d’entrée.

Une partie de l’argent collecté à l’entrée de Kana Gaguère. Photo : Emmanuel Moïse / Ayibopost

Un Disc jockey (DJ) mène l’ambiance. Entre-temps, les spectateurs défilent. Portés par leurs propriétaires, les coqs dûment préparés pour les combats font leur entrée, la tête dans une vieille chaussette. Au portail, deux cent cinquante gourdes sont requises de chaque individu pour pénétrer l’espace. « Mercredi dans l’après-midi, à la barrière seulement j’ai collecté 28, 600 gourdes », confie Gasner François qui signale que la plupart des gens lui paient cent gourdes au lieu des deux cent cinquante gourdes établies.

Une période économique florissante

Ces volailles (les coqs) ne sont pas naturellement agressives. On les élève pour les rendre particulièrement hostiles à leurs congénères. Selon Sainthobert Boncouer, propriétaire de gaguère, tout combat de coqs dure 29 minutes.  Les combats sont extrêmement violents et vont souvent jusqu’à la mort. Ils s’arrêtent aussi lorsque l’un des coqs veut fuir le combat. Ce sont les deux critères retenus pour perdre le jeu. Lorsque les 29 minutes s’écoulent, le combat est donc nul.

Derrière ce jeu, certains arrivent à s’en sortir tout comme Alain Stanislas qui vit de la gaguère depuis 1985. Âgé de 69 ans, cet homme dit avoir abandonné les travaux des industries pour s’adonner à la gaguère. « Depuis 1985, la gaguère représente mon gagne-pain. Cette activité m’a permis de faire l’éducation de mes enfants », relate ce père de trois enfants, dont un ingénieur, Frantz Stanislas, et une infirmière, Katiana Stanislas.

Derrière ce jeu, certains arrivent à s’en sortir tout comme Alain Stanislas qui vit de la gaguère depuis 1985. Photo: Georges Harry Rouzier

Monsieur Stanislas gagne entre dix et vingt mille gourdes par semaine durant le « dezafi ». Il se présente comme éleveur et vendeur de coqs de combat. « Je réalise, par semaine, entre deux à trois combats de coq », dit celui qui est également le porte-parole de l’association nationale de gaguères (AGN).

Les gains de Alain Stanislas sont faibles par rapport à ceux des amateurs qui misent de fortes sommes sur leurs coqs. Sous la vieille tonnelle où les coqs s’affrontent, les amateurs misent chacun 25 mille gourdes, selon Alain Stanislas.

Évidemment, d’autres paris sont réalisés à des tarifs divers. L’argent liquide est au rendez-vous et tout le monde prend goût aux offres. Toute une dynamique économique s’abrite derrière le « dezafi ». Des commerçants s’installent ça et là dans la gaguère et paient les frais exigés pour y être autorisés.

À Kana Gaguère, des vendeurs offrent fritures et cocktails alcoolisés aux visiteurs. Emmanuel Moïse / Ayibopost

La gaguère, une alternative au chômage

En Haïti, 70 % des Haïtiens vivent dans le chômage. Près de 6 millions d’Haïtiens vivent en dessous du seuil de la pauvreté avec moins de 2,41 $ par jour. Près de 2,5 millions sont tombés en dessous du seuil de pauvreté extrême, ayant moins de 1,23 $ par jour, selon les récentes données de la Banque mondiale. Du coup, certains professionnels croupissent dans le chômage et s’accrochent à d’autres alternatives pour survivre. C’est le cas de Sainthobert Boncoeur, propriétaire d’une gaguère.

« Après maintes analyses, j’ai réalisé que je ne pouvais pas vivre seulement de la construction, j’avais décidé de monter ma gaguère », raconte-t-il. Cette activité a été aussi pratiquée par son père qui vivait à Petit-Goâve.  Boncoeur a dix enfants à charge et dit avoir bénéficié des dividendes de son entreprise pour prendre soin de sa famille.

Ces volailles (les coqs) ne sont pas naturellement agressives. On les élève pour les rendre particulièrement hostiles à leurs congénères. Photo : Georges Harry Rouzier / Ayibopost

Gasner François a aussi hérité l’amour des coqs de ses grands-parents. Pourtant, il dit avoir subi des discriminations de la part de sa famille proche et de ses amis. « Quand je n’ai pas d’argent, les membres de ma famille pensent que j’ai tout perdu dans les jeux de hasard », dit-il.

François ajoute que certaines familles interdisent même aux amateurs de coq d’approcher leurs filles. « On nous considère comme des indisciplinés », regrette-t-il. François affirme avoir un commerce de boissons gazeuses, mais cela ne l’empêche pas de s’occuper des droits de rentrée à « Kana gaguère ». On lui octroie deux mille gourdes par jour durant le « dezafi ».

Le jeu à ses règles

À chaque match, le poids et les ergots (zepon) doivent être identiques pour les deux animaux rivaux. Ces caractéristiques sont déterminées par le juge qui gagne une caution de 100 gourdes sur chaque 5 000 gourdes lors d’un pari entre deux amateurs ayant leurs coqs en duel. Le juge est rémunéré par le propriétaire de la gaguère. Lorsque certains cas le dépassent, il recourt à un tribunal de paix ou à un commissariat de police.

Pendant le combat, seul le juge a le droit de rester dans le cercle. Emmanuel Moïse / Ayibopost

En moyenne, les coqs peuvent livrer quinze à vingt combats durant leurs carrières. Leur prix de vente varie entre 15 000 à 25 000 gourdes. « Des moyens biochimiques (injections particulièrement) sont aussi utilisés dans leur élevage », rapporte Sainthobert Boncouer.

L’anatomie de ces coqs de combat capte l’attention. À « Kana gaguère » le cou et les cuisses des coqs sont déplumés. Avant le combat, ces parties sont badigeonnées de tafia ou d’eau. Leurs ergots sont bien aiguisés et les grandes plumes des ailes et la crête sont coupées pour ne pas laisser de prises à l’adversaire.

En fin de combat, les animaux blessés grièvement sont lavés avec du Coca Cola par leurs propriétaires.

En fin de combat, les animaux blessés grièvement sont lavés avec du coca cola par leurs propriétaires. Emmanuel Moïse / Ayibopost

Et l’État…

La loterie de l’État haïtien (LEH) est l’instance régulatrice des jeux de hasard en Haïti. jusqu’à maintenant, cette entité n’est pas arrivée à dénombrer les gaguères existant sur le territoire. Julio Julien est directeur financier de la LEH. Il précise que près d’une vingtaine de gaguères paient leur droit de fonctionnement évalué à cinq mille gourdes l’an.

Le droit de fonctionnement est un document livré par la LEH qui sert d’autorisation pour les jeux de hasard dans un espace donné. Ce document diffère de la patente délivrée par la Direction générale des impôts (DGI).

Les fins de semaine restent les jours de fonctionnement réguliers des gaguères. Toutefois, ces centres de jeux fonctionnent quotidiennement lors du « dezafi » qui peut être accueilli, par semaine, dans plus de vingt gaguères.

En dépit de l’argent que génère les combats de coqs et l’ensemble des jeux de hasard du pays, la LEH peine à en obtenir le plein contrôle surtout depuis que son entité rivale l’Association des tenanciers de borlette (ANTB) revendique aussi la mainmise sur la plupart de ces jeux.

Photo couverture: Georges Harry Rouzier / Ayibopost

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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