SOCIÉTÉ

Parents et élèves du Lycée Français manifestent contre les autorités françaises

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L’institution, qui perd des élèves en grand nombre, fonctionne sous un régime « online » au moins depuis le mois de septembre 2021

Les pancartes portent des revendications claires, dans un français parfait : « On suffoque, le Zoom nous zombifie ». Ou encore, « Je suis triste, je veux voir ma maitresse en vraie vie. »

La scène prend place le samedi 9 avril dernier devant les portails en fers forgés peints en bleu du Lycée Français en Haïti. Une trentaine de parents et d’élèves de cet établissement d’éducation française sont venus dire leur désaccord profond à la décision des autorités de l’hexagone de migrer les cours vers internet, et de fermer les salles de classe physiques au moins depuis le 31 septembre 2021, pour des raisons de sécurité.

En toile de fond, une inquiétude bien plus grande se profile : le Lycée, aussi appelé Alexandre Dumas, risque à terme de fermer définitivement ses portes. L’institution comptait plus de 700 élèves en 2018. Aux décomptes en janvier 2021, 600 répondaient à l’appel. Et aujourd’hui, seulement 300 environ auraient confirmé leur volonté de revenir en classe pour l’année scolaire qui arrive.

Des informations collectées par AyiboPost auprès d’une quinzaine de parents, de professeurs, de responsables et d’élèves brossent le portrait d’une école en crise.

Des informations collectées par AyiboPost auprès d’une quinzaine de parents, de professeurs, de responsables et d’élèves brossent le portrait d’une école en crise. Les professeurs ressortissants directs de la France ont quitté Haïti en décembre 2021. En marge de ces départs, au moins 60 élèves se sont portés sur la liste des candidatures à l’Union School, un autre établissement select, prisé par les diplomates et personnalités importantes des secteurs privés et publics du pays, selon les révélations d’une source au courant des inscriptions.

Cependant, tous les parents ne peuvent faire le grand saut. L’écolage annuel pour les enfants haïtiens et français au Lycée Alexandre Dumas tourne entre 5103 et 6824 dollars américains pour l’année scolaire en cours. Il faut compter le double et parfois plus pour l’école américaine, Union School.

« Les responsables du Lycée Français ont donné des garanties que l’école continuera de fonctionner malgré les soubresauts en Haïti, déclare une source proche de l’école. C’est difficile de penser qu’ils vont tenir cette promesse dans un scénario où vous avez seulement 100 élèves. »

Plus que l’insécurité, une cassure dans le socle de confiance entre les parents et les leaders du lycée fait tanguer l’institution.

Le lycée, créé en 1968, s’était mis sur son 31 le 1er septembre 2021. La rentrée, programmée pour le lendemain, devait revigorer des élèves cloitrés chez eux, et alléger les tâches des parents exténués par la situation globale du pays.

Dans la soirée, une annonce, sortie de nulle part, est venue tempérer les enthousiasmes : à partir de 2 septembre, le Lycée fonctionnera sous un régime en ligne jusqu’à l’amélioration des conditions sécuritaires dans le pays.

Le personnel s’y connait en enseignement en ligne. Il s’en est servi durant les épisodes de « pays lock » et pendant les fureurs médiatiques du Coronavirus dans la première moitié de l’année 2020.

Cependant, la décision abrupte de fermer les salles de classe surprend par le timing, et son raisonnement. « Il y a un problème de confiance aujourd’hui » estime Peter Frish, un participant à la manifestation de samedi et ancien élève du Lycée.

À différents moments, l’école devait rouvrir physiquement. D’abord, c’était après la Toussaint, puis après les vacances de Noël. Et maintenant, l’on parle de septembre 2022. « Personne ne sait s’ils vont rouvrir effectivement », déclare Peter Frish.

La décision de migrer en ligne vient directement des autorités du ministère des Affaires étrangères françaises.

Lorsque des parents et des élèves se sont rendus devant le Lycée samedi dernier, les locaux de l’institution étaient utilisés comme centre de votation pour la présidentielle en France.

L’ambassadeur de France en Haïti, Fabrice Mauries, est sorti s’adresser à la petite foule. « J’entends votre mécontentement, a commencé le diplomate. Moi aussi, j’aimerais que cette école rouvre. Vous connaissez la situation sécuritaire du pays, vous connaissez les risques et les dangers. Ce n’est pas une solution idéale et je préférerais qu’elle soit en présentiel. »

Plusieurs employés de l’école disent être prêts à venir ouvrir les classes, malgré l’absence des professeurs français. Ils proposent des cours en présentiel avec les professeurs Haïtiens et l’installation d’écrans dans les salles pour les professeurs étrangers. Les autorités françaises font la sourde oreille.

L’ambassadeur de France en Haïti, Fabrice Mauries est sorti s’adresser à la petite foule.

« Le lycée est dans une situation complètement absurde aujourd’hui », déclare un parent, présent à la manifestation. « En dépit de la situation, toutes les écoles sont ouvertes, sauf le Lycée Français et ce, sans raison pertinente. La situation dans le pays est similaire à l’année dernière. Pour des raisons qu’on ignore, le gouvernement français décide de ne pas permettre la réouverture de l’école. »

Un professeur qui demande l’anonymat parce qu’il n’est pas autorisé à prendre la parole au nom de l’institution dénonce une décision « absurde », sans « consultation » avec les Haïtiens sur le terrain. « Si l’école ferme pour la situation actuelle, on ne voit pas dans quelle condition sécuritaire ils vont accepter de rouvrir. »

Benjamin Angiot, un autre participant à la protestation, est en Haïti depuis huit ans. « C’est un pays qui de toute façon a toujours été en crise, déclare-t-il. Il faut faire confiance à ceux qui sont sur place, qui connaissent la réalité, qui savent gérer les situations de crise. Il faut montrer qu’on est plus fort que les problèmes. »

Des parents se plaignent de journées difficiles, passées à s’occuper des enfants. Monique Gardère est la grand-mère d’une petite fille en grande maternelle. Si on a pu venir voter au local, pourquoi les enfants ne peuvent venir à l’école, se demande la dame dont la petite fille « pète un plomb parce qu’elle n’a pas ses amis et ses copains et sa mère a dû abandonner son travail pour s’occuper d’elle. »

C. Vorbes est en terminal. Elle dit être affectée « énormément » par la situation. « Ça m’énerve que nous sommes toujours en distanciel, c’est mortel, c’est cruel, déclare la jeune fille. C’est pénible d’être devant un écran. Je ne suis pas avec mes amis, nous sommes dépressifs. »

Les photos sont de Valérie Baeriswyl / AyiboPost

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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