SOCIÉTÉ

Oudelin Siléus se consacre totalement à la communauté sourde en Haïti

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Oudelin Siléus est né dans une famille de sourds, mais il n’a pas de troubles auditifs. Par ses parents, Oudelin a appris les gestes et les signes pouvant lui permettre de communiquer avec les sourds-muets. Depuis le tremblement de terre de 2010, il se consacre entièrement à la cause des sourds. Il n’avait alors que 16 ans.

« Je m’appelle Oudelin Siléus, je suis un CODA », c’est ainsi que l’interprète en langue des signes de l’émission « Invité du midi » se présente. Ce sigle anglais désigne les enfants d’adultes sourds (Child Of Deaf Adults). « Ma mère ainsi que mes deux tantes sont nées sourdes. Quant à mon père, il est devenu malentendant suite à une méningite lorsqu’il était encore très jeune. Ma mère ne parle pas, mon père parle très peu», explique Oudelin pour qui le terme « muet» est aussi incorrect que discriminatoire. « Une personne serait muette si elle n’avait aucun langage pour se faire comprendre», rétorque-t-il.

Oudelin a grandi avec sa grand-mère à Plaisance dans le Nord. « Ma mère avait seulement 22 ans quand je suis né. Tout compte fait, ma grand-mère voulait qu’elle continue sa scolarité en toute quiétude. » Mais la mère d’Oudelin n’a pas réellement avancé dans ses études. « Ma mère est arrivée en neuvième année fondamentale à l’École spéciale Saint-Vincent. Elle y a aussi appris la couture. Ce métier a toujours été un grand support pour la famille. Jusqu’à présent elle travaille dans une usine d’industrie textile. »

2010 a été une année déterminante de la vie professionnelle du jeune interprète en langue des signes. Le séisme avait détruit la maison où vivaient ses parents à Cité Soleil. Puis, ils ont été logés par une organisation caritative au Village de l’espoir de Lévêque à Cabaret. C’est là qu’il est devenu interprète de médecins et volontaires étrangers désireux d’aider les sourds haïtiens.

Plus tard, en 2013, il a cofondé l’Association des sourds de Lévêque Haïti avec des personnes sourdes et malentendantes de la communauté Lévêque à Cabaret. « J’étais interprète lors de la création de l’association. Depuis 2016, je suis devenu le responsable de communication parce que j’étais la seule personne entendante parmi les membres. Je gère les pages de l’institution sur les réseaux sociaux. Je le représente dans les entités publiques ou privées. Je m’engage à ce que la voix des sourds parvienne à pénétrer les oreilles des autorités compétentes même quand ces dernières seraient elles-mêmes sourdes», avance l’interprète d’un ton ferme.

Oudelin dispense aussi des cours à un institut de langues des signes à Port-au-Prince.  Il détient une licence en langue des signes. Actuellement, il est le coordonnateur d’une association d’enfants de parents sourds. Et il projette d’entamer des études en maîtrise et en doctorat dans le même domaine. À côté de cela, il accorde son aide à toute personne muette ou sourde qui le sollicite. « Je suis toujours disponible pour les accompagner à l’ambassade, à l’hôpital ou dans quelque autre endroit. C’est toujours un plaisir pour moi de rendre service à cette communauté.»

L’équipe de la Radio Télé Caraïbe a remarqué Oudelin Siléus en avril 2019 lors d’une tournée médiatique. « J’accompagnais Soinette Désir, une militante des droits de la personne, pour la réalisation d’un défilé de mode à l’intention des femmes à mobilité réduite. Davidson Saint-Fort m’a proposé le poste d’interprète en langue des signes à son émission. » Depuis, il accompagne systématiquement le présentateur de l’émission « Invité du midi » pour permettre aux sourds et aux muets de profiter de la programmation.

Pour l’inclusion des personnes sourdes

Oudelin croit qu’il ne faut pas percevoir les personnes qui ont une déficience auditive comme des malades mentaux. « Quelqu’un peut avoir des troubles auditifs sans être en démence. » Il a ajouté que cette communauté a pendant longtemps pratiqué l’endogamie (c’est-à-dire qu’ils choisissaient leurs partenaires exclusivement parmi les sourds) de peur d’être abusée. « Les personnes vivant avec des troubles auditifs subissent toutes sortes d’abus. Une personne sourde se sent plus en sécurité quand elle est en couple avec quelqu’un ayant la même déficience. C’est ainsi que mes parents se sont mis ensemble, l’un faisait confiance à l’autre.»

Jusqu’en avril 2019, une bonne partie de la communauté sourde ne comprenait pas la question du scandale des fonds Petro Caribe, si l’on croit Oudelin. Pour ceux qui savent lire, ils voyaient des affiches et des graffitis avec la fameuse question « Kot kòb Petrokaribe a », mais ils ignoraient tout de l’histoire que sous-tendait cette question. « À l’émission que j’interprète, les gens sont parvenus à comprendre ce qui s’est passé avec ce fonds. » Lorsqu’en février, le pays a été bloqué pendant plusieurs semaines, «j’ai traduit en langue des signes les allocutions du président de la République et celles du Premier ministre dans une vidéo sur Facebook. Les membres de la communauté sourde qui avaient accès à internet ont pu en bénéficier.»

Par ailleurs, dans les institutions publiques et privées, les personnes avec une déficience sont généralement exclues. Oudelin partage une histoire malheureuse qui souligne l’importance de l’inclusion. Il a rencontré, dans le cadre de son travail, une dame sourde et muette qui lui a fait part d’une expérience malencontreuse qu’elle n’est pas près d’oublier. « Elle ne parvenait pas à se faire comprendre par la gynécologue qui la consultait. elle a dû tout expliquer à un tiers contre son gré. En effet, elle avait des complications suite à une interruption volontaire de grossesse. C’était son histoire et elle ne voulait la partager qu’avec le médecin», se plaint Oudelin. Il pense que le personnel des institutions de santé devrait aussi s’impliquer pour que les services médicaux soient réellement inclusifs.  « Les personnes sourdes, ajoute-t-il sont des êtres humains à part entière, elles méritent d’être traitées comme tels.»

Oudelin plaide pour un langage des signes en créole haïtien

Pendant longtemps, les proches des personnes sourdes utilisaient la méthode de la lecture labiale pour communiquer avec elles. « Cette méthode consiste à lire sur les lèvres de la personne qui parle. » Cette méthode est selon Oudelin discriminatoire, car le fait pour la personne sourde de se conformer à la société sous-entend que le problème vient d’elle.

Jusqu’ici, nous ne faisons que répéter les signes internationaux. Ces signes, argumente Oudelin, ne sont pas adaptés à la culture et aux gestes qui nous sont propres. Par exemple, dans le milieu haïtien, on bouge la tête de gauche à droite pour dire non, alors qu’en langue des signes américains on ne répond pas ainsi par la négative. « Quand j’interprète, je le fais à deux niveaux. Je fais les signes standards, mais aussi des gestes pour faciliter la compréhension de ceux qui ne maîtrisent pas totalement la langue des signes. »

Oudelin Siléus fait le va-et-vient entre Port-au-Prince et Cabaret presque toutes les semaines pour apporter son support à la communauté sourde de Lévêque. « Il y a pas moins de 500 personnes qui vivent dans ce village dans des conditions exécrables. Les services de base n’existent pas, par exemple, les ménages n’ont pas accès à l’eau potable. »

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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