Pour ceux d’entre vous qui pourraient penser que je vais vous parler de ce tube apparemment fameux et malheureusement à succès de Tony Mix, devenu viral depuis sa sortie officielle, je suis désolée de vous décevoir. Je vais plutôt mettre les projecteurs sur Frantz Dominique Batraville. Connaissez-vous ce personnage ? Avez-vous entendu parler de lui ? La réponse sera affirmative pour certains mais pour d’autres, ce nom ne signifiera certainement rien et, d’autres encore s’en foutront carrément.
Voyons voir ! Une présentation de ce grand homme serait donc la bienvenue…. pourquoi pas ? Surtout si le nom ne provoque aucun déclic, comme je l’ai dit tantôt.
Me référant à l’article de Giscard Bouchotte, Doba a vu le jour, à Port-au-Prince, un matin d’un 20 février 1962 et a été emmené le même jour à l’Arcahaie, ville natale de sa mère, Denise Élysée. Il avait l’habitude de passer ses vacances d’été dans la ville de Saint-Marc, avec son père, Louis Pradel Batraville, médecin magnétiseur.
Après des études à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université de Lille en France, il revint en Haïti en juillet 1986 à la chute de Jean-Claude Duvalier.
Poète, nouvelliste, dramaturge, romancier et comédien, il a partagé son temps entre la marche, le taoïsme[1] et les prières égyptiennes. Il a exercé le métier de journalisme à HPN (Haïti Press Network) où il a collaboré pour d’autres organes de presse écrite et audiovisuelle, au Nouvelliste en 1988 comme critique et à Mélodie FM en 2003 où il a animé sa chronique « A Haute Voix ».
Son œuvre fut assez variée: allant des recueils de poésie, aux contes pour enfants, en passant par une nouvelle inédite, « Potre van lan sèvolan lakansyèl », récompensée par le Prix Sony Rupaire en Martinique en 1997. Certains de ses textes, comme Kantik devanjou, ont été traduits en espagnol, anglais et portugais.
Ce grand homme a été membre de l’Association des Ecrivains de la Caraïbe basée en Guadeloupe, membre du PEN-Haïti et a accepté de faire rééditer son récit « Le récitant zen » aux Editions Ruptures aux Etats-Unis d’Amérique. En mars 2012, il a participé au Salon du livre de Paris aux côtés de son compatriote écrivain Jean-Robert Léonidas.
Il sortira son roman « L’Ange de charbon » aux Éditions Zulma, au printemps de l’an 2014 à Paris. La même année, la cinéaste Aïda Maigre-Touchet a consacré un film à son nom à partir de janvier 2014. Voyez-vous messieurs et dames, cela date tout juste d’un peu plus de deux ans.
Parallèlement à son travail de journaliste de la presse écrite et d’écrivain, Doba a participé à une vingtaine de films haïtiens, belges, français et suisses. On le retrouve, par exemple, dans Royal Bonbon de Charles Najman (Prix Jean Vigo 2002), jouant le rôle principal du roi Chacha. « L’évangile du cochon créole » de Michelange Quay fut sélectionné à Cannes en 2004. Il faudra se souvenir aussi de « La triste fin de Blaise St Christophe » de Marc Barrat et de « Toussaint Louverture, Haïti et la France, » réalisé par Laurent Lutaud.
Parcours impressionnant… sans oublier les nombreux prix et distinctions.
Avec un tel bagage, pourquoi ai-je l’impression que son nom s’efface dans l’histoire ? Pourquoi a t-il si soudainement disparu de la circulation ?
Dominique, où es-tu ? Que deviens-tu ? Que fabriques-tu ? Où traines-tu ? Qu’as-tu ? Comment vis-tu ? Ma foi ! Je te demande pardon de te bombarder d’autant de questions mais cette fouineuse que je suis, veut s’enquérir de tes nouvelles et s’inquiète pour toi.
Que deviens-tu ? Silence de mort ! Pour certains, tu as la mémoire des noms, pour d’autres, non.
Où te caches-tu ? Nul ne sait vraiment. Personne ne peut satisfaire ma curiosité. Sinon que l’on pense que tu as quelque part où aller.
Où traines-tu ? Il est dit que tu erres comme une âme en peine un peu partout, que tu possèdes les mêmes pouvoirs qu’un magicien. Tu disparais dans les minutes qui suivent ton apparition. Tu traînes tantôt sur la route de Delmas devant les marchands de « pate kode », tantôt à Pétion-Ville comme un vieux fou. Il fut un temps, on te remarquait sur la place Sainte-Anne. Un ami eut même à te décrire comme « le plus grand marcheur de Port-au-Prince ».
Selon les dires, Dominique ne vit pas sous la paille même s’il est mal fagoté et qu’on a l’impression qu’il vit comme un crasseux. Il sourit à tout le monde, un brin incohérent, quand il ouvre la bouche. Sa rhétorique a toujours été différente des autres. Bien qu’il maitrise sa plume, on a eu du mal à le prendre au sérieux compte tenu de son style de vie épicurien. Il ne mangeait pas, il grignotait, il ne s’asseyait jamais autour d’un copieux repas….
Toutefois, entre Dominique et l’alcool, existe un amour inconditionnel. Que lui est-il arrivé aujourd’hui pour qu’il soit partout dans les rues et nulle part joignable ? Suis-je la seule à me sentir concernée par ce mode de vie alarmant qu’il mène ? En mars dernier, des photos de lui dans la zone de Delmas, non loin de l’Hôpital Dash, le montrant mal vêtu, ou comme on dirait en créole « debraye sou moun » circulaient sur facebook. Il avait le regard absent, fouillant ses poches surement à la recherche de monnaie pour un « fritay », un livre à la main. Il semblait avoir pris un coup de vieux.
Lucide par moment, Dominique est malade : il va mal et il le sait, mais, il promet de guérir dans un délai de quinze jours. J’ose m’avancer pour dire qu’il souffre de problèmes mentaux. Attendra-t-on que cela lui soit fatal pour lui rendre hommage ? Qu’est-ce qui peut être fait ? Comment l’aider ? Que dit sa famille dans cette lamentable affaire ?
Je ne permettrai pas aux larmes de couler, de courir le long de mes joues et de mourir sur mes lèvres. Il n’est pas trop tard pour unir nos forces pour le sauver.
Chère société, mon cœur est fêlé de voir ce poète s’autodétruire.
Sa vie a pris un tournant. Je ne saurais dire à quel moment son monde a basculé pour qu’il devienne à ce point méconnaissable. Le néant l’engloutit petit à petit et on assiste à sa dérive sans piper mot.
Je n’ai peut-être pas de voix pour me faire entendre mais j’ai ma plume pour exprimer ma désolation, hantée par ces images pitoyables de Doba.
Chère société, cette belle âme doit renaître de ses cendres.
A nous de jouer…
Nayah Zee Allen
[1] dimension toute entière de l’individu. Cette discipline nous invite à renouer avec notre conscience, notre vie spirituelle, et recherche l’harmonie avec la nature, et le reste de notre environnement. Le taoïsme c’est également la représentation des énergies complémentaires homme et femme, de l’interdépendance du yin et du yang. Entrer en communion avec sa conscience est également possible grâce aux massages taoïstes, à la médecine chinoise ou à l’acupuncture.
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