Opinions

Opinion | Pourquoi le SPORT doit conserver son MINISTÈRE ?

0

Comment penser aborder aujourd’hui le problème de l’insécurité provenant des quartiers en Haïti sans de véritables politiques publiques axées sur le sport ?

Haïti traverse une crise multiforme depuis maintenant plusieurs années. Cette crise qui a pris une autre dimension avec l’assassinat de l’ancien Président de la République, Jovenel Moïse, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021 s’est complexifiée ces derniers mois par la violence des gangs ayant conduit à la démission de l’ancien Premier ministre de facto, Ariel Henry.

Après plusieurs jours de tergiversations, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) qui a pris les rênes du Pays pour combler la vacance constatée dans la plus haute magistrature de l’État, depuis la mort du Président, a décidé de nommer un nouveau Premier ministre, Gary Conille, en remplacement de Monsieur Henry.

Garry Conille

Le Premier ministre Garry Conille a reçu l’ampliation de l’arrêté de sa nomination, lundi 3 juin 2024, à la Villa d’Acceuil, à Musseau. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Par rapport aux nombreux défis du moment, des voix, certaines très importantes, commencent à sérieusement s’élever pour réclamer la diminution du nombre de ministères appelés à constituer le prochain cabinet ministériel.

Dans cette perspective, le ministère chargé des Sports se trouve particulièrement visé. Les priorités du moment étant la Sécurité, la Paix, la Justice, l’Économie, les Élections… il n’y aurait donc pas de places pour le sport.

Cette pensée, qui semble être dominante au sein de l’opinion publique, ne tient pourtant pas compte ni des enjeux actuels ni de ce qu’est le sport, en réalité. C’est exactement ce que nous nous efforcerons de démontrer dans cet article.

Haïti, un pays en crises…

S’il y a quelque chose qu’il n’est pas nécessaire de démontrer tant, elle est évidente, c’est la situation exécrable dans laquelle se trouve Haïti en ce moment. Une crise qui s’aggrave chaque jour de plus en plus, prenant des proportions inimaginables.

De toutes ces crises, c’est celle liée à la sécurité qui est sans conteste la plus préoccupante. Car, non seulement, elle influe sur les autres réalités, mais aussi, elle menace grandement les vies et les biens et avec eux, l’existence même de notre État.

Lire aussi : Les gangs piratent les radios de communication de la PNH

Selon un rapport de l’ONU, cité dans un article paru sur le site de l’Institution, Haïti est en proie à une situation cataclysmique.

Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux Droits de l’Homme également cité : « la violence des gangs a fait 4 451 morts et 1 668 blessés l’année dernière. Et rien qu’au cours de trois premiers mois de 2024, jusqu’au 22 mars, 1 554 personnes ont été tuées et 826 blessées ». Alors qu’on est au début du mois de juin, ces chiffres devraient évoluer dans le mauvais sens, car, rien de concret n’a été fait jusque-là pour freiner l’hémorragie.

À cette crise sécuritaire se greffe des crises sanitaire, sociale, économique, politique, identitaire et autres, qui font que le quotidien des Haïtiens est très difficile, voire insoutenable. Ce qui ouvre la voie bien évidemment à une crise migratoire. Entre les déplacements internes et ceux qui tentent le départ pour l’étranger, par des voies diverses et variées, le pays perd aussi une partie de sa jeunesse et de son intelligentsia, donc, sa force vive.

C’est donc, dans ce contexte apocalyptique — et le mot n’est pas trop fort — que les dirigeants actuels et futurs doivent et devront assumer leurs lourdes responsabilités.

Face à ce défi immense, ils ont envie tout de suite de prendre grandes décisions. À leurs yeux, écarter le Ministère chargé des Sports semble en être une. Ce qui est à bien des égards, pour ne pas dire à tous les égards, une «grossière erreur ».

Le Sport, un instrument au service du développement et de la Paix…

L’une des premières raisons avancées pour justifier cette mort annoncée du Ministère chargé des Sports des priorités nationales pour les deux prochaines années, c’est parce qu’il ne cadrerait pas avec les autres GRANDES PRIORITÉS que sont la Sécurité, la Défense nationale et le Redressement économique.

Pourtant, depuis 2015, une résolution des Nations Unies reconnait le sport en tant que partenaire important du développement durable. Ce qui rejoint la conviction initiale du Comité international olympique (CIO) dès sa création en 1894 que le sport pouvait contribuer au développement et à la paix dans le monde.

D’où la notion de trêve olympique (qui commence sept jours avant les jeux et se termine sept jours après les jeux), vieille de l’Antiquité (VIIIe siècle av. J.-C.), qui consiste en la cessation de toutes hostilités pendant la période des Jeux olympiques.

Pourtant, depuis 2015, une résolution des Nations Unies reconnait le sport en tant que partenaire important du développement durable.

Depuis 1993, l’Assemblée générale de l’ONU apporte son soutien au CIO en adoptant tous les deux ans — un an avant les jeux — une résolution intitulée : «Pour l’édification d’un monde pacifique et meilleur grâce au sport et l’idéal olympique».

Au-delà de ces considérations théoriques que certains seraient tentés de minimiser, le Sport a déjà démontré dans des contextes aussi difficiles que le nôtre qu’il était capable de jouer valablement le rôle qui est le sien, d’être cet excellent outil de réconciliation, de paix et de cohésion sociale.

La nation arc-en-ciel sud-africaine, autrefois déchirée par le régime de l’apartheid, a pris naissance grâce au sport, à l’occasion de la Coupe du Monde de Rugby en 1995.

Ce qui a poussé Nelson Mandela a déclaré plusieurs années plus tard (en 2000) : « le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’unir les gens d’une manière quasi-unique. Le sport peut créer de l’espoir là où il n’y avait que du désespoir. Il est plus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales. Le sport se joue de tous les types de discrimination ».

Cette vision qu’on pourrait qualifier d’idéaliste est surtout celle d’un homme qui avait compris, au travers de son expérience personnelle, le pouvoir immense du sport.

Le Sport a déjà démontré dans des contextes aussi difficiles que le nôtre qu’il était capable de jouer valablement le rôle qui est le sien, d’être cet excellent outil de réconciliation, de paix et de cohésion sociale.

La Côte d’Ivoire, divisée en deux à cause d’une rébellion, a vu son processus de réunification accélérer grâce à un match de football organisé à Bouaké dans le nord du pays auquel avait pris part sa légende Didier Drogba.

Aujourd’hui, si la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus stables d’Afrique ; si ce pays est celui qui a enregistré la plus forte croissance de sa prospérité sur le plan mondial, entre 2011 et 2021, c’est en grande partie en raison cet effort de paix rendu possible grâce au sport.

Georges Weah, ancien Président du Libéria, s’est appuyé sur sa notoriété acquise grâce au football pour fédérer les athlètes de son pays qui sortait d’une longue et douloureuse guerre civile.

On s’arrêtera à ces trois exemples, mais on pourrait largement en citer d’autres, tant ils sont nombreux, en l’espèce.

Le sport, vecteur d’ascension sociale, d’intégration et de sensibilisation…

Outre ses vertus, en matière de développement durable et de paix, le sport joue aussi le rôle d’ascenseur social et de vecteur d’intégration et de sensibilisation.

Dans beaucoup de pays, les programmes sportifs constituent un facteur d’intégration des jeunes des milieux défavorisés et/ou issus de l’immigration. À ce titre, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, le Brésil… en sont des exemples vivants.

En 2015, la Banque Mondiale et la Fondation Novak Djokovic ont noué un partenariat pour le développement de la petite enfance qui insistait sur l’importance des premiers mois de la vie et la nécessité d’investir pour aider les enfants défavorisés en Serbie. Point besoin de signaler que le Sport se trouve au cœur de ces actions, car, nous parlons de l’un des plus grands sportifs de l’histoire.

Le sport est un instrument d’autonomisation des femmes (ODD 5).

À ce propos, on pourrait noter l’initiative pour l’éducation et l’autonomisation des adolescentes au Nigéria qui se sert de la compétition sportive pour faire évoluer les représentations et les normes socioculturelles et éliminer les barrières à la scolarisation des filles.

Outre ses vertus, en matière de développement durable et de paix, le sport joue aussi le rôle d’ascenseur social et de vecteur d’intégration et de sensibilisation.

En Haïti, nous constatons tous les jours, à travers les performances exaltantes de notre équipe nationale de football pour les personnes en situation de handicap et de nos talentueuses — avec Melchie Daelle Dumornay en première ligne — que le sport est capable de sortir des gens de l’invisibilité sociale pour en faire de valeureux ambassadeurs du pays.

Alors, pourquoi le sport doit-il conserver son ministère ?

Après toutes les considérations ultérieurement faites, comment penser aborder aujourd’hui le problème de l’insécurité provenant des quartiers en Haïti sans de véritables politiques publiques axées sur le sport ? Il y a vraiment des intelligences haïtiennes qui pensent que les chars, les hélicoptères, les fusils, les soldats et les munitions suffiront ?

On dira peut-être qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un ministère chargé des Sports pour mettre en place une politique publique efficace axée sur le sport ? Ce n’est pas faux au premier regard. Pendant qu’on y est, éliminons aussi le Ministère de la Santé publique, celui de l’Environnement, ou encore celui de la Justice ou de la Planification… Restons dans cette logique implacable, car, on n’a pas besoin non plus de ces ministères pour mettre en place de bonnes politiques publiques, en matière sanitaire, environnementale, judiciaire ou de coopération.

Il y a vraiment des intelligences haïtiennes qui pensent que les chars, les hélicoptères, les fusils, les soldats et les munitions suffiront ?

Au-delà, du domaine d’activité d’un ministère, il faut avoir dans la symbolique, l’intérêt que l’État lui accorde. Éliminer le Ministère chargé des Sports dans le contexte actuel reviendrait à dire que le sport n’est pas un composant essentiel de la vie haïtienne et qu’on peut facilement s’en passer ; alors qu’à l’inverse, le garder renverrait un signal clair que l’État haïtien n’entend plus minimiser le sport et qu’il comprend enfin ses nombreuses dimensions, particulièrement sa capacité à générer un impact social et économique. Pour cela, il faut nécessairement penser beaucoup au développement du secteur qu’à son extinction.

Lire aussi : Ce que coûte à l’Haïtien le déficit culturel à l’école

Rémy Rioux, Directeur de l’Agence française de Développement (AFD) a dit, et il a raison, que le sport peut être un formidable accélérateur de développement et de cohésion sociale, à la condition de penser ensemble «sport et développement », c’est-à-dire en mettant du sport dans le développement, et du développement dans le sport, tout en travaillant très sérieusement et sans naïveté à rechercher le maximum d’impact social et environnemental.

Il faudra de l’intelligence pour bien articuler tout cela, mais ce n’est certainement pas en privant le sport de ce ministère qui n’est d’ailleurs pas le sien puisqu’il le partage déjà avec la « Jeunesse » et l’« Action Civique ».

Par Nathan Laguerre, av.

Commentateur sportif

Spécialiste en Droit du Sport

Président du Centre haïtien pour le Développement du Sport

Image de couverture éditée par AyiboPost illustrant les informations selon lesquelles le Ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique (MJSAC) serait dans le viseur du Premier ministre nommé, Garry Conille, comme ministère à écarter de son gouvernement.


Découvrez ce reportage d’AyiboPost sur la première édition du tournoi interscolaire Kako’s Kids, remportée par le Lycée national de La Saline, une institution délocalisée en raison de l’insécurité dans sa zone :


Gardez contact avec AyiboPost via :

► Notre canal Telegram : cliquez ici

► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici

► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici

Spécialiste en droit du sport, Nathan Laguerre est avocat au Barreau de P-au-P. Il adore le football !

    Comments