Opinions

Opinion | Les États-Unis et leurs alliés sont trop puissants en Haïti. Pourquoi ?

0

Le Core Group est censé prendre des décisions cruciales, parfois au nom d’Haïti, sans la participation du gouvernement haïtien. Je me demande qui bénéficiera de ces décisions

J’ai publié la semaine dernière un article satirique humoristique sur l’ingérence des États-Unis dans la politique imposée à Haïti, qui a échoué. Lire d’abord ces points factuels permettra de mieux comprendre le sarcasme.

Voici l’article : Opinyon | Lèt pou Etazini, Kanada, Lafrans ak Core Group

Haïti obtint son indépendance de la France en 1804 après que l’armée de Dessalines eut vaincu l’armée française (bataille de Vertières en novembre 1803). Vingt-deux ans plus tard, la France demanda à la nouvelle nation d’Haïti de payer pour la reconnaissance de sa souveraineté ; elle menaça de rétablir l’esclavage si la rançon ne fut pas payée. Haïti dut mettre en faillite tout le trésor du pays et dut contracter un prêt auprès de la France (« double dette ») pour payer au moins l’équivalent de 28 milliards de dollars américains dans la monnaie d’aujourd’hui. En d’autres termes, les esclaves durent payer leurs oppresseurs – oui, vous avez bien lu !

Lire aussi : Opinion | La dette de l’indépendance d’Haïti, une escroquerie historique !

Après son indépendance, au début des années 1800, Haïti aida les nations colonisées de l’hémisphère à rechercher la liberté, en leur offrant une aide financière et des soldats. Haïti est le symbole ultime de la liberté. Frederick Douglass rend un hommage éloquent aux ancêtres des Haïtiens en 1893 en déclarant que la liberté dont jouissaient les Noirs était le fruit des combats des Haïtiens. « En frappant pour leur liberté, ils ont frappé pour la liberté de chaque homme noir », a-t-il déclaré. La première nation à s’élever contre l’idée qu’une race était, d’une manière ou d’une autre, supérieure à une autre.

Haïti est le symbole ultime de la liberté.

Les États-Unis n’ont reconnu l’indépendance d’Haïti qu’en 1862, soit 58 ans plus tard. Haïti était une menace dès le départ, car les travailleurs esclaves dans les états du Sud constituaient localement la plus importante source de revenus, le moteur de l’économie.

En décembre 1914, les États-Unis retirent la réserve d’or d’Haïti à la banque nationale haïtienne. Elle n’a jamais été rendue.

Les États-Unis envahissent Haïti en 1915 et occupent le pays jusqu’en 1934. En conséquence, 15 000 Haïtiens sont tués, y compris des citoyens armés qui s’opposent à l’occupation et des personnes innocentes. Les États-Unis prennent également le contrôle des finances d’Haïti.

Lire aussi : L’emprise actuelle de l’occupation américaine d’Haïti

L’ambassade des États-Unis en Haïti est la quatrième plus grande ambassade du monde, après l’Irak, l’Arménie et la Chine.

En 1994, les troupes américaines ramenèrent Aristide après le coup d’État de 1991, après avoir imposé un embargo de trois ans au peuple haïtien. En 1995, les États-Unis et Aristide dissolvent l’armée d’Haïti au lieu de réformer le système judiciaire et le remplacent par la force de police actuelle.

Les États-Unis prennent également le contrôle des finances d’Haïti.

Le président Clinton a admis avoir tué la production du riz haïtien, qui profitait à ses agriculteurs de l’Arkansas, en forçant Haïti à réduire les droits de douane sur les importations de 30 % à 3 %, ne profitant qu’aux riches oligarques. Presque toutes les décisions semblent favoriser les super-riches pour une raison étrange.

Maintenant, vu que nos agriculteurs n’ont pas de réelle source de revenus ni les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école, ces derniers se rendent à Port-au-Prince pour trouver du travail. Dans une ville surpeuplée et sans investissements, cette tragédie crée malheureusement l’une des voies les plus prévisibles et évitables vers le recrutement de bandits. Mais qui a donné cette responsabilité à Clinton de prendre des décisions pour les Haïtiens ? Pas les Haïtiens, c’est certain. Je n’ai jamais vu son nom sur un bulletin de vote en Haïti.

Le Core Group est une coalition d’ambassadeurs des États-Unis, du Canada, de la France et de l’Union européenne, nommés par le Secrétaire général des Nations unies pour faciliter les négociations entre le gouvernement et les acteurs politiques. Ils sont censés prendre des décisions cruciales, parfois au nom d’Haïti, sans la participation du gouvernement haïtien. Je me demande qui bénéficiera de ces décisions.

Presque toutes les décisions semblent favoriser les super-riches pour une raison étrange.

La dernière force de l’ONU a introduit le choléra en Haïti, qui tua plus de 10 000 personnes entre 2010 et 2019. L’une des victimes, un homme gentil et doux, un père extraordinaire, Thelusma Rosilus, était mon oncle. Cependant, les familles des victimes n’ont jamais été indemnisées. De plus, après cette mission, les soldats de l’ONU ont laissé de nombreuses femmes haïtiennes avec des enfants sans père, sans aucun moyen de s’en occuper ; beaucoup de ces enfants furent le résultat de viols. Selon l’Associated Press, sur la base d’une enquête menée en 2017, plus de 100 soldats de l’ONU dirigent un réseau pédophilie en Haïti pendant plus de 10 ans et aucun d’entre eux n’est emprisonné. De nombreux garçons ont été violés.

Lire aussi : L’ONU refuse d’assister les enfants abandonnés par les soldats de la MINUSTAH

Après l’assassinat du dernier président, Jovenel Moïse, en juillet 2021, le Dr Ariel Henry a été nommé illégalement Premier ministre par le Core Group, contre la volonté du peuple et la Constitution. Il est désigné comme suspect dans l’assassinat du président.

L’administration Biden a déporté plus de 26 000 Haïtiens demandeurs d’asile en pleine crise humanitaire et insécurité alimentaire tout en ouvrant la frontière américaine à des milliers de migrants d’autres pays. Les Haïtiens savent qui sont leurs vrais amis.

Ariel Henry a été nommé illégalement Premier ministre par le Core Group…

Dans des zones comme Martissant, Cité Soleil, La Saline, au cours des quatre dernières années, des dizaines de milliers de personnes ont été chassées de chez elles par les gangs qui contrôlent les territoires. Les gangs sont connus pour être utilisés par le gouvernement, les politiciens et les riches oligarques. Ces trois groupes prospèrent dans le chaos. Ils fournissent également aux gangs des armes lourdes, car les gangs n’ont aucun moyen de s’offrir ces armes et d’y avoir accès si elles ne leur sont pas apportées.

En conséquence, il n’y a plus de circulation dans certains endroits de Port-au-Prince depuis près de deux ans. Le gouvernement n’a absolument rien fait à ce sujet. Les gangs sont également payés pour intimider les gens pendant les élections afin de les faire fuir des cabines de vote, ce qui est la seule façon pour ces politiciens et fonctionnaires corrompus de rester au pouvoir pour toujours. Les oligarques trouvent l’argent et choisissent leurs candidats en fonction de leurs intérêts et les gangs opèrent.

Les Haïtiens savent qui sont leurs vrais amis.

Les gangs sont mieux armés que les forces de police. Ainsi, la bonne police se fait régulièrement massacrer, tandis que certains policiers font partie des gangs. Certains membres de l’institution sont très corrompus et probablement impliqués, directement ou indirectement, dans l’assassinat du président. C’est un vrai désastre.

Lire aussi : L’assassinat de Jovenel Moïse raconté par un cadre de la PNH

Les enfants ne vont pas à l’école pendant des semaines, voire des mois, soit parce qu’ils sont déplacés, soit parce que les conditions ne sont pas sûres en raison des activités des gangs. Il n’y a pratiquement pas d’électricité dans tout le pays, même si le gouvernement verse chaque année des millions de dollars US à différentes entreprises pour fournir de l’électricité. Le pays passe généralement des semaines sans essence à la pompe, en grande partie à cause de l’incompétence et de la corruption entre le gouvernement et les puissants hommes d’affaires qui contrôlent ce secteur.

Les enfants ne vont pas à l’école pendant des semaines, voire des mois…

Les politiciens haïtiens possèdent des maisons à plusieurs millions de dollars aux États-Unis, au Canada, en République dominicaine et en Europe, construites avec des fonds destinés à l’éducation, aux soins de santé, aux infrastructures et à la lutte contre la faim et la pauvreté en Haïti. Quatre milliards de dollars américains ont été donnés au gouvernement haïtien sous forme de prêt à partir de 2006 par le Venezuela dans le cadre du projet PetroCaribe pour construire des infrastructures en Haïti. Cet argent a été dilapidé.

À regarder : Vidéo: Petrocaribe expliqué aux nuls

Environ 50 % des Haïtiens sont analphabètes. Le système éducatif est à genoux depuis des décennies, des centaines d’écoles enseignent avec des professeurs non qualifiés ou sous-qualifiés. La plupart des hôpitaux publics sont désormais des morgues, s’ils fonctionnent encore.

La plupart des politiciens haïtiens sont corrompus. Certains seraient impliqués dans le trafic de drogue. Ce mois-ci, le Canada a imposé des sanctions à 8 politiciens haïtiens, notamment l’ancien président Michel Joseph Martelly et l’ancien premier ministre Laurent Salvador Lamothe, pour leur implication dans des actes violant les droits de l’homme en Haïti.

Haïti a besoin de partenaires, non d’ amis.

La plupart des Haïtiens sont de rudes travailleurs, pacifiques et fiers. Ils sont simplement coincés entre les politiciens corrompus et les oligarques. Des pays comme les États-Unis, le Canada et la France, ainsi que des organisations comme l’ONU, ont tendance à être plus proches de ces groupes corrompus que du peuple. Il y a beaucoup d’Haïtiens honnêtes, mais on ne leur donne jamais la chance de diriger leur pays.

Si les États-Unis, le Canada, l’ONU, l’OEA et l’Union européenne souhaitent aider Haïti, tout ce qu’ils ont à faire est de persuader le gouvernement français de restituer cette rançon immorale à un gouvernement légitime élu par le peuple et doté d’un programme axé sur l’amélioration de la qualité de vie des Haïtiens. Deuxièmement, ils doivent comprendre qu’Haïti n’a pas eu recours à leur aide lorsqu’il s’agissait de lutter pour la liberté. Arrêtez de vous mêler des affaires d’Haïti comme s’il s’agissait d’un territoire provincial des États-Unis, de la France ou du Canada. Haïti a besoin de partenaires, non d’ amis.

Claude Louis, M.D.

Traduction française par Didenique Jocelyn et Sarah Jean.

Photo de couverture : de droite à gauche, le Premier ministre de facto haïtien Ariel Henry et le Chargé d’affaires a.i. des USA en Haïti, Eric William Stromayer. 

Claude Louis is a board-certified family physician and the 2021 Medical Society of Virginia Salute to Service award recipient for international medical outreach. Born in the mountains of Kenscoff, he attended Université Notre-Dame d’Haiti medical school, class 1998–2006 and matched at the University of Kansas Family Medicine residency Program in 2012. In 2008, he founded Words In Action Haiti and in 2011 started Words in Action community clinic. He is also an author of children’s books.

Comments